Est du Kentucky
Mercredi 5 novembre, 8 h 45

Corinne se réveilla en sursaut, le cœur battant, le souffle lourd et laborieux. Où…  ? Ah, oui. L’affût de chasse dans la forêt. L’évasion pour échapper au fou. Les bocaux remplis d’yeux.

Elle cilla, le plafond lui apparut plus nettement. La petite pièce n’était plus plongée dans l’obscurité totale, mais la lumière n’était pas encore complètement installée. Le lever du soleil. Elle avait dormi pendant presque douze heures. J’en avais besoin. Elle tourna la tête et découvrit une place vide, à côté d’elle. Roza. Corinne se redressa brusquement.

Et pressa la main sur son cœur qui s’était emballé, en un geste de soulagement. Assise dans un coin de l’abri exigu, Roza buvait de la soupe froide à même la boîte. Une autre boîte vide était posée à ses pieds. La gamine observait tous les gestes de Corinne avec circonspection.

— J’ai cru que tu étais partie, dit Corinne d’une voix éraillée, la gorge plus sèche que le vent du désert.

Roza la regarda comme si elle était devenue folle.

— Et pour aller où ?

— Très juste, dit Corinne avant d’examiner leurs provisions. Il ne nous reste pas grand-chose.

— J’ai pas tout mangé, lança Roza sur la défensive. Je t’ai laissé deux boîtes de soupe.

— C’est parfait, ma chérie. C’était plus de l’étonnement en me demandant comment une pile aussi petite avait pu peser si lourd quand je la transportais. Comment vont tes pieds ?

— J’ai mal.

Roza avait enlevé ses chaussures, révélant de vilaines ampoules suintantes.

— Moi aussi. Je déteste avoir à te dire de remettre tes chaussures, mais nous devons encore marcher un peu.

— Non, gémit Roza. Non, je t’en prie.

— Tu sais qu’il nous cherche. Et, toi, tu sais à quoi il ressemble.

La peur emplit les yeux de la gamine.

— Il me tuera parce que j’ai aidé ton amie.

— Je ne le laisserai pas faire. Mais il faut que tu marches, même si tu as mal aux pieds. C’est ce que font tous les bons soldats.

Roza prit un air sombre.

— Et je vais le tuer.

Corinne soupira.

— Mets tes chaussures, mon chou.

Elle lutta pour se mettre à genoux, chaque articulation de son corps était douloureuse. Allez, secoue-toi, soldat ! Elle se traîna jusqu’à la fenêtre. Rien à signaler.

En matière d’affût de chasse, celui-ci était de premier choix. Excellente visibilité. Au sec. Perché à un mètre quatre-vingts du sol. L’endroit les avait protégées des bestioles qui rôdaient certainement dans le coin. Si j’avais un fusil, je resterais ici et je lui mettrais une balle dans son putain de crâne, quand il se pointerait. Mais elle n’avait pas d’arme à feu. Elle ne disposait que de quelques couteaux de cuisine et d’une pelle.

Et elle avait besoin d’uriner.

— Je vais descendre la première. Reste ici jusqu’à ce que je t’appelle. S’il m’arrive quelque chose, tu te sauves en courant, compris ? Tu retournes près du panneau et tu continues à courir dans la direction de la Route 60.

Elle attendit que Roza hoche la tête, avant de saisir le bord de la fenêtre et de se hisser sur ses pieds. Serrant les dents, elle laissa la douleur refluer, puis saisit la pelle et les couteaux, juste au cas où les bestioles s’approcheraient trop. Elle tendit un couteau à Roza.

— Prends ça. Au cas où. Garde-le bien. On pourrait en avoir besoin.

Roza prit le couteau d’un air solennel.

— Je ne le perdrai pas, Rine.

— Très bien.

Corinne descendit l’échelle, puis trouva un peu d’intimité derrière un arbre. Alors qu’elle s’apprêtait à regagner le terrain découvert, un bruit de pas se fit entendre dans son dos. Elle pivota pour y faire face, le cœur battant dans sa gorge.

Et fut horrifiée de le découvrir devant elle.

C’est lui. Il nous a retrouvées. Elle recula et trébucha lorsqu’une de ses bottes trop grandes accrocha une racine.

— Non, chuchota-t-elle. Non.

— Je ne vais pas vous faire de mal, dit-il d’un ton apaisant en s’approchant. Je vous cherchais.

Tu m’étonnes. Corinne scruta le visage de l’homme, enregistra chacun de ses traits. Elle raffermit sa prise sur le manche du couteau, plaçant son avant-bras de manière à lui dissimuler la lame.

Il se rapprocha, paumes tendues, comme s’il n’avait vraiment pas l’intention de lui faire mal.

Elle attendit… attendit… Et, au premier mouvement qu’il ébaucha, elle frappa, de bas en haut, lui plongeant la lame dans le ventre aussi profondément qu’elle le pouvait.

La surprise et le choc vidèrent le visage de l’homme de toute expression, puis il baissa les yeux sur le couteau qui dépassait de son abdomen.

— Putain ! Mais tu m’as planté !

Il avança d’un autre pas chancelant et arracha l’arme de son ventre.

Corinne feinta vers la gauche, puis bondit à droite pour attraper sa pelle. Il se déplaçait beaucoup plus lentement, maintenant, une main crispée contre sa blessure, mais il bougeait encore. Rassemblant ses forces, elle courut se placer derrière lui, brandissant la pelle avec la poignée droit devant, comme une baïonnette. Elle frappa fort, puis sauta sur le côté, laissant son élan l’emporter, alors qu’il tombait sur un genou.

— Roza ! hurla-t-elle. Sauve-toi ! Cours !

Roza apparut à la porte, jeta un coup d’œil à Corinne et obéit. Elle dévala l’escalier et se rua dans la direction d’où elles étaient venues.

— Stop ! cria-t-il. Ne fais pas ça. Je suis venu pour…

Corinne changea sa prise sur la pelle et, la balançant comme une batte de base-ball, elle atteignit l’homme à l’arrière de la tête.

Il tomba. Enfin. Face contre terre, il ne bougeait plus.

Corinne se pencha, les mains sur les cuisses, haletante, en sueur. Elle tremblait comme une feuille.

— Je sais ce que tu es venu faire, espèce de salopard, cracha-t-elle.

Prends-lui ses clés, se dit-elle. Son téléphone. Et n’oublie pas son arme. Elle se rapprocha de l’homme et se pencha pour lui fouiller les poches.

Il bougea à la vitesse de l’éclair et lui saisit la cheville, serrant comme un étau. Ou des fers. Sans hésiter, elle lui abattit de nouveau la pelle sur la tête. Puis elle partit en courant comme si elle avait le diable à ses trousses, sans regarder en arrière avant d’avoir rejoint Roza près du panneau indicateur.

— Il est mort ? Tu l’as tué ? demanda la petite, tout essoufflée.

— Je ne sais pas. Je crois que je l’ai assommé, mais il n’arrêtait pas de se relever.

Elle attrapa la main de Roza.

— Allons-y. Partons avant qu’il ne nous retrouve. Cours.

Sur tes traces
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