Mount Carmel, Ohio
Lundi 3 novembre, 18 h 20

Le flic aux cheveux blancs avait arpenté toute la scène de crime et s’était entretenu avec tous ceux qui se trouvaient sur le terrain. Sauf moi, songea Faith. Depuis qu’il était arrivé, elle avait conscience d’être l’objet de son attention, même si ce n’était que par intermittence. Il l’examinait comme si elle était un insecte dans un bocal.

Ce qui, à bien y réfléchir, était plutôt ironique. De nous deux, c’est quand même lui le plus étrange. Avec ses cheveux blancs, son manteau de cuir et ces lunettes de soleil à la monture enveloppante et aux verres ultra-sombres.

Manifestement, il dirigeait les opérations. Tous ceux à qui il s’adressait suivaient ses ordres sans discussion. Cela dit, l’autre policier, celui qui était arrivé plus tard, avait quand même l’air fâché. D’un autre côté, la réaction initiale de l’adjoint du shérif qui avait accueilli le premier flic l’avait laissée perplexe. Et un peu nerveuse.

Plus que nerveuse, à vrai dire. Elle tremblait. Sans avoir vraiment entendu ce qu’il avait dit, elle avait observé sa bouche tout au long de la conversation. Jolie bouche, d’ailleurs ! Mise en valeur par le fin bouc blanc qui la soulignait, et permettait de déchiffrer encore plus aisément certains mots. Elle regardait donc ses belles lèvres, lorsqu’elle se rendit compte qu’il énonçait soigneusement une série familière de lettres et de nombres.

Il communiquait le numéro d’immatriculation de la jeep à la personne à l’autre bout de la ligne. Il a des soupçons.

Des soupçons à quel propos ? Tu n’as rien fait de mal. Et puis, il n’allait rien trouver. Elle avait fait modifier son nom sur tous ses documents personnels.

Et s’il creuse la question ? S’il découvre l’existence du docteur Faith Frye ? S’il passe quelques coups de fil à Miami ? Dans ce cas, tous ses efforts pour changer de vie finiraient en gigantesque gâchis. Dès qu’un des policiers de Miami serait informé de son changement d’identité, ils le seraient tous. Elle ne connaissait pas plus cancaniers que les flics. Et, quand la police l’apprendrait, il ne faudrait pas attendre très longtemps pour que sa nouvelle adresse « fuite ». Et alors, le cauchemar recommencerait.

De toute façon, elle le saurait bien assez tôt, conclut-elle pour en finir avec ce sujet. En revanche, son pouls s’accéléra à la perspective de sa rencontre imminente avec le flic aux cheveux blancs. Quand il s’immobilisa, il était tout près d’elle. Trop près. Beaucoup trop près.

— Madame Corcoran ? Je suis l’agent spécial Novak, du FBI.

Cédant un bref instant à la panique, elle retomba dans de vieux travers et baissa les yeux sur ses épaisses chaussettes de laine et sur le cuir étincelant des richelieus noirs. Il était si proche qu’elle pouvait sentir la chaleur irradier de lui. Entendre le pan de son manteau battre au vent, alors qu’il la toisait, dressé au-dessus d’elle de toute sa hauteur.

Il essaye de m’intimider. Et ça marchait. Reprends-toi. Tu vaux mieux que ça. Tu n’as rien fait de mal, bon sang. Regarde-le dans les yeux et dis-lui de reculer.

Elle leva le menton, s’apprêtant à parler, mais le mouvement trop brusque lui rappela instantanément la raison qui la maintenait assise à l’arrière de cette ambulance. Elle referma les yeux sous l’assaut d’une vague de nausée qui la heurta de plein fouet. Elle entendit un faible gémissement et se rendit compte qu’il était sorti de sa propre bouche.

Tu ne vas quand même pas vomir sur ses belles chaussures. Pas vrai ?

— Vous êtes l’urgentiste ? demanda-t-il.

Faith sursauta, elle avait presque oublié la présence du secouriste.

— Oui. Je m’appelle Jefferies, brigade des pompiers et des premiers secours de Mount Carmel.

— Comment va-t-elle ?

— Elle va bien, dit Faith, gardant toujours la tête basse et les yeux fermés. Et elle est parfaitement capable de parler pour elle-même.

— Heureux de l’entendre, fit Novak d’une voix égale. Jefferies, j’aimerais parler à Mme Corcoran avant que vous l’emmeniez. Pouvez-vous nous accorder quelques minutes ?

— Bien sûr, assura Jefferies. J’ai des rapports à remplir. Mais Mme Corcoran doit se faire examiner aux urgences. La contusion sur son front nécessite quelques points de suture. Ses mains aussi devraient avoir besoin de soins.

— Devraient ? Vous ne savez pas, si je comprends bien ?

— Elle ne m’a pas laissé la toucher, répondit Jefferies, légèrement sur la défensive.

— Et… pourquoi donc ? demanda Novak après un bref silence.

— J’avais peur d’avoir ramassé des indices en touchant la peau de la fille, répondit Faith. Le shérif a déjà pris mon manteau parce que je m’en suis servi pour la recouvrir, mais j’ai pensé que vos techniciens de la scientifique voudraient faire des prélèvements.

— Je vois, dit Novak. Autre chose, Jefferies ?

— Pas que je sache. Prévenez-moi simplement quand vous aurez terminé.

Faith tressaillit lorsque l’ambulance se balança sous l’impact de la portière du côté conducteur, même si Jefferies l’avait refermée en douceur.

— On en sait plus sur l’état de la fille ? demanda-t-elle.

— Elle est toujours sur le billard. Avez-vous d’autres blessures que vous pourriez laisser le secouriste examiner ?

La voix de Novak avait subtilement évolué. Plus basse et profonde, elle émettait une vibration hypnotique dont Faith tira d’abord un certain apaisement, avant d’éprouver de l’agacement. Comment pouvait-elle se laisser manipuler par une astuce aussi élémentaire ? Au fil des années, elle-même avait eu recours à cette technique vocale avec d’innombrables patients. De toute évidence, il avait été parfaitement entraîné. Elle tenta d’imaginer sa voix au naturel.

— J’ai un peu mal au crâne. Mes mains et mes genoux sont écorchés. Sinon, je vais plutôt bien.

— Ce n’est pas l’impression que vous donnez, dit Novak de sa voix apaisante. Vous avez plutôt l’air d’avoir le cœur au bord des lèvres.

— J’ai connu mieux.

J’ai aussi connu tellement pire.

— Mais je n’ai pas vomi sur vos chaussures, continua-t-elle. Enfin, pas encore. Si j’étais vous, je me dépêcherais. Elles ont l’air neuves.

Il gloussa, ce qui la prit au dépourvu.

— Elles ne sont pas neuves, seulement bien entretenues. Pouvez-vous me regarder ?

— Pourquoi ?

— Parce que j’aime voir les yeux de mes témoins quand je les interroge. S’il vous plaît.

Elle se souvint du mouvement de recul de l’adjoint du shérif. Novak avait-il une cicatrice qu’elle n’avait pas encore remarquée ? Le sentiment qu’on éprouve quand les gens vous fixent avec curiosité avant de détourner les yeux lui était malheureusement trop familier. Elle en avait souvent fait l’expérience à l’époque où son entaille à la gorge n’était pas encore complètement cicatrisée.

— Ça aiderait si vous n’étiez pas aussi grand. Regarder loin me donne la nausée.

Elle entendit le crissement étouffé du cuir lisse.

— C’est mieux ?

Faith ouvrit les yeux et découvrit qu’il n’avait pas seulement légèrement plié les genoux, mais qu’il s’était aussi penché en avant, empiétant encore plus sur son espace vital. Certes, il était possible que sa haute stature le force à adopter cette posture. Ses cuisses évoquaient des troncs d’arbres et semblaient tout aussi solides. Ses larges épaules bloquaient complètement la vue de Faith.

— Madame Corcoran ?

Docteur Corcoran, eut-elle envie de rectifier. Mais elle préféra s’abstenir et tenta plutôt de maîtriser l’accélération rapide de son pouls. Surtout, ne réagis pas s’il a une cicatrice. Elle leva la tête.

— Reculez, s’il vous plaît. Vous êtes…

Elle croisa le regard de Novak et sa bouche cessa de fonctionner au milieu d’une phrase.

Oh ! mon Dieu. Ces yeux. Ils étaient… fascinants.

Elle avait déjà rencontré des individus avec des yeux vairons. Elle avait rencontré des individus avec un iris bicolore. Pourtant, elle n’avait jamais vu d’yeux comme ceux de l’agent spécial Novak. Ils étaient marron foncé et bleu vif. Mais les deux couleurs étaient présentes dans chaque œil. Chaque iris était à moitié marron, à moitié bleu. Les teintes vives devenaient de plus en plus floues en progressant vers le centre, avant de se fondre sur une ligne de rencontre.

— Oh ! soupira-t-elle, incapable de détourner le regard. Ils sont réellement… magnifiques !

Il resta parfaitement flegmatique et, pendant un long moment, ils se contemplèrent en silence.

Il fut le premier à rompre le contact, se redressant de toute sa hauteur. De là où elle était assise, elle ne voyait plus que son ventre, les yeux de Novak avaient disparu de son champ de vision. L’espace d’un instant, elle se sentit un peu perdue.

Sentiment qui se dissipa rapidement, lorsqu’elle réalisa ce qu’elle avait dit. Et à haute voix. Ses joues s’enflammèrent, puis elle s’éclaircit la voix avant de reprendre la parole.

— Je suis navrée. J’étais juste… Je veux dire, je n’étais pas…

Elle soupira, c’était inutile, le mal était fait.

— Que voulez-vous savoir ?

— Racontez-moi ce qui est arrivé.

Maintenant, il s’exprimait d’une voix neutre. Dépourvue d’expression.

Super. Elle s’était débrouillée pour le froisser, même si c’est ce qu’elle cherchait avant tout à éviter.

— Eh bien, j’allais chez moi, enfin plus précisément ce qui va être chez moi. Et tout à coup elle était . Je ne sais pas d’où elle a pu sortir.

— Je croyais qu’elle était allongée sur la route.

Faith se força à se concentrer sur la fille plutôt que sur Novak, qui se tenait aussi rigide qu’une statue.

— Je ne pense pas. Je sais que je vais vous paraître dingue, mais c’est presque comme si elle avait bondi devant ma voiture.

— Bien, vous l’avez vue. Que s’est-il passé après ?

Faith ne manqua pas de remarquer qu’il n’avait pas commenté la partie qui concernait son état mental.

— J’ai pilé et j’ai donné un coup de volant. Ma jeep a dévalé le talus, puis a heurté un arbre. Ensuite, je suis sortie de la voiture et j’ai appelé le 911. J’ai rejoint la fille. Je lui ai pris le pouls, prodigué quelques soins de base.

Il s’accroupit de nouveau, puis saisit la main gauche de Faith avec précaution.

— Où l’avez-vous touchée ?

La grande paume de Novak était chaude. D’ailleurs, tout son corps irradiait. Elle dut résister au désir de s’appuyer contre lui, juste assez pour soulager le frisson glacial qui la parcourait. Quelle serait sa réaction, si elle essayait ?

Cela dit, la réponse importait peu. Elle n’avait pas eu de contact physique avec un homme depuis quatre ans et elle n’allait pas commencer maintenant. Surtout avec un flic, si fascinants que soient ses yeux.

— J’ai pris son pouls à la gorge et je l’ai touchée autour de sa blessure à la jambe, qui saignait pas mal. Ça ressemblait à une blessure par balle. J’ai utilisé mon écharpe pour étancher l’hémorragie, mais j’ai bien fait attention à ne pas toucher directement la plaie. De nos jours, on ne peut pas dire qui est en bonne santé ou pas. Mieux vaut prendre trop de précautions que le regretter, conclut-elle en haussant les épaules.

Sans lâcher la main gauche de Faith, il prit la droite et exposa les deux paumes.

— Vos deux mains sont couvertes de son sang.

— Ce n’est pas le sien. C’est le mien. Je me suis entaillé les mains en remontant le talus.

— Pourquoi ?

— Il y avait des cailloux tranchants dans la terre. Ou peut-être du verre brisé provenant des vitres de ma jeep.

— Non, je veux savoir pourquoi vous avez remonté ce talus.

Elle le considéra en fronçant les sourcils, intriguée.

— Parce qu’elle était blessée. Je ne pouvais pas la laisser couchée sur la route, comme ça.

Il la scrutait avec une intensité qui lui donnait la sensation d’être… exposée. Une partie d’elle avait envie de fermer les yeux, d’échapper à cet examen pénétrant, mais une autre partie de son esprit, plus audacieuse, presque oubliée, refusait de reculer. Elle le fixa et soutint fermement ce regard extraordinaire.

Novak se releva brusquement.

— Sergent Tanaka ! Par ici, s’il vous plaît. Apportez un kit de prélèvements.

Un homme d’une quarantaine d’années, d’origine asiatique, arriva à grands pas, sa valise de matériel à la main.

— Que se passe-t-il ?

— Madame Corcoran, voici le sergent Tanaka. Il dirige nos techniciens de scènes de crime. Tanaka, voici Mme Corcoran. Elle a refusé les soins parce qu’elle a touché la victime et voulait préserver d’éventuels indices. Pouvez-vous vous occuper de ses mains pour que le secouriste puisse traiter ses blessures ?

Tanaka évalua Faith d’un regard empreint de curiosité.

— Bien sûr.

Il transféra la crasse qui maculait ses mains dans des sachets à indices, tamponna le sang et gratta le dessous des ongles. Lorsqu’elle tressaillait, il lui présentait ses excuses.

Novak avait reculé pour laisser le champ libre à Tanaka et se tenait assez loin pour que Faith puisse le voir sans avoir à se tordre le cou.

Assez loin pour qu’il cesse d’envahir son espace et lui permette de retrouver une respiration normale. Il examinait son téléphone avec application, la laissant libre d’étudier son visage sans être distraite par ses yeux singuliers. Il était plutôt réussi dans le genre héros de film d’action, austère, imposant et séduisant. Faith était prête à parier qu’il ne passait jamais inaperçu. En imaginant que ses cheveux blancs et ses yeux si particuliers ne suffisent pas à le faire remarquer, le manteau de cuir noir et les lunettes de soleil enveloppantes, façon science-fiction, qu’il portait en arrivant remplissaient largement cet office.

Faith s’interrogeait sur cette volonté de se distinguer, de cultiver une apparence aussi reconnaissable. Si totalement inoubliable. Si spectaculaire.

Ce choix qu’il avait fait d’attirer l’attention la perturbait plus qu’elle ne voulait l’admettre. Elle avait passé la majeure partie de sa vie à tenter d’être invisible, mais Novak était aussi éloigné de l’invisibilité qu’un individu pouvait l’être.

Tanaka avait terminé ses prélèvements.

— Merci, dit Deacon. Je vais interroger Mme Corcoran, pour qu’elle puisse enfin recevoir l’assistance médicale dont elle a besoin. Ensuite, je rejoindrai Kimble.

Après le départ du sergent, Novak s’accroupit très bas, de manière à ce que Faith ne soit plus obligée de lever la tête pour le regarder.

— Je vais faire de mon mieux pour abréger notre entrevue. Vous m’avez dit que vous rentriez chez vous ?

— Oui. Je prévois d’emménager dans les environs.

— Sur cette route ?

Il semblait légèrement dubitatif et, si sa voix avait gardé la tonalité rassurante, son regard s’était fait plus perçant, déclenchant un signal d’alarme dans l’esprit de Faith.

— Oui, sur cette route.

— Je viens de regarder la carte sur mon téléphone et cette route s’arrête un kilomètre et demi plus loin. D’ici à la fin du tronçon, il n’y a aucune habitation. Juste un cimetière. Avez-vous prévu de construire, dans le voisinage ?

Euh. Voilà une éventualité qu’elle n’avait pas envisagée. En plus de la maison, elle avait hérité de vingt hectares. Elle pouvait en vendre dix-neuf et faire bâtir une superbe demeure sur le terrain restant. Sauf que ce projet de construction lui semblait un bien piètre usage de la somme issue de la vente de la propriété. Son père pouvait avoir besoin de cet argent.

Bon sang, je pourrais en avoir besoin moi-même, si je dois m’enfuir encore une fois.

— Non, je n’ai pas l’intention de faire construire.

Faith avait adopté le même ton lénifiant que lui et eut la satisfaction de voir une lueur d’étonnement traverser ses yeux singuliers. Elle continua sur sa lancée :

— Eh oui, il y a effectivement une maison au bout de la route. Si elle n’apparaît pas sur la carte, c’est qu’elle n’a pas une adresse traditionnelle. Pour autant que je sache, elle n’en a jamais eu. Mais on peut la voir sur Google Earth, une grande maison, vieille et abandonnée, avec un cimetière sur le terrain de derrière.

Il pencha légèrement la tête, signe qu’elle avait piqué sa curiosité.

— Elle est abandonnée ? Depuis combien de temps ?

— Vingt-trois ans.

— A qui appartient-elle ?

Elle prit une courte inspiration.

— Elle est à moi, maintenant.

— Vous l’avez achetée ?

Ces questions devenaient bien inquisitrices.

— Je ne vois pas en quoi ça vous regarde, rétorqua-t-elle froidement.

— Soyez sympa. Je pourrais trouver l’information en cherchant dans les archives publiques mais, en me le disant tout de suite, vous pouvez me faire gagner du temps. Un temps que je pourrais employer à rechercher l’individu qui a brutalisé cette jeune femme et l’a abandonnée ici pour y mourir.

Il s’était adressé à elle du ton d’un parent qui chercherait à culpabiliser son enfant.

Ça fonctionna. Faith détourna les yeux, mortifiée par sa réprobation. Et consciente que l’acte de propriété des archives pourrait encore la mentionner sous le nom de Faith Frye. Son avocat de Miami avait fait les démarches nécessaires pour le changement de nom plusieurs jours auparavant, mais il lui avait dit que la rectification risquait de prendre plus d’une semaine.

— La maison appartenait à ma grand-mère, mais elle n’y vivait plus depuis vingt-trois ans. Elle est morte le mois dernier et me l’a léguée.

— Et c’est resté vide pendant tout ce temps ? Vraiment ? Difficile à croire.

— Oh ! elle avait du monde qui passait nettoyer de temps à autre mais, d’après ce que j’ai vu hier, ça n’a guère changé. L’extérieur est entretenu par la Société historique parce que le cimetière est un monument historique. Mais pourquoi la maison vous intéresse-t-elle à ce point ?

— Oh ! je cherche juste à rassembler des éléments, dit-il d’un ton égal. Vous étiez armée d’un pistolet, à l’arrivée du shérif.

Elle cilla, désarçonnée par le brusque changement de sujet.

— Oui, répondit-elle sobrement, de nouveau sur ses gardes.

— Pourquoi ?

Cette fois, elle fronça les sourcils, incrédule.

— Pourquoi ? C’est une vraie question ? Peut-être parce que ma jeep était accidentée, que j’étais seule sur une route déserte, près de la victime inconsciente d’une violente agression ? Cette fille a été abandonnée par quelqu’un, agent Novak. Si cette personne traînait encore dans le coin, je n’allais pas lui laisser l’occasion de s’attaquer encore à elle. Ou à moi.

— C’est une attitude tout à fait raisonnable, effectivement. Mais, d’abord, pourquoi aviez-vous une arme, madame Corcoran ?

Pour abattre mon salopard de harceleur, s’il arrive à me pister jusqu’ici, songea-t-elle. Toutefois, elle eut la présence d’esprit de ne pas le dire à haute voix. Si elle en arrivait à tirer sur ledit salopard, elle ne voulait pas qu’on puisse prétendre qu’elle avait agi avec préméditation.

— De nombreuses femmes sont armées.

— C’est exact. Mais la plupart des civiles transportent leur arme dans leur sac. Le vôtre est resté dans votre voiture, pourtant vous aviez votre pistolet à portée de main.

Qu’il ait remarqué ce détail n’aurait pas dû bouleverser Faith, pourtant ce fut le cas.

— Je ne le porte pas dans mon sac.

— Dans un étui d’épaule, peut-être ?

— Non.

Il plissa les yeux, laissant filtrer sa frustration.

— Vous voulez vraiment que je me tape tout le boulot, c’est ça ? Très bien. Pourquoi gardez-vous votre arme à portée de main, madame Corcoran ? L’avez-vous prise volontairement dans votre jeep en pensant que vous en auriez peut-être besoin ? Vous en avez peut-être vu plus que vous ne le dites ?

Contre toute attente, l’entretien virait à l’interrogatoire soupçonneux et, pendant un bref instant, elle en fut toute décontenancée. Merde, alors ! Il croit que je mens. Ce qui n’était pas le cas. Elle avait simplement évité de divulguer des informations personnelles qu’il n’avait nul besoin de connaître. Il y avait quand même une différence !

— Non, répondit-elle avec fermeté. Je ne m’attendais pas à devoir faire usage de mon arme. Elle se trouvait dans la poche de mon manteau, si vous voulez tout savoir. Et, comme je vous l’ai dit, je n’ai vu personne en dehors de la fille. Je ne mens pas.

Il la fixa avec attention.

— Vous portez votre pistolet dans la poche de votre manteau ? Mais, bon sang, pourquoi faites-vous quelque chose d’aussi dangereux ?

Elle le foudroya du regard, gagnée par l’irritation.

— Je ne suis pas idiote, agent Novak. Je ne transporte pas mon arme sur moi sans protection. J’ai un holster de poche.

— Pourquoi ? insista-t-il, de plus en plus pressant.

Elle afficha une nonchalance feinte, dans l’espoir de faire baisser la tension d’un cran. Il recommençait à la rendre vraiment nerveuse.

— Parce que les étuis d’épaule ont tendance à m’irriter la peau.

D’un mouvement brusque, il quitta la position accroupie et se redressa tout en se penchant en avant, jusqu’à ce qu’il ait envahi tout son espace vital. Lorsqu’il s’immobilisa, ils étaient les yeux dans les yeux, presque nez à nez.

— Pourquoi portez-vous une arme dans votre poche, Faith ?

Sa voix était empreinte d’une telle autorité que ses défenses s’effondrèrent comme si elles n’avaient jamais existé.

— Pour pouvoir l’attraper facilement, si besoin, laissa-t-elle échapper.

Elle referma aussitôt la bouche. Mince. Elle n’avait pas eu l’intention de dire ça.

Il était très bon, elle devait le lui accorder. Il savait comment la manœuvrer. Pendant une minute, elle était redevenue l’adolescente qui se recroquevillait dans le confessionnal, pendant que le prêtre de sa grand-mère lui passait un savon de l’autre côté de la cloison à claire-voie. Novak s’était figé en entendant sa réponse et il l’interrogea d’une voix calme :

— Mais pourquoi en avez-vous besoin ?

Putain, ça ne vous regarde pas. Faith s’efforça de ravaler cette réplique acerbe. Par bonheur, ils furent interrompus à point nommé, ce qui lui épargna d’avoir à chercher une réponse plus diplomatique. Le flic qui discutait un peu plus tôt avec Novak venait d’arriver. L’agent fâché.

— Agent Novak, je dois vous parler. Tout de suite.

— Veuillez m’excuser, madame Corcoran.

Novak s’éloigna de quelques pas avec son collègue. Ils se placèrent de manière à se dérober au regard de Faith et discutèrent à voix basse.

Faith ferma les yeux. La soirée était complètement fichue. Le temps de sortir des urgences, il serait l’heure d’aller se coucher. Cela signifiait aussi qu’elle ne retournerait pas à la maison ce soir.

Elle grimaça. Oh ! non. Le serrurier. Il devait être encore là-bas. Sans quoi, s’il avait perdu patience, elle l’aurait vu passer. Et, depuis qu’elle avait heurté l’arbre, aucun véhicule n’était arrivé de la maison.

Malgré tout, elle s’étonnait que l’homme ait attendu aussi longtemps. Peut-être n’avait-il pas honoré le rendez-vous ? Ou alors il était encore là-bas, à faire le compte des heures supplémentaires qu’il allait lui facturer. Super, juste ce dont j’avais besoin pour parfaire mon bonheur !

Elle tapota ses poches, à la recherche de son téléphone, dans l’intention d’appeler le serrurier, puis se souvint que l’appareil était dans son manteau. Il ne manquait plus que ça. Le shérif avait gardé le vêtement comme pièce à conviction, puisqu’elle en avait recouvert la victime. Conséquence, ils avaient aussi son téléphone portable.

Novak et le policier fâché se séparèrent, l’autre homme alla se mettre au volant du break garé derrière le fourgon de la brigade scientifique. Novak revint vers l’ambulance et frappa à la vitre du conducteur.

— Jefferies, je dois m’absenter pour quelques minutes. Pouvez-vous prendre soin des mains de Mme Corcoran, entre-temps ?

Sans attendre la réponse, il partit en trottinant vers le break et sauta sur le siège du passager, avant que Faith ait une chance de lui parler de son téléphone.

Le véhicule se glissa le long de l’ambulance et disparut en direction de la maison. L’autre agent avait dû trouver des indices sur les animaux qui avaient balancé la fille.

Ça permet de relativiser la situation, songea-t-elle. Ses soucis de serrurier n’étaient rien en comparaison. Si l’homme s’était effectivement déplacé, il finirait par se lasser d’attendre et repartirait. Jusque-là, tout ce qu’elle pouvait faire était de rester ici, jusqu’à ce que Novak l’autorise à quitter la scène du crime.

— Vous êtes prête, madame Corcoran ? demanda Jefferies.

Faith leva ses mains avec un soupir.

— Comme toujours.

Sur tes traces
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