Cincinnati, Ohio
Mercredi 5 novembre, 10 h 30

Faith pensait que Deacon et Bishop allaient être surpris. Au lieu de cela, ils affichèrent des mines lugubres.

— Ah ! La fameuse fondation Joy O’Bannion frappe de nouveau, murmura Bishop.

— Si Faith meurt sans laisser d’héritiers ou de testament, le domaine reviendra à la fondation, précisa Deacon.

— Et, à en croire Jeremy, Jordan a détourné de l’argent de la fondation, il y a vingt-trois ans, ajouta Bishop.

Faith ouvrit des yeux ronds.

— Première nouvelle !

Bishop haussa les épaules.

— Toujours d’après Jeremy, c’est pour cette raison que Jordan a révélé son homosexualité à leur père. Pour détourner Tobias des accusations de Jeremy. Ça s’est passé peu de temps avant la mort de votre grand-père.

— Et Jeremy a été renié, ajouta Faith. Les accusations contre Jordan ont dû passer inaperçues dans l’agitation.

Mais les accusations de Jordan contre Jeremy ont atteint leur but.

— L’équipe a mentionné la fondation, mais j’aimerais avoir une description plus précise de son fonctionnement, dit Isenberg.

— Eh bien, mes grands-parents ont eu huit enfants, mais seuls quatre d’entre eux ont dépassé le stade de la petite enfance. Joy, ma mère et puis Jeremy et Jordan, les jumeaux. Joy était encore une fillette quand elle est tombée malade et son traitement a fortement entamé les avoirs de la famille.

— Jeremy a dit qu’ils étaient pauvres, dit Deacon.

— C’est tout relatif, rectifia Faith. Selon mon père la famille aurait pu vivre très confortablement dans une maison normale, mais Tobias, mon grand-père, était déterminé à garder le domaine intact. C’est à cause de ça que papa ne lui a jamais témoigné de respect. A la mort de Joy, ils avaient beaucoup dépensé en frais médicaux, et il ne restait plus de quoi garder la maison et payer les impôts. Alors… Tobias a mis un plan sur pied et l’a exécuté. Gran ne lui a peut-être jamais pardonné. En tout cas, je sais que ma mère lui en a toujours gardé rancune. La famille de Gran possédait une propriété assez considérable au nord de la ville, vers Liberty Township. Elle était la dernière des Corcoran et tout lui appartenait. Des centaines d’hectares.

— C’est Westchester, maintenant, dit Isenberg. Il y a des lotissements à perte de vue, là-bas.

— Seulement parce que Tobias a vendu les terres de Gran, sans la prévenir. Elle m’en a parlé une fois. Je ne l’avais jamais vue pleurer, même à la mort de ma mère. Mais, quand elle m’a raconté que son mari avait vendu les terres des Corcoran, elle a craqué. A l’époque où il a fait ça, elle était encore dévastée de chagrin après la mort de Joy et son médecin lui avait prescrit des sédatifs. Tobias lui a fait signer une procuration et il a vendu la propriété. Il n’a jamais parlé à personne de ce qu’il avait fait. Je ne crois pas que Gran ou ma mère savaient combien avait coûté le traitement de Joy. Quant à Jordan et Jeremy, ils étaient trop jeunes pour comprendre. Ils n’avaient que cinq ans.

Faith prit une profonde inspiration avant de continuer :

— Cette propriété des Corcoran représentait beaucoup aux yeux de ma mère, qui était la seule fille survivante. Mais, le jour de son vingt et unième anniversaire, elle a découvert que son héritage maternel avait été vendu. Papa et elle venaient de se marier. J’étais déjà en route. Elle était censée récupérer une partie de la propriété et avait l’intention d’y faire construire une maison. Mais elle a découvert qu’il n’y avait plus de terres. Une partie du produit de la vente avait servi à acquitter les impôts du domaine O’Bannion, une partie avait restauré la fortune de la famille et le reste avait été consacré à la création de la fondation en mémoire de Joy, pour aider d’autres enfants.

— Il a donc vendu l’héritage de votre mère pour aider d’autres enfants ? Quelles étaient ses motivations ?

— Il aimait se présenter comme un philanthrope. Peut-être avait-il vraiment besoin d’honorer la mémoire de Joy à sa manière ? Je n’en sais rien. Ma mère disait que la mort de Joy les avait tous détruits, chacun d’une manière différente. La plupart du temps, elle éprouvait du ressentiment envers la fondation, même s’il lui arrivait d’en être fière. Elle ne niait pas l’importance de ces jeunes gens malades, mais elle aurait voulu bénéficier d’une partie de l’argent. Tobias n’a pas gâté ses enfants survivants. Même si la famille était plus que bien nantie, à partir de l’âge de dix-huit, ils ont dû assurer eux-mêmes leur subsistance. Ma mère a trouvé un emploi dans l’administration de Mount St Mary’s1. C’est d’ailleurs là-bas qu’elle a rencontré mon père. Il était séminariste et il a finalement décidé de renoncer à prononcer ses vœux pour l’épouser. Quelques années plus tard, Jeremy a épousé une femme riche qui l’a envoyé en fac de médecine.

— Della Yarborough, dit Deacon. Stone et Marcus sont ses fils, d’un premier mariage.

— Et, ensuite, elle et Jeremy ont eu Audrey. Jordan est entré en fac de droit mais, après la mort de Tobias, il a laissé tomber et s’est mis à la peinture… Et il a aussi dû s’occuper de Gran. Jordan n’a jamais été studieux, il préférait faire la fête, mais j’ai du mal à croire qu’il a piqué de l’argent à la fondation.

Deacon leva un sourcil d’un air de défi.

— Parce qu’il ne serait pas capable de faire une chose pareille, c’est ça ?

Faith sourit.

— Non. Parce que la fondation est gérée de très près par un groupe qui se situe en dehors de la famille.

— Par Herbert Henson ? demanda Deacon.

— Pour certains aspects, visiblement. Ils sont chargés de distribuer les bourses, répondit-elle en tapotant le courrier expédié à Corinne. La fondation est dirigée par un conseil d’administration et possède son propre comptable. Tobias était le patron à sa mort, un des membres du conseil a repris les rênes, mais lui aussi est mort. La présidence du conseil est un poste électif. Gran n’a jamais eu de droit de vote mais, comme elle signait les chèques, elle avait un contrôle total sur les bénéficiaires.

Elle leur indiqua de nouveau la lettre.

— Et c’est elle aussi qui assurait la correspondance avec les bénéficiaires. En tant que membre de la famille, j’ai aussi une position sans droit de vote. J’imagine qu’à un moment donné on attend de moi que je prenne le relais de Gran en ce qui concerne la signature des chèques et la correspondance.

Bishop intervint :

— Pourquoi vous ? Pourquoi pas Jordan ?

— Gran l’a fait spécifier dans son testament. Je crois qu’elle s’inquiétait pour Jordan. Surtout à cause de son penchant pour l’alcool.

— Est-ce que Jordan et Jeremy siègent au conseil ? demanda Isenberg.

— Jordan a une position sans droit de vote, comme la mienne. Jeremy n’en a même pas bénéficié.

Bishop prit une expression songeuse.

— Quelle est la valeur nette des fonds de la fondation ?

— Cinq millions. Parfois, un peu plus. Ça dépend des fluctuations du portefeuille d’actions. De toute façon, à sa mort, Tobias a créé la sensation en léguant tout l’argent de la famille qui n’était pas déjà dans la fondation…

— A la fondation, acheva Deacon. Jeremy nous a indiqué que Jordan a été plutôt ulcéré par cette décision.

— Ma mère l’était aussi. Papa et elle se sont disputés à ce sujet. Je me souviens de les avoir entendus. J’étais dans mon lit chez Gran et leurs voix passaient à travers la cloison entre nos deux chambres. Ce soir-là, ils se sont dit des choses terribles. C’est le dernier souvenir que je garde d’eux ensemble.

Elle fronça les sourcils et chassa cette idée de son esprit.

— De toute façon, personne n’a rien reçu de Tobias. Pas même ma grand-mère. Tobias a mis en place un fidéicommis et elle a touché une rente mensuelle généreuse, jusqu’au jour de sa mort. Ensuite, tout ce qui restait dans le fonds devait être reversé à la fondation. Ma grand-mère m’a raconté qu’elle avait tenté plusieurs fois de faire annuler le testament, mais Henson senior n’a pas pu l’aider. Elle détestait recevoir cette allocation, comme si elle était une enfant. D’autant plus que l’argent provenait de la vente de ses propres terres.

— Pour résumer, vous n’avez aucun accès à l’argent de la fondation, dit Isenberg. Alors ce n’est sans doute pas pour cette raison que l’on cherche à vous tuer.

— C’est exact, dit Faith. Je n’ai pas accès à l’argent, mais j’ai accès à quelque chose de mieux, la liste des bénéficiaires. J’espère que Corinne était la seule victime qui avait un lien avec la fondation mais, dans le cas contraire, cette liste pourrait nous aider à identifier d’autres victimes.

Isenberg hocha la tête, son regard exprimait le respect.

— C’est malin. Quand pourriez-vous nous obtenir cette liste ?

— Dès que quelqu’un pourra me conduire au cabinet de Henson.

Bishop apporta une réserve.

— Si un des Henson est impliqué, ils ne vont pas vous remettre gentiment une liste de victimes. Et, si on se plante, ça pourrait effrayer notre suspect.

Faith secoua la tête.

— La moindre manœuvre pour m’empêcher d’avoir accès à cette liste attirerait l’attention du conseil d’administration. Si vous y allez avec une commission rogatoire, tout le monde va s’échauffer. Laissez-moi demander.

Deacon reprit son siège.

— Très bien, on vous laisse faire. Mais on va quand même demander une commission rogatoire au bureau du procureur, juste au cas où ils vous baladeraient. Dès qu’on aura terminé ici, je vous emmènerai chez Henson. Scarlett, aujourd’hui, tu travailleras avec le dessinateur. Arianna doit nous donner le visage de Roza, et la dame du bureau voisin de chez Maguire doit nous décrire la femme mystérieuse qu’elle a vue chez eux. Adam ?

— La victime du parking de la supérette a survécu, mais elle est dans le coma. Personne n’a déclaré sa disparition. Des copies de sa photo seront distribuées aux patrouilles et j’ai fait établir une liste de tous les vétos de la zone des trois Etats. Je vise aussi les parcs canins, les élevages et les magasins de nourriture pour animaux. Si on l’identifie, ça nous donnera le modèle de son véhicule et son adresse. On ne sait jamais, il se cache peut-être là-bas.

— Bien, dit Deacon. Vince, tu seras avec Sophie, aujourd’hui ?

— Pas avant midi. J’ai un tas de trucs à faire au labo. Je vais aussi faire quelques analyses sur ta lettre. Voir si l’encre et le papier correspondent à l’histoire de l’oncle.

Deacon ignora la surprise de Faith et tendit à Tanaka le téléphone mobile que Jordan lui avait apporté.

— Il y a ça aussi. Assure-toi qu’il n’y a pas de problème.

Faith fronça les sourcils.

— Vous pensez que j’ai une chance de récupérer l’iPhone que vous m’avez pris lundi soir ?

— Je ferai de mon mieux, promit Tanaka.

Puis elle examina le tableau d’affichage.

— Je vois que la photo de Peter Combs figure toujours là-dessus, il est toujours suspect ?

— Oui, répondit Deacon. Même s’il n’est pas le cerveau de l’affaire, puisque les crimes remontent à trop longtemps. En revanche, il aurait pu être recruté comme homme de main. Scarlett, où en est l’enquête du lieutenant Vega ? A-t-elle eu de la chance avec la petite amie de Combs ?

— Pas encore. L’avocat de la petite amie veut conclure un accord pour réduire son inculpation pour l’accusation de possession de stupéfiants, mais maintenant que le DA est entré dans la danse tout le monde prend des poses. Vega sait que nous sommes de plus en plus désespérés.

— J’appellerai son commandant pour lui préciser notre niveau de désespoir, promit Isenberg d’un ton glacial.

— Il nous faut aussi récupérer les souvenirs de notre meurtrier, dit Adam. Il doit les avoir planqués quelque part, là-dedans. Vous le savez. La liste de boursiers de Faith peut certainement nous aider à identifier les victimes, mais trouver leurs objets personnels pourrait aussi nous être utile. Leurs familles méritent de savoir ce qui leur est arrivé.

— Je me souviens de quelques cachettes de la maison, dit Faith. Si vous voulez, je peux y aller et essayer de me rappeler leur emplacement.

— Non, dit Deacon. Pas à moins que nous n’ayons pas d’autre choix. Vous êtes une cible partout où vous allez et, malheureusement, tous ceux qui vous entourent sont en danger.

En voyant la petite grimace affligée de Faith, il soupira, avec l’impression d’être un sale type. Puis, il se tourna vers Tanaka.

— Vince, je croyais que vous aviez prévu de sonder les murs ?

— Oui, mais la machine à rayons X fonctionne plus lentement que le radar à pénétration de sol de Sophie. Ça peut nous prendre toute la journée pour sonder un seul mur. Si Faith peut se souvenir de quelque chose de spécifique, ça pourrait nous faire gagner un temps considérable.

— Vous pourriez tout simplement abattre ces satanés murs, dit Deacon, d’un ton cassant.

— Nous pourrons, demain, répondit Vince. Mais pas avant que Sophie ait terminé de scanner le sol.

Deacon se rembrunit.

— D’accord. Mais, Vince, si Faith se rend dans cette maison, tous tes hommes sur le site devront porter des gilets et des casques. Et je veux que tu sois aussi sur place.

— Tout le monde devrait déjà porter des vestes et des casques sur le terrain, intervint Isenberg. Je me chargerai de prévenir les familles des victimes que nous avons déjà identifiées. Les galonnés sont d’accord avec moi, nous ne pouvons pas taire leurs noms plus longtemps. Les familles ont le droit de savoir.

Avant qu’Isenberg ne prenne le fardeau, Deacon n’avait pas réalisé à quel point il redoutait de parler aux familles.

— Merci, Lynda. Bon, nous avons tous nos missions. Faith, allons rendre visite à Henson.

Sur tes traces
titlepage.xhtml
part0000.html
part0001.html
part0002_split_000.html
part0002_split_001.html
part0002_split_002.html
part0002_split_003.html
part0002_split_004.html
part0002_split_005.html
part0003_split_000.html
part0003_split_001.html
part0003_split_002.html
part0003_split_003.html
part0003_split_004.html
part0003_split_005.html
part0004_split_000.html
part0004_split_001.html
part0004_split_002.html
part0004_split_003.html
part0004_split_004.html
part0005_split_000.html
part0005_split_001.html
part0005_split_002.html
part0006_split_000.html
part0006_split_001.html
part0006_split_002.html
part0007_split_000.html
part0007_split_001.html
part0007_split_002.html
part0007_split_003.html
part0007_split_004.html
part0007_split_005.html
part0008_split_000.html
part0008_split_001.html
part0008_split_002.html
part0009_split_000.html
part0009_split_001.html
part0009_split_002.html
part0009_split_003.html
part0010_split_000.html
part0010_split_001.html
part0010_split_002.html
part0011_split_000.html
part0011_split_001.html
part0011_split_002.html
part0011_split_003.html
part0011_split_004.html
part0012_split_000.html
part0012_split_001.html
part0012_split_002.html
part0012_split_003.html
part0012_split_004.html
part0013_split_000.html
part0013_split_001.html
part0013_split_002.html
part0013_split_003.html
part0013_split_004.html
part0013_split_005.html
part0013_split_006.html
part0014_split_000.html
part0014_split_001.html
part0014_split_002.html
part0014_split_003.html
part0015_split_000.html
part0015_split_001.html
part0015_split_002.html
part0015_split_003.html
part0015_split_004.html
part0015_split_005.html
part0016_split_000.html
part0016_split_001.html
part0016_split_002.html
part0017_split_000.html
part0017_split_001.html
part0017_split_002.html
part0017_split_003.html
part0017_split_004.html
part0018_split_000.html
part0018_split_001.html
part0018_split_002.html
part0018_split_003.html
part0019_split_000.html
part0019_split_001.html
part0019_split_002.html
part0019_split_003.html
part0019_split_004.html
part0020_split_000.html
part0020_split_001.html
part0020_split_002.html
part0020_split_003.html
part0021_split_000.html
part0021_split_001.html
part0021_split_002.html
part0021_split_003.html
part0021_split_004.html
part0022_split_000.html
part0022_split_001.html
part0022_split_002.html
part0022_split_003.html
part0023_split_000.html
part0023_split_001.html
part0023_split_002.html
part0023_split_003.html
part0023_split_004.html
part0023_split_005.html
part0023_split_006.html
part0023_split_007.html
part0024_split_000.html
part0024_split_001.html
part0024_split_002.html
part0024_split_003.html
part0025_split_000.html
part0025_split_001.html
part0025_split_002.html
part0025_split_003.html
part0025_split_004.html
part0026_split_000.html
part0026_split_001.html
part0027_split_000.html
part0027_split_001.html
part0027_split_002.html
part0027_split_003.html
part0028_split_000.html
part0028_split_001.html
part0028_split_002.html
part0028_split_003.html
part0028_split_004.html
part0028_split_005.html
part0029_split_000.html
part0029_split_001.html
part0029_split_002.html
part0029_split_003.html
part0029_split_004.html
part0029_split_005.html
part0029_split_006.html
part0029_split_007.html
part0030_split_000.html
part0030_split_001.html
part0030_split_002.html
part0030_split_003.html
part0030_split_004.html
part0031_split_000.html
part0031_split_001.html
part0031_split_002.html
part0031_split_003.html
part0032_split_000.html
part0032_split_001.html
part0032_split_002.html
part0032_split_003.html
part0032_split_004.html
part0033_split_000.html
part0033_split_001.html
part0033_split_002.html
part0033_split_003.html
part0033_split_004.html
part0033_split_005.html
part0033_split_006.html
part0033_split_007.html
part0034_split_000.html
part0034_split_001.html
part0034_split_002.html
part0034_split_003.html
part0034_split_004.html
part0035_split_000.html
part0035_split_001.html
part0035_split_002.html
part0035_split_003.html
part0036_split_000.html
part0036_split_001.html
part0036_split_002.html
part0036_split_003.html
part0036_split_004.html
part0036_split_005.html
part0037_split_000.html
part0037_split_001.html
part0037_split_002.html
part0037_split_003.html
part0037_split_004.html
part0037_split_005.html
part0037_split_006.html
part0037_split_007.html
part0037_split_008.html
part0037_split_009.html
part0038.html
part0039.html