Cincinnati, Ohio
Jeudi 6 novembre,
13 h 20
— Elle est stable ? demanda Faith à Bishop.
Dans la salle d’observation, toutes deux regardaient de l’autre côté de la vitre. Jade Kendrick se tenait dans l’autre pièce, pelotonnée sur elle-même, tentant d’occuper le moins d’espace possible.
Bishop haussa les épaules.
— Je vais essayer de lui parler. Pensez-vous pouvoir l’aider à garder son calme ?
— Je peux essayer. C’est une consultation professionnelle ?
Bishop haussa les épaules.
— Il paraît que vous avez repris la thérapie. D’après Isenberg, vous vous êtes fait jeter.
— Comme une vieille chaussette. Bon, allons parler à Jade.
Jade ne leva pas les yeux à leur arrivée, son regard resta rivé sur ses pieds.
— Bonjour, Jade. Je m’appelle Faith.
Jade leva la tête d’un geste vif, les yeux écarquillés.
— Vous êtes la petite-fille de Barbara.
— Oui. Et vous êtes la tante de Roza. Je peux m’asseoir ?
Jade hocha la tête.
— Je ne peux rien vous dire. Il la tuera. Il me tuera.
— Je ne crois pas qu’il la tuera, dit Faith. Elle a trop de valeur comme otage. Il veut me mettre la main dessus.
— Pourquoi ?
— Parce que je représente une menace à ses yeux. Je connais ses secrets. Il m’a convaincue de les garder, quand j’avais neuf ans.
Elle parla à Jade de sa mère, des manipulations de Jordan.
— Il veut me tuer, ajouta-t-elle. Il sera prêt à échanger Roza contre moi. J’espère que nous pourrons le trouver avant d’en arriver là. Jade, pourquoi n’en avez-vous pas parlé à ma grand-mère ? Je sais qu’elle vous aimait bien.
— Elle ne m’aurait pas crue. Elle adorait Jordan, vous savez. Il pouvait faire n’importe quoi, impunément. D’une certaine manière, elle le craignait un peu. Après tout, elle dépendait de lui. Si elle s’était plainte, il l’aurait découvert.
— Les caméras. Je suis au courant.
— Nous n’avions jamais d’intimité. Ni l’une ni l’autre. Elle affectait d’être heureuse, parce qu’elle se savait surveillée.
— Il lui faisait du mal ? A ma grand-mère ?
— Non, pas de cette manière. Mais il me faisait souffrir et je pense qu’elle l’avait compris. C’est pour cela que je ne pouvais pas lui parler d’Amy ou de Roza. Elle ne pouvait même pas se défendre. Et puis, il savait toujours ce que je faisais. Quand il disparaissait pendant des jours, je savais ce qu’il faisait à une pauvre femme.
Ses yeux se remplirent de larmes.
— Je le détestais pour ça, mais j’étais un peu soulagée, aussi, parce que pendant ce temps il me laissait tranquille.
— C’est humain, dit Faith, avec douceur. Vous ne devez pas vous en vouloir pour ça. Ça viendra avec le temps. Quand je rendais visite à Gran et qu’il vous envoyait en « congé », où alliez-vous ?
— Chez lui.
Bishop se pencha en avant.
— Vous parlez de l’appartement, au-dessus de l’atelier.
— Non. C’est une vraie maison. Mais je ne sais pas où elle se trouve. J’étais toujours ligotée, bâillonnée, et j’avais les yeux bandés. Il me mettait même des bouchons d’oreilles. Il faisait entrer la voiture dans le garage avant de me faire descendre du fourgon, je n’avais donc jamais de contact avec l’extérieur. Il me faisait descendre directement à la cave. Parfois, il restait avec moi, mais s’il avait une femme dans l’autre cave, celle où il gardait Amy et Roza, alors, il partait là-bas.
— Savez-vous où il gardait Amy et Roza ? demanda Faith avec circonspection.
— Non, répondit Jade en détournant les yeux. Pendant longtemps, j’ai pensé que c’était dans l’ancienne maison de Mme O’Bannion, mais une fois elle m’a décrit la cave et ça ne ressemblait pas du tout à l’endroit où il nous détenait. C’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai appris qu’il avait équipé toute la maison de ville de caméras. Il m’a montré un enregistrement de cette conversation avec sa mère. Ensuite, il m’a ramenée dans la cave de l’autre maison. Il a dit à sa mère qu’il m’avait donné quinze jours de vacances, parce que c’est le temps qu’il a fallu pour que mes bleus disparaissent. Ensuite, il m’a montré une photo d’Amy. Ses contusions étaient encore pires. Il a dit qu’il appliquerait le même traitement à Roza, si je m’avisais de poser encore des questions.
— Nous comprenons, dit Faith. Avez-vous remarqué quelque chose de particulier, dans cette autre maison ?
— Seulement à l’intérieur. Un portrait de Joy est accroché sur un mur de la cave, mais il a lacéré le visage. Ce n’était pas la toile qui se trouvait dans la chambre de votre grand-mère. Je crois qu’il avait peint lui-même le tableau de la cave, juste pour avoir le plaisir de le détruire.
— Vous a-t-il emmenée en voyage, un jour ?
Jade répondit à la question de Bishop d’un signe de tête.
— A Miami, une fois. On avait pris le fourgon et il a conduit tout le temps. C’est là qu’il a tué votre ami.
— Gordon Shue ?
— Oui. Ensuite, il a essayé de vous pousser hors du pont. Il m’a obligée à vous tirer dessus. J’ai fait exprès de rater mon coup. Je ne pouvais pas me résoudre à vous tuer, même pour sauver Roza. J’espère qu’il n’est pas en train de lui faire du mal en ce moment.
— Merci de ne pas m’avoir tuée, dit Faith avec gentillesse. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous ramener Roza. Elle a un père, n’est-ce pas ? Eric Johnson ?
— Oui. Quand Amy et Eric se sont mariés, ils étaient encore à la fac. Ils étaient tellement heureux !
Elle se tut brusquement, puis demanda :
— Et mes parents ? Ils sont encore vivants ?
— Oui, la rassura Faith. On les a prévenus, ils sont en route.
Les épaules de Jade commencèrent à trembler et elle fondit en larmes.
— Merci. Merci.
Faith effleura les épaules de la jeune femme et réprima une grimace de compassion en sentant les os affleurer sous le tissu mince du T-shirt.
— Nous devons partir, mais nous reviendrons. Et, dès que nous aurons retrouvé Roza, vous serez prévenue. Au moins, nous savons à qui nous avons affaire, maintenant.
Dans le couloir, Bishop s’appuya contre le mur, les traits durement crispés en une grimace de frustration.
— Vous avez une petite idée de l’endroit où se trouve cette maison ?
— Pas la moindre, malheureusement. Comment ça s’est passé pour Deacon à la propriété de Della Yarborough ?
— Je ne sais pas. Nous n’avons pas encore de nouvelles.
— Alors, j’imagine qu’il ne nous reste plus qu’à réfléchir ensemble à la manière de localiser cette mystérieuse maison.