Cincinnati, Ohio
Lundi 3 novembre,
17 h 45
Appuyée contre la cloison du box des urgences, Scarlett Bishop regardait l’équipe de traumatologie préparer la victime pour l’intervention chirurgicale. Le kit de viol avait donné des résultats positifs. Peu étonnant quand on savait que la jeune fille avait été retrouvée nue.
L’œil rivé sur le visage de la victime, Scarlett guettait le moindre signe de lucidité, en vain. Elle avait déjà essayé de communiquer trois fois avec la fille, sans succès.
L’infirmière qui se tenait à la tête du lit recula, Scarlett se glissa dans l’espace libre pour une nouvelle tentative et se pencha tout près du visage tuméfié.
— Ma chérie, dit-elle d’une voix basse mais pressante. Réveille-toi, j’ai besoin de te parler, juste une minute.
— Nous l’emmenons dans moins d’une minute, lieutenant, la prévint le médecin.
— D’accord, d’accord, répondit Scarlett en songeant que les choses seraient sans doute plus faciles si elle connaissait le nom de la blessée. Ma douce, réveille-toi, je t’en prie. J’ai besoin de savoir ton nom.
Le désespoir de Scarlett avait filtré dans sa voix et, comme en réponse, les paupières de la victime frémirent. Scarlett retint son souffle.
— Faith, murmura la fille.
— Lieutenant, on la monte au bloc.
D’un regard suppliant, Scarlett quêta quelques secondes supplémentaires.
— Tu t’appelles Faith ?
La jeune femme secoua faiblement la tête.
— Non. Trouver Faith.
Oh ! non, elle parlait de trouver la foi2. La voix de Scarlett se fit plus douce.
— Tu veux parler à un prêtre ?
La mâchoire de la fille se crispa dans un geste infinitésimal.
— Non. Faith. Frye.
— D’accord.
Scarlett avait pris sa voix la plus apaisante, même si elle n’avait pas la moindre idée de ce dont parlait la jeune femme.
— Qui t’a fait ça ?
Les yeux marron se remplirent de larmes.
— Krin. Krin.
Un des moniteurs se mit à biper et l’équipe entra prestement en action.
— La TA s’effondre, lança une infirmière. Elle va entrer en fibrillation ventriculaire.
— Ça suffit, lieutenant ! jeta sèchement le médecin.
Il lança ensuite un chapelet d’ordres à son équipe, pendant qu’ils tiraient le brancard hors de la cabine et le faisaient rouler vers l’ascenseur.
En passant la porte des urgences, Scarlett sortit son téléphone et composa le numéro de l’analyste de son commandant.
— Crandall, ici Bishop. Voudrais-tu vérifier la liste des personnes disparues pour voir si une certaine Faith y figure. Un mètre quatre-vingts environ, de longs cheveux noirs, aux épaules, peut-être hispano-américaine.
— Une petite seconde.
Le clavier de Crandall cliqueta à l’arrière-plan.
— Non. Nous avons une Fawn et une Fiona. Aucune Faith.
— Je savais que c’était trop beau pour être vrai, marmonna-t-elle. Avant de venir ici, j’ai déjà fait une vérif à partir de la description des urgentistes, mais je n’ai rien trouvé. J’espérais qu’il y avait du nouveau.
— Attends, elle date de quand, ta vérif ?
— A peu près vingt-cinq minutes. Pourquoi ?
— Parce que je viens de recevoir un nouveau signalement, on l’a téléchargé il y a un quart d’heure. Arianna Escobar, dix-sept ans. Elle correspond à ta description et on l’a vue pour la dernière fois sur son campus de King’s College, où elle étudie en première année. J’ai une photo. Ne quitte pas. Je te l’envoie sur ton téléphone.
Scarlett courut jusqu’à sa voiture et elle bouclait sa ceinture quand la photo arriva. Il lui fallut un moment pour trouver la moindre ressemblance entre la fille qui figurait sur le cliché et la victime qu’elle venait de voir.
— Attends, c’est dur de dire si c’est la même fille. Cet enfoiré s’est lâché sur son visage. Mais je crois bien que c’est elle. Qui a déclaré sa disparition ?
— Sa colocataire, Lauren Goodwin. Tu la trouveras à la résidence Harrison. Je vais t’envoyer son numéro de portable.
— Merci, Crandall. Ça ne t’ennuie pas de dire à Isenberg que je file à King’s College ?
— Elle voudra avoir des nouvelles de la fille.
— Quand ils l’ont embarquée en chirurgie, ils chargeaient le défibrillateur.
Scarlett éprouva un pincement de culpabilité même si elle s’efforça de l’ignorer. Si elle n’avait pas insisté pour faire parler la victime… Dire qu’elle avait risqué la vie de cette fille, sans même obtenir quelque chose d’utile.
— En tout cas, croise les doigts, Crandall, ajouta-t-elle.
— Je prierai.
— D’accord, répondit Scarlett d’un ton neutre. Fais donc ça, aussi. Dès que j’ai quelque chose, je t’appelle.
Elle coupa la communication, regrettant d’avoir été dure avec Crandall, mais toute cette histoire de prières avait tendance à lui hérisser le poil. Ça lui avait toujours paru injuste que seules les prières de certains soient exaucées et pas celles des autres.
Laisse tomber, Scar. Son téléphone bourdonna, lui annonçant un SMS de Crandall qui lui transmettait les coordonnées de la colocataire d’Arianna. Merci, lui renvoya-t-elle avant de composer le numéro de la jeune Lauren.