5.
— Je l’emmerde, m’a dit Jacobi en sortant de la maison. C’est rien qu’un connard de la vieille école.
— Quitte à avoir descendu la moitié de la péninsule, lui ai-je dit, si on roulait jusqu’à Stanford ? Pour voir le gosse de Frankie ?
— Pourquoi pas ? m’a-t-il rétorqué avec un haussement d’épaules. Un peu de culture me fera pas de mal.
On a repris la 280 et rallié Palo Alto en une demi-heure.
En m’arrêtant dans l’allée de l’université – les grands palmiers qui la bordaient, les imposants bâtiments ocre aux toits rouges, la Tour Hoover dominant avec majesté la cour principale – j’ai éprouvé tout l’attrait de participer à la vie de campus. Chacun de ces gamins était particulièrement doué. J’ai même éprouvé une certaine fierté à ce que le fils de Coombs, en dépit de son départ difficile dans la vie, ait réussi à entrer ici.
On s’est présenté au bureau de l’administration. Un assistant du doyen nous a répondu que Rusty Coombs devait sans doute s’entraîner au foot dans le complexe sportif, avant d’ajouter que ce dernier était un bon élève et un super ailier. On a roulé jusque là-bas, où un délégué étudiant, coiffé de la casquette rouge de Stanford, nous a emmenés à l’étage et demandé d’attendre à l’extérieur de la salle de musculation.
Quelques instants plus tard, un gamin rouquin super baraqué, en T-shirt des Cardinals trempé de sueur, en est sorti d’un pas nonchalant. Rusty Coombs avait un air affable et des taches de rousseur. Nulle trace chez lui de la sombre et maussade belligérance que j’avais notée chez son père sur les photos.
— Je me doute de ce que vous venez faire ici, nous a-t-il dit en s’approchant de nous. Ma mère m’a appelé, elle m’a tout raconté.
Le bruit métallique des barres d’haltère et autres appareils claquait en fond sonore. Je lui ai souri avec amabilité.
— Nous recherchons votre père, Rusty. On se demandait si vous aviez une petite idée de l’endroit où il se trouve ?
— Ce n’est plus mon père, nous a répondu le garçon en faisant non de la tête. Mon père s’appelle Théodore Bell. C’est lui qui m’a élevé avec ma mère. Teddy m’a appris à jouer au foot. C’est lui qui m’a convaincu que je pouvais réussir à entrer à Stanford.
— Quand avez-vous entendu parler de Frank Coombs pour la dernière fois ?
— Qu’est-ce qu’il a fait, de toute façon ? Ma mère m’a dit que vous étiez de la crime. On suit les infos ici. Tout le monde est au courant de ce qui se passe. Pour ce qu’il a fait autrefois, il a payé sa dette, non ? Vous ne pouvez pas bêtement croire, à cause des erreurs qu’il a commises il y a plus de vingt ans, que c’est lui l’auteur de ces crimes abominables ?
— On ne serait pas descendus jusqu’ici si ce n’était pas important, a fait Jacobi.
Le footballeur sautait d’un pied sur l’autre. Il avait l’air d’un gamin responsable, coopératif.
— Il est venu ici une fois, nous a-t-il avoué en se frottant la paume des mains. Quand il est sorti. Je lui avais écrit quelquefois en prison. Je l’ai retrouvé en ville. Je voulais que personne ne le voie.
— Que vous a-t-il dit ? l’ai-je interrogé.
— Je crois que tout ce qu’il voulait, c’était tranquilliser sa conscience. Et savoir ce que ma mère pensait de lui. Il ne m’a pas dit une seule fois : « Super boulot, Rusty. Regarde où tu en es. T’as réussi. » Ni même : « Tu sais, je suis tous tes matches... » Ce qui l’intéressait davantage, c’était de savoir si ma mère avait jeté certaines de ses vieilles affaires.
— Quel genre d’affaires ? ai-je demandé. Qu’est-ce qui pouvait être si important pour justifier le voyage et une confrontation avec son fils ?
— Des affaires de policier, m’a dit Rusty Coombs en hochant la tête. Ses flingues, peut-être.
Je lui ai souri avec sympathie. Je savais ce que c’était d’avoir pour son père tout sauf de l’admiration.
— Il vous a laissé entendre où il comptait aller ? Rusty Coombs a secoué la tête sans un mot. Il avait l’air à deux doigts de craquer.
— Frank Coombs et moi, ça fait deux, inspecteurs. J’ai beau porter son nom, j’ai beau devoir vivre avec ce qu’il a fait, lui c’est lui et moi, c’est moi. S’il vous plaît, fichez la paix à notre famille. Je vous en prie.