À notre arrivée, les bureaux de la criminelle nous parurent étrangement calmes. Ils étaient même pour ainsi dire déserts. À l’évidence tout le monde était à la recherche de SW, ou de la moindre piste pouvant mener à lui, dehors, sur le terrain.
— Ça va, Bree ?
Sampson aurait voulu qu’elle s’assoie, mais elle resta plantée là, toujours aussi têtue, toujours aussi forte. On ne l’appelait pas le Roc pour rien.
— Ça va très bien. Ça ne pourrait aller mieux. Qu’avez-vous trouvé ?
— Un nouveau best-of. Je vais vous montrer.
La page d’accueil du site s’afficha sur l’écran, identique à celle que je connaissais : MA RÉALITÉ, en grosses lettres blanches sur fond noir.
— Il commence à me gonfler, ce type, marmonna Bree. La prochaine fois que je le vois, je le massacre.
— Bree, on se calme.
Je m’en tins là.
À l’aide de la souris, je fis défiler les pages. Il ne s’agissait plus d’un blog, cette fois. Il n’y avait que des images, sans le moindre texte, sur deux colonnes. Dans celle de gauche, les personnages incarnés par SW. Dans celle de droite, leurs victimes respectives. Les deux premières étaient extraites de la fausse vidéo irakienne. Puis on voyait Tess Olsen à quatre pattes, en laisse, un collier rouge autour du cou.
Ensuite, le prof à la X-Files du Kennedy Center, en face d’un portrait publicitaire de Matthew Jay Walker, barré d’un X vert.
Puis le faux imitateur affublé d’un masque de Richard Nixon, et deux photos des jeunes qu’il avait assassinés sur la passerelle surplombant l’autoroute.
Abby Courlevais, elle, apparaissait sur un portrait de famille qui avait fait le tour du monde. On la voyait aux côtés de son mari et de son petit garçon, qui faisait un grand sourire.
Les deux dernières photos étaient floues, et en très basse définition, mais cela ne nous empêcha pas de distinguer les détails. Bree reconnut Neil Stephen, son « photographe », malgré la casquette des White Sox dissimulant le haut de son visage.
Puis Kitz.
Il avait les yeux et la bouche ouverts, et le menton barbouillé de sang. Ce cliché avait manifestement été pris alors qu’il venait d’être égorgé, et avant que son bourreau lui ajuste le masque en caoutchouc. C’était une photo de Kitz à l’agonie.
Bree tapa du poing sur le bureau.
— Il veut quoi, cet allumé ? C’est ça, sa conception de la célébrité et de la gloire ?
Elle tourna les talons et sortit de la pièce. Mieux valait qu’elle lâche la vapeur ici qu’ailleurs. Je l’entendis marcher de long en large, puis se servir au distributeur d’eau.
— Laissez-moi juste une seconde, lança-t-elle depuis le couloir. Ça va aller, Alex. Je pète un peu les plombs, c’est tout.
Sampson me poussa du coude.
— Continue.
En bas de la page se trouvait une icône semblable à celle que nous avions vue sur le premier site : un poste de télévision, un peu plus grand cette fois, avec de la neige sur l’écran. Et, juste au-dessous, un lien intitulé BIENTÔT.
— Quel enculé, siffla Sampson. Il nous nargue en permanence, maintenant.
Je cliquai, pensant tomber sur une autre image ou une vidéo, mais c’est une fenêtre de message sortant qui s’ouvrit, adressée à [email protected].
Bree, de retour, vint se poster derrière moi pour me masser la nuque et les épaules.
— C’est le surmenage. Ça ne se reproduira plus.
— Oh, si. Que penses-tu de ça ?
— C’est ce qu’on espère d’habitude – un moyen d’entrer directement en contact. Évidemment, répondre signifierait qu’on continue à jouer le jeu, selon ses règles. Mais on devra peut-être en passer par là.
— Sampson ?
— Je crois qu’à ce stade, on a plus à gagner qu’à perdre.
Mes doigts restèrent un instant en suspension au-dessus du clavier, puis je me mis à taper les premiers qui me venaient à l’esprit.
Tu n’en as plus pour longtemps, pauvre merde.
J’entendis Bree toussoter.
— Euh, Alex ?
J’étais déjà en train de supprimer ma phrase, mais au moins j’avais réussi à la faire rire. Je décidai d’essayer autre chose.
Que voulez-vous ?
Je me renfonçai dans mon fauteuil, contemplai l’écran.
— Voilà. C’est simple et direct.
— Vas-y, me dit Bree. C’est la bonne question.
« Envoyer ».