Cincinnati, Ohio
Mardi 4 novembre, 3 h 40

Deacon se fraya un chemin dans la masse de journalistes qui se bousculaient de l’autre côté du ruban de protection de la scène de crime. Pour la première fois depuis des années, il regrettait son apparence aussi spectaculaire. Il risquait d’attirer l’attention sur Faith.

— Pas de commentaire, répétait-il avec agacement.

Il serrait les dents chaque fois qu’un flash lui explosait en pleine figure. Demain matin, il serait en première page des journaux. Pas question que Faith se retrouve dans la même situation.

Dès son entrée dans le hall, il ne vit qu’elle, assise sur une chaise près de la réception. Comme promis, elle l’attendait. Le hall bourdonnait d’activité. Les employés de l’hôtel tentaient de calmer des clients hystériques. Des agents de la police de Cincinnati empêchaient les journalistes d’investir les lieux. Des experts judiciaires en blousons du FBI s’affairaient sur la scène. Mais Faith était assise, aussi immobile qu’une statue, mains croisées sur ses genoux.

Seule parmi la foule.

Il se dirigea vers elle, mais s’arrêta lorsqu’un jeune homme mince avec des lunettes d’écaille se mit sur son chemin.

— Agent Novak, je suis l’agent Taylor de l’antenne locale du Bureau.

— Le CPD a fait appel à vous ?

Taylor acquiesça.

— Je vais ratisser la scène ici et aussi celle d’en face. J’ai cru comprendre que vous revenez de l’autre hôtel ?

— Ouais. Sexe masculin, caucasien, chambre 245, une balle dans la tête. Le lieutenant Bishop est encore là-bas, elle attend votre arrivée et celle du légiste.

Deacon repartit vers Faith, mais Taylor le bloqua de nouveau, d’un demi-pas glissé.

— Autre chose, agent Taylor ?

Le jeune homme hésita.

— Votre trench-coat. C’est une preuve.

Deacon soupira. Il s’y attendait. Il enleva le manteau, grimaçant lorsque son épaule protesta.

— Je tiens à le récupérer. Notre vie commune est plus longue que la plupart des mariages.

— Je sais, répondit Taylor, avec un sourire en coin. Tout le monde connaît cette affaire que vous avez résolue avec l’unité de Baltimore. Votre trench a sa propre légende, en quelque sorte.

— Une légende, hein. Qui l’aurait cru ?

Deacon garda une expression neutre, même si la moindre mention de cette affaire lui donnait toujours envie de vomir.

Taylor avait le manteau, mais n’avait pas bougé d’un centimètre.

— Je vais aussi prendre votre chemise. Le gilet, également, dit-il d’un air confus. J’ai un T-shirt à votre taille. Et l’équipe du SWAT devrait pouvoir vous fournir un gilet.

Avec un nouveau soupir, Deacon s’empressa de déboutonner sa chemise en jetant un coup d’œil à Faith, de l’autre côté du hall. Elle l’observait. Avec assiduité. De son côté, il détourna les yeux en se dévêtant, puis se rhabilla, avec l’impression d’être trop exposé.

— Qui est chargé de superviser la scène de crime ?

— Le lieutenant Kimble. Il s’est installé dans la salle de repos, il recueille les déclarations du personnel de l’hôtel.

Merde.

— A-t-il interrogé le docteur Corcoran ?

— Je ne sais pas. Il faudra voir directement avec Kimble. Cela dit, elle paraissait bouleversée quand elle est sortie de la salle de repos. Je lui ai demandé si elle souhaitait que je prévienne quelqu’un et elle m’a expliqué qu’elle vous attendait.

Adam, tu es un homme mort.

— Merci de vous être occupé d’elle. Pouvez-vous me prévenir dès que vous en aurez fini avec le trench ? Je n’ai pas d’autre manteau et il fait froid en ce moment.

Taylor hocha la tête en s’écartant.

— Comptez sur moi. Mais ça pourrait prendre plusieurs semaines.

Deacon entendit à peine la fin de la phrase. Il traversait déjà le hall pour rejoindre Faith, qui se leva timidement, une foule de questions se pressant sur son visage.

— Combs vous a échappé, n’est-ce pas ?

— Oui. Nous avons trouvé la chambre où il s’était posté. Et le corps du type qui l’occupait.

Quand elle se laissa retomber sur sa chaise, le peu de couleur qui animait son visage avait disparu.

— Oh ! non.

Deacon s’accroupit devant elle et lui prit les mains. Les bandes qui les protégeaient étaient sales et effilochées, elle avait les doigts glacés.

— Vous n’y êtes pour rien, Faith, dit-il à voix basse.

Elle déglutit péniblement, les tendons crispés de sa gorge indiquaient sa tension.

— Je regrette de ne pas l’avoir tué quand il est entré dans ma chambre, cette nuit-là, chuchota-t-elle d’une voix rauque. Trop de gens sont morts. Comment allons-nous l’arrêter ?

Nous. Deacon eut la sensation qu’un poing s’était refermé sur son cœur et en avait chassé tout le sang. Nous. Dans la situation de Faith, la plupart des gens auraient abandonné la partie et se seraient mis à l’abri depuis fort longtemps, mais elle ne renonçait pas à se battre.

— Les tentatives de meurtre ont commencé au moment où vous avez hérité de la maison.

Il fut déconcerté en voyant l’éclat virulent qui traversa les yeux verts.

— Je déteste cette foutue baraque.

Il se pencha vers elle, attentif à chaque nuance de son expression.

— Pourquoi détestez-vous autant cet endroit ?

Ce fut comme s’il avait baissé un interrupteur. Elle cilla une fois et, quand elle releva les paupières, cette ardeur s’était transformée en un calme qu’il jugea de mauvais augure. Elle libéra ses mains d’un geste sec.

— Je crois vous avoir déjà dit que j’y avais de mauvais souvenirs, agent Novak. J’étais là-bas quand j’ai appris la mort de ma mère. Je l’ai vue mise sous terre. J’ai eu des cauchemars pendant des années. Et j’en ai encore.

Deacon soutint son regard sans ciller, manifestant ouvertement son scepticisme quant à cette explication. Par le passé, ce regard avait prouvé son efficacité à de multiples occasions, brisant la volonté de nombreux suspects — des jeunes voyous aux tueurs endurcis. Toutefois, Faith Corcoran garda tout son calme, le fixant d’un air impassible. Un soupir exaspéré échappa à Deacon, révélant toute l’étendue de sa frustration.

— Vous aviez promis de ne pas me mentir, Faith.

Cette fois, elle accusa le coup, manifestement touchée.

— J’ai tenu ma promesse. Je ne mens jamais. Ni à vous ni à personne d’autre, d’ailleurs.

Malgré tout, elle lui avait caché une partie de la vérité.

— Combs ne veut pas que vous preniez possession de cette maison. Pourquoi ?

L’incompréhension troubla l’expression déterminée de Faith.

— Parce que c’est là-bas qu’il a torturé Arianna et son amie. Vous avez dit qu’il y avait une « chambre de torture » dans la cave. Il ne voulait pas que qui que ce soit la découvre.

— Il y a une heure, je le croyais aussi. Mais, entre-temps, il a encore essayé de vous descendre, alors que nous étions déjà au courant pour la maison. Et que nous avions Arianna. On en parle partout. Pourquoi prendrait-il le risque de s’attaquer à vous, en ce moment ? Il était posté de l’autre côté de la rue, il a donc forcément vu la voiture de patrouille. Il a vu que je vous escortais. Il a filé juste quelques minutes avant que la police ne bloque les issues et que l’hôtel entier ne soit verrouillé.

Il se redressa légèrement et cela suffit pour qu’il envahisse l’espace de Faith. Elle recula d’un geste instinctif, mais il accompagna le mouvement. Lorsqu’il s’immobilisa, ils étaient presque nez à nez.

— Pourquoi, Faith ? Pourquoi a-t-il pris autant de risques ?

— Je n’en sais rien, bredouilla-t-elle. Et c’est la pure vérité. Je ne sais pas, tout simplement.

Elle voûta les épaules, révélant l’étendue de son épuisement et de sa confusion.

— Si je le savais, je vous le dirais, agent Novak. Je vous le jure.

— Je veux que vous retourniez à la maison, avec moi.

Elle ferma les yeux, avec un soupir las.

— Je savais que vous me le demanderiez. Quand ?

Demain. La semaine prochaine. Jamais.

— Maintenant.

Elle écarquilla brusquement les yeux, saisie d’une terreur presque tangible. Mais elle s’empressa de contrôler sa peur et de feindre le détachement. Son masque du moment, songea Deacon.

— Puis-je prendre d’abord une douche et me changer ?

Une onde de désir le prit au dépourvu, mais il réussit à conserver son impassibilité.

— Bien sûr.

Le masque de Faith glissa, ses lèvres tremblantes disaient toute son appréhension.

— Voulez… Acceptez-vous de m’accompagner ?

— A la maison ? Oui, naturellement.

Elle lui adressa un sourire forcé.

— Je n’en ai pas douté une minute. En fait, je parlais d’en haut…

Les joues de Faith s’empourprèrent d’un rouge sombre qui contrastait cruellement avec la peau trop pâle.

— Je vous promets de ne pas vous faire d’avances ni d’essayer d’enlever votre chemise. Si vous vouliez bien d’abord fouiller ma chambre et attendre devant la porte ensuite, j’apprécierais beaucoup.

Le sang qui irriguait le cerveau de Deacon déserta soudain pour s’amasser directement dans son entrejambe. La prochaine fois qu’elle tentera de m’arracher ma chemise, ce n’est sûrement pas moi qui l’en empêcherai.

— J’avais déjà prévu de m’assurer que vous seriez en sécurité dans cette chambre avant de vous laisser y entrer.

Il se leva et tendit la main.

— Venez, allons-y.

Sur tes traces
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