42.
L’Explorer s’est arrêtée dans un crissement de pneus devant le bâtiment administratif. On en est descendus, Jacobi et moi, puis on a traversé la loggia espagnole qui donnait sur la cour principale.
On est tout de suite tombés sur Kimes, aboyant des ordres dans une radio. Avec lui se trouvait Félix Stern, doyen des étudiants, l’air sinistre.
— On n’a toujours pas retrouvé Rusty Coombs, m’a annoncé Kimes. On l’a aperçu il y a une vingtaine de minutes sur la cour. Mais il a redisparu.
— Comment ça se passe avec le commando d’intervention ? lui ai-je demandé.
— Il est en route. Vous croyez qu’on en aura besoin ?
J’ai secoué la tête.
— J’espère qu’on pourra s’en passer. On n’en aura pas l’utilité si jamais Coombs se chope la frousse et se barre.
Juste à cet instant, on a entendu une fusillade. Je savais qu’aucun policier ne tirerait le premier. De plus, ça ressemblait à des coups de fusil.
— À mon avis, il est encore ici, a lâché Warren Jacobi, pince-sans-rire.
La loggia a résonné à tous les échos des cris de panique des étudiants. Puis, ils se sont mis à courir vers nous, fuyant la cour.
— Il est dans la Tour Hoover, cet enfoiré ! a crié l’un d’eux. C’est dingue !
Jacobi, Kimes et moi avons rejoint la débandade des étudiants. Joe Kimes communiquait par radio.
— Coups de feu signalés ! Tous les hommes et les ambulances disponibles à la Tour Hoover. Extrême prudence requise !
On a atteint la pelouse en quelques secondes. Des étudiants se dissimulaient derrière les arbres, les colonnes, les grandes vasques de fleurs, tout ce qui pouvait les abriter.
Deux d’entre eux gisaient sur le sol. L’une était une jeune Black : un rond sanglant s’élargissait sur sa poitrine. Qu’il aille au diable. Que Chimère aille au diable.
— Restez couchés ! Demeurez où vous êtes ! ai-je hurlé à travers la cour. Gardez la tête baissée, s’il vous plaît !
Un coup de feu a claqué au sommet de la tour. Suivi d’un second, puis d’un troisième. Un étudiant s’est affalé derrière un banc en lattes de bois.
— Restez couchés, s’il vous plaît ! ai-je crié à nouveau. Restez couchés, bon sang !
J’ai scruté le beffroi de la tour, cherchant à distinguer une forme, une arme, tout ce qui pourrait m’indiquer la position de Rusty.
Soudain, deux nouveaux coups de feu ont retenti en provenance de la tour. Coombs était bien là-haut, plus de doute. Il nous était impossible de protéger autant de monde. Il nous avait à sa discrétion. Chimère menait toujours le bal.
J’ai agrippé Kimes par le bras.
— Comment puis-je grimper là-haut ?
— Personne ne montera sans escorte commando, m’a répliqué Kimes d’un ton sec et d’un œil glacé.
Puis il a beuglé dans sa radio.
— Tous les hommes et les ambulances disponibles sur la cour ! Un tireur isolé flingue à tout-va depuis la Tour Hoover. Au moins trois blessés.
Je l’ai regardé bien en face.
— Comment on fait pour monter, Joe ? ai-je insisté. J’y vais de toute façon, alors indiquez-moi le meilleur moyen.
— Il y a un ascenseur au rez-de-chaussée, est intervenu Stern, le doyen.
J’ai tiré mon Glock de son étui et vérifié que le petit Beretta était bien fixé à ma cheville. Chimère était dans ce dôme là-haut à faire pleuvoir les balles.
Mes yeux ont repéré un bâtiment qui me procurerait une protection. Jacobi a esquissé un geste vers mon bras. Mais il savait qu’il ne m’arrêterait pas.
— Tu me laisseras pas le temps de rafler des gilets pour nous deux, hein, lieutenant ?
— Rendez-vous au sommet, Warren, ai-je fait en clignant de l’œil.
Puis je me suis élancée vers la tour, courbée à l’extrême.
Et quelque part au tréfonds de moi, je me suis demandé : mais pourquoi je fais ça ?