Cincinnati, Ohio
Jeudi 6 novembre, 9 h 30

Faith attendit qu’ils soient partis, puis s’écroula sur une chaise, tremblante. Jordan veut me tuer. Il a tué tous ces gens. Il a torturé Arianna. Il les a toutes torturées. Chacune des victimes du tableau. Toutes les victimes de la cave. Et les morts de Floride.

Et Jeremy ? Avait-il tué ? Voulait-il sa mort, lui aussi ? Et, s’il en avait l’intention, saurait-elle le lire sur son visage ? Comment avait-elle pu être aussi aveugle ?

Une vague de chagrin lui coupa le souffle et elle ferma les yeux. Maman. Toutes ces années passées à détester sa mère. Tout ce temps ! Elle se recroquevilla, une main plaquée sur la bouche pour étouffer un gémissement, essayant désespérément de reprendre le contrôle de ses émotions.

Je suis désolée, maman. Je suis désolée. Elle s’abandonna à des larmes silencieuses pour toutes les fois où sa mère lui avait manqué. Pour toutes les nuits où son père buvait jusqu’à l’inconscience pour s’endormir seul.

Puis elle revit Jordan, pendant ces mêmes années. Riant avec elle. Faisant la fête avec elle. Concerts de rock et bière. Pourquoi ? Pourquoi avait-il fait ça ? Lorsqu’elle réexamina les événements passés à la lueur de la vérité, elle comprit.

Il ne riait pas avec elle. Il riait d’elle. Et toutes ces fêtes… Bon sang ! Il l’encourageait à se livrer à toutes sortes de comportements dangereux. A fréquenter des gens peu recommandables. A s’adonner à un mode de vie qui aurait pu facilement la transformer en droguée ou en ivrogne. Voire mettre sa vie en danger. De cette façon, il aurait résolu ses problèmes. Une fois morte, sa nièce ne pourrait plus révéler son secret. Ne pourrait plus le dénoncer.

Et même si elle avait tenté de dévoiler la vérité ? Qui l’aurait crue ? Elle avait eu une dépression nerveuse. Elle faisait le mur pour aller à des fêtes et à des concerts, entrait dans les bars avec de faux papiers. Sa grand-mère ne l’aurait jamais crue. Jordan avait parfaitement couvert ses arrières, n’est-ce pas ?

La colère explosa soudain sous son crâne, une colère ardente qui consuma son chagrin, la laissant froide et concentrée. Avide de vengeance. Assoiffée de justice. En quête de réponses.

— Pourquoi ? demanda-t-elle à la pièce vide.

Animée par une irrépressible énergie, elle se leva d’un bond et se mit à faire les cent pas. Un tableau vierge était installé près du tableau d’affichage, une irrésistible invitation à faire une liste.

POURQUOI ???? nota-t-elle en grosses capitales. Et, dessous, elle lista ses questions. Pourquoi Jordan est-il ainsi ? Elle avait souvent dormi dans la maison de ville, inconsciente du danger. Pourquoi ne m’a-t-il pas tuée pendant mon sommeil ? Que cache l’histoire des faux candidats ? Qui reçoit leur argent ? Pourquoi n’a-t-on pas découvert la manœuvre au cours d’un audit ? Pourquoi ces victimes ont-elles été choisies ?

Elle observa le visage des jeunes femmes. Toutes blondes, écrivit-elle. Toutes jeunes. Tous les enlèvements liés à un moment de rage.

Toutes les victimes avaient été agressées à un moment où Jordan avait perdu ce qu’il estimait devoir être son héritage.

— Elles ont ton argent, dit-elle à mi-voix. Elles ont reçu des bourses de la fondation et cet argent aurait dû te revenir.

Elle secoua la tête en notant cet élément sur le tableau blanc.

— Mais il y a autre chose, ajouta-t-elle en songeant que les racines du mal étaient plus profondes. Il y a trop de rage pour qu’il ne s’agisse que d’argent.

Des quatre enfants O’Bannion, Joy était la seule blonde. Les autres étaient roux. Elle nota aussi cette information, puis recula d’un pas.

— Tu détestes Joy, dit-elle. Tu ne cesses de la tuer. Elle a pris ton argent.

Elle balaya du regard les photos des victimes.

— Et, ensuite, vous lui avez toutes pris son argent.

— Excellente analyse.

En se retournant, Faith découvrit Isenberg derrière elle, mâchonnant tranquillement un pain aux raisins.

— Depuis quand êtes-vous là ? demanda Faith, la main pressée sur son cœur battant à tout rompre.

— Je n’ai pas bougé, j’étais assise derrière vos boîtes, dit Isenberg. Comme Bishop et Novak avaient pris les choses en main, j’en ai profité pour m’occuper de mes mails. Ensuite, vous avez commencé à marcher de long en large et j’avoue que j’étais curieuse de voir où ça allait vous mener. Votre liste ne manque pas d’intérêt. Selon moi, il ne vous a pas tuée pendant votre sommeil pour la même raison qui l’a retenu dimanche après-midi, quand vous étiez au cimetière. Il voulait éviter de donner à la police la moindre raison d’enquêter sur lui.

— Il avait prévu de m’attirer à l’écart et de me tuer en toute discrétion. Peut-être dans un accident de voiture comme celui que j’ai eu, il y a trois ans.

Faith se tourna vers son tableau et y ajouta une note. Que s’est-il passé, il y a trois ans ?

— Ça me travaille, avoua-t-elle.

— Avec raison. De toute évidence, trouver la réponse à cette question s’avère primordial.

— C’est l’année de mon divorce. J’ai quitté la maison que je partageais avec Charlie pour m’installer dans ce petit appartement dans un quartier miteux de Miami. Mon père s’en inquiétait.

Elle s’interrompit un bref instant, le cœur serré.

— Et Gran aussi s’inquiétait. Elle disait que je ferais mieux de quitter Miami, que c’était trop dangereux. Que…

Nouvelle interruption : cette fois pour tenter d’humecter sa gorge serrée.

— Elle disait que je devais rentrer à la maison.

Puis Faith mena le raisonnement jusqu’au bout et comprit ce qu’il lui restait à faire. A regret, elle appela Henson and Henson.

— Avez-vous reçu les dossiers ? s’enquit aussitôt Mme Lowell.

Faith brancha le haut-parleur.

— Ils sont arrivés, merci beaucoup. Votre répertoire du contenu des cartons m’a permis de trouver très rapidement la famille de la petite fille disparue. Mais, ce matin, j’ai une autre question. Pouvez-vous me dire si ma grand-mère a procédé à des révisions de son testament, ces dernières années ?

— Je peux vérifier l’historique des modifications sur mon ordinateur… Nous y voilà… Barbara a déposé le testament original quelques mois après la mort de son époux. Par la suite, elle l’a remis à jour à quatre reprises. La dernière fois remonte à trois ans, le 24 juillet.

Faith prit une profonde inspiration et s’efforça de garder une voix posée. Son accident avait eu lieu trois jours après cette date. Une semaine plus tard, une victime avait été enlevée, torturée et enterrée dans la cave.

— Et quelle était la nature de ce changement ?

— Un remaniement complet, vous êtes devenue son héritière.

Faith connaissait déjà la réponse, mais l’entendre était malgré tout douloureux.

— Qui devait hériter avant moi ?

— Je ne peux pas vous en parler.

Faith émit un son qui s’apparentait à un feulement de fauve.

— Madame Lowell, depuis que j’ai hérité de la maison, quelqu’un s’acharne à vouloir me faire disparaître. Et le 27 juillet, trois jours après la modification du testament de Gran, on a déjà tenté de me tuer.

— Oh ! Seigneur, souffla Mme Lowell. Mais… je ne peux rien vous dire, Faith. Je suis terriblement désolée.

— Est-ce que c’était Jordan ? Je vous en prie, madame Lowell. Non seulement quelqu’un essaye de me tuer depuis que j’ai hérité de cette maison, mais, pour m’atteindre, on a assassiné douze personnes, le mois dernier. Je ne peux pas continuer comme ça, à me demander qui sera le prochain. Est-ce que c’était Jordan ?

Un soupir.

— Faith. Je ne peux pas vous dire que c’était lui. Mais je ne vous dirai pas que ce n’était pas lui.

Faith laissa échapper un soupir et frissonna en comprenant que ses soupçons se confirmaient.

— Très bien. Pouvez-vous me dire qui tient les comptes de la fondation et à quand remonte le dernier contrôle ? Puisque je remplace ma grand-mère au conseil d’administration, je dois le savoir.

Mme Lowell répondit avec circonspection.

— Le conseil a engagé Michelle Vance comme comptable. A vrai dire, cela fait quelque temps qu’il n’y a pas eu de contrôle. Pas depuis le départ de Me Henson junior. Pourquoi ?

— Je me familiarise avec les aspects financiers de la fondation. Comment puis-je joindre Me Henson junior ?

De l’autre côté du fil, le silence s’étira, puis Mme Lowell répondit :

— Vous ne pouvez pas.

— Il est mort ? J’avais cru voir une plaque dans le hall, disant qu’il avait pris sa retraite.

— Il s’est retiré, mais pas vraiment. Il est hospitalisé depuis quinze ans. Il est, euh, dans un état végétatif définitif.

Faith ferma les yeux.

— A-t-il eu un accident de voiture, madame Lowell ?

— En effet. Comment le savez-vous ?

— Quand on a essayé de me tuer, il y a trois ans, c’était en sabotant ma voiture. La semaine dernière, on a recommencé avec mon ancien véhicule. Mais, entre-temps, je l’avais vendu et la personne qui l’a racheté a été tuée dans un accident. Avec son fils.

Le long, très long silence fut rompu par une réponse tremblante.

— Depuis l’hospitalisation de Me Henson junior, ses affaires sont gérées par son épouse, Michelle Vance.

La bouche de Faith s’arrondit de surprise.

— La comptable de la fondation ? Je… je vois. Merci, madame Lowell.

Elle coupa la communication et rencontra le regard égal d’Isenberg.

— Vous n’êtes pas surprise.

— Il faut suivre l’argent. Surtout quand il s’agit de gros tas de fric administrés par des petites vieilles.

— Très juste. Et que dites-vous de ça ? Quelqu’un a créé de faux candidats, le conseil examine les cas sans voir les noms pour assurer la neutralité de sa décision. Certains postulants sont acceptés, d’autres non. Mais les gens qui rédigent les fausses demandes sauraient comment influencer au mieux le conseil.

— Ça paraît logique.

Faith se leva pour employer l’énergie qui menaçait de la déborder.

— Les chèques destinés aux faux candidats sont préparés, Jordan les apportait à ma grand-mère pour les faire signer, parce qu’il gérait tout son courrier. Mme Lowell entre le nom, la date et la somme, ensuite elle expédie les chèques et elle n’en sait pas plus. Si Jordan a découvert le pot aux roses, c’est parce qu’il recherchait précisément des bénéficiaires de la fondation pour en faire ses victimes. Mais, voilà, certaines n’existaient pas.

— Ils sont gonflés, dit Isenberg, d’une fois sèche.

— La femme de Henson junior doit être mouillée. En tant que comptable, elle a dû reporter le numéro de Sécurité sociale des récipiendaires. La fondation n’a pas été contrôlée par les impôts depuis plusieurs années. Elle a dû leur présenter des déclarations frauduleuses. Jordan le savait peut-être depuis le début, il a peut-être monté le coup lui-même. En tout cas, il est au courant depuis au moins quinze ans, parce que Junior a été blessé dans un accident de voiture. L’implication de Henson Trois n’est pas évidente, mais ça ne sent pas très bon. Donc, je parie qu’il trempe aussi dans l’arnaque. Est-ce suffisant pour demander un contrôle judiciaire de leurs livres ?

— C’est suffisant, si vous êtes au conseil et que vous le demandez.

Faith la fixa, d’abord interdite, puis avec un grand sourire.

— Ah, ouais. J’ai oublié que j’avais le pouvoir.

Isenberg sourit.

— Du pouvoir et du cran. Et aussi de l’intelligence. Si jamais vous en avez assez de travailler à la banque, vous pourriez peut-être envisager de bosser pour le département de police.

La banque.

— Oh ! merde ! dit Faith en levant les yeux au ciel. J’avais complètement oublié que j’ai été virée hier.

Le sourire d’Isenberg s’effaça.

— Pourquoi ?

— Le lieutenant Kimble a posé des questions à mon patron, qui l’ont amené croire que j’étais suspecte dans une affaire criminelle.

Isenberg pinça les lèvres.

— Je suis navrée.

— Ça va. De toute façon, je ne veux pas travailler pour une entreprise où on a été si prompt à me juger. Je vais peut-être retourner à la thérapie. Mais, pour l’instant, je vais me remettre au travail sur la liste des victimes. Je crois que ça m’aide à rester saine d’esprit.

Sur tes traces
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