Cincinnati, Ohio
Lundi 3 novembre, 22 h 25

— J’ai terminé, dit l’infirmière en refermant la porte du petit bureau où elle avait rempli les formalités avec Faith. Vous pouvez entrer, maintenant. Lorsque le Dr Novak arrivera, je la préviendrai que vous l’attendez ici.

Deacon trouva Faith installée à une petite table ronde, les mains croisées devant elle. Pour la première fois, il la voyait en pleine lumière. L’éclat de porcelaine de sa peau se rehaussait d’un léger semis de taches de rousseur sur le nez. La teinte de ses yeux était plus foncée qu’il n’y paraissait dans la pénombre du SUV.

Il se pencha au-dessus d’elle et s’attarda une seconde pour examiner les racines de ses cheveux, avant de s’asseoir devant la table, positionnant sa chaise de manière à voir le visage de Faith en face. Comme il s’y attendait, elle fronçait les sourcils.

— Je suis curieuse de savoir ce qui vous intéresse tant ?

Il n’avait pas encore menti à Faith, ce n’était certainement pas maintenant qu’il allait commencer.

— Je regardais vos cheveux. Ils ont une couleur très particulière.

Elle posa un regard lourd de sens sur la chevelure de Deacon.

— Parlez pour vous !

— Touché.

Il inclina la tête, puis sortit un carnet de son manteau et le laissa tomber sur la table.

— Bien. Quand a eu lieu le décès de votre grand-mère ? La date exacte ?

Elle le regarda sans comprendre.

— Le 25 septembre. Pourquoi ?

— Parce que je pars du postulat que vous êtes un simple témoin et que vous avez découvert Arianna par hasard.

Elle se figea.

— A vous entendre, on dirait que vous ne croyez ni l’un ni l’autre, fit-elle observer avec calme.

Il soutint son regard.

— Vous avez raison. Mais c’est uniquement parce que Arianna connaissait déjà votre nom.

— Elle l’a certainement entendu prononcer par le ravisseur. Il devait savoir que j’avais hérité de la maison.

— Comment l’aurait-il appris ?

— Si je squattais la cave de quelqu’un, je me tiendrais au courant de ce que fabrique le propriétaire. A commencer par une recherche en ligne pour découvrir son identité. Ça n’a rien de compliqué. Nul besoin d’avoir de super connaissances en informatique. Depuis combien de temps était-il là-bas ?

— Pourquoi ?

Une exclamation de frustration étouffée fusa des lèvres de Faith.

— Parce que, si ça remonte à plus de quinze jours, c’était le nom de ma grand-mère qui figurait sur l’acte de propriété, pas le mien.

Des images de la salle de torture dans la cave, du lit de camp usé et des menottes rouillées défilèrent dans l’esprit de Deacon. Le bureau, la cuisine, la petite alcôve souterraine…

— Imaginez que c’est antérieur.

— Très bien. Dans ce cas, il aurait découvert que ma grand-mère était la propriétaire. Il aurait aussi su que sa mort n’était qu’une question de temps, ajouta-t-elle avec tristesse.

— Comment aurait-il pu savoir une chose pareille ? demanda Deacon.

Elle haussa les épaules.

— Grand-mère avait quatre-vingt-quatre ans. Même si elle avait été en pleine santé, ce qui n’était pas le cas depuis des années, elle n’aurait pas vécu pour toujours. Si je squattais sa maison, j’aurais installé une alerte Google pour me prévenir de son décès parce que ça signifierait que la maison allait changer de mains. Ce qui implique des visites d’agents immobiliers, d’experts, d’acheteurs, d’inspecteurs des impôts. Ce type avait sans doute prévu de déménager avant que tout ce beau monde débarque. L’identité du nouveau propriétaire l’aurait aussi intéressé. L’avocat de ma grand-mère a transféré l’acte de propriété à mon nom, il y a deux semaines. L’information figure dans les archives publiques.

— Donc, vous imaginez que celui qui a agressé Arianna possède un ordinateur et s’y connaît en technologie.

— Qui n’a pas d’ordinateur de nos jours ? Il n’est peut-être pas jeune, mais il n’est pas vieux, non plus. Vous avez dit qu’il y avait des traces de bagarre derrière la maison et le préposé de la compagnie d’électricité a disparu. Le meurtrier a dû déplacer le corps. Donc, il doit être assez costaud pour ça. En tout cas, il n’a pas quatre-vingt-quatre ans, ça, c’est sûr et certain. Et, en imaginant qu’il ne s’y connaisse pas en informatique, il reste le bureau des archives. Bref, les moyens d’obtenir mon identité ne manquent pas.

Le raisonnement de Faith se tenait. Mais ce n’était pas le seul mystère. Pour quelle raison le ravisseur d’Arianna aurait-il révélé le nom de Faith à sa captive ?

— Quand a eu lieu la lecture du testament et qui y assistait ?

— C’était le 1er octobre. L’avocat nous a reçus individuellement dans son bureau. J’ignore si c’est sa manière de procéder habituelle ou s’il craignait qu’un de mes oncles ne fasse une scène.

Il haussa les sourcils.

— Donc vous avez effectivement séjourné ici plus récemment qu’il y a vingt-trois ans.

— Oui, je suis venue à Mount Adams pour la lecture du testament et j’ai rendu visite à Gran à plusieurs reprises ces dernières années. Mais je ne suis jamais retournée à la maison, ni du vivant de ma grand-mère ni après sa mort.

C’est bien ce qu’il soupçonnait.

— Pourquoi pas ? C’était la propriété de votre famille.

— Parce que, comme vous l’avez si habilement déduit plus tôt, je ne l’aime pas. Je n’avais pas l’intention d’y vivre.

Il jeta un regard au creux de sa gorge, là où le pouls palpitait avec rapidité. Elle était moins calme qu’elle n’y paraissait.

— Qu’aviez-vous l’intention d’en faire ?

— Le jour où j’ai découvert que j’en avais hérité, rien. J’étais trop choquée. Je croyais qu’elle m’aurait peut-être laissé quelques tableaux, mais sûrement pas la maison de Mount Carmel. Je ne l’avais jamais envisagé.

Chaque référence de Faith à cette fameuse maison s’accompagnait d’un léger mouvement de recul. C’était une réaction subtile, de celles qui semblaient profondément ancrées, songea Deacon. Il prit mentalement note du phénomène, prévoyant de l’analyser plus en profondeur.

— Avez-vous eu l’occasion de rencontrer l’un ou l’autre de vos oncles quand vous veniez en visite, ici ?

— Il m’est arrivé de déjeuner avec Jordan.

Elle offrait une image de sérénité, mais son pouls continuait à palpiter dans le creux de sa gorge. Deacon aurait aimé savoir si ce qui la troublait ainsi était la mention de la maison, de son oncle Jordan, ou des deux.

— Vous ne vous fiez pas à Jeremy, qu’en est-il de Jordan ?

Elle secoua légèrement la tête.

— Je ne m’engagerai pas dans cette voie, agent Novak. Je ne jette pas les membres de ma famille sous le bus, comme Kimble l’a exprimé avec tant de lyrisme. Vous voulez faire une enquête sur Jeremy, faites donc. Mais hormis quelques souvenirs d’enfance, qui ne semblent guère avoir de signification quand je les regarde d’un point de vue d’adulte, je ne le connais guère.

— Et Jordan ?

— Nous étions plus proches durant mon adolescence. Pendant les douze dernières années, je le croisais lorsque je venais voir ma grand-mère, parfois seulement quelques minutes. Il s’occupait d’elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans jamais se plaindre, mais il appréciait mes visites, car elles lui permettaient de prendre un peu de répit. En général, il partait peindre.

— Comment a-t-il pris le fait que vous héritiez de la maison ?

— Il était ravi, parce que cela signifiait qu’il n’aurait pas à se battre avec Jeremy pour la garder.

— Jeremy voulait la maison ?

— Je n’ai aucune certitude à cet égard, se hâta-t-elle de préciser. Je ne l’ai jamais entendu dire une chose pareille, parce que nous n’avons pas communiqué depuis des années. Mais d’après Jordan, s’il avait hérité de la maison, Jeremy et lui auraient fini devant un tribunal, parce que son frère aurait certainement contesté le testament. Ma grand-mère a été claire, elle ne voulait pas que Jeremy reçoive le moindre sou.

— Parce qu’il était gay ? demanda Deacon à voix basse.

Bien sûr, il connaissait des familles que ce sujet avait amèrement divisées.

Elle secoua la tête. Sa chevelure caressa ses épaules puis se déploya sur son dos. Comme de la soie, songea-t-il en s’interrogeant sur la sensation qu’il éprouverait en passant ses doigts à travers les mèches rouge foncé.

Hop là ! Il interrompit immédiatement ce train de pensées. Non, non, non. Pas comme de la soie. Comme des cheveux. Ce serait comme des cheveux. Rien de spécial.

— Je crois que ce qui posait problème à Gran était que Jeremy refusait de cacher ses préférences. Elle prétendait qu’il avait précipité la mort de mon grand-père. Bref, à en croire Jordan, le fait que j’hérite de la maison lui a épargné beaucoup d’ennuis et une fortune en honoraires d’avocats. Du reste, je dois absolument l’appeler pour lui parler de ce qui se passe.

— Je l’ai contacté pendant que vous dormiez dans la voiture. En fait, j’ai téléphoné à vos deux oncles. Aucun d’eux n’était joignable, j’ai donc laissé des messages sur leur répondeur en leur demandant de me rappeler.

— A cette heure de la soirée, Jordan est rarement chez lui. Il est marchand d’art et on dirait qu’il est toujours invité à une soirée quelconque. Vous aurez une meilleure chance de le joindre après 11 heures du matin. Mais…

Elle se mordit de nouveau la lèvre.

— Si jamais Jeremy était impliqué, et je ne dis pas qu’il l’est, mais si jamais c’était le cas, votre message ne risque-t-il pas d’éveiller ses soupçons ?

— Inutile de vous soucier de ça, pour l’instant.

Elle lui lança un regard contrarié.

— Parce que vous avez mis sa maison sous surveillance, c’est ça ?

Et aussi son bureau à la faculté de médecine, songea Deacon, sans toutefois le mentionner. Au lieu de cela, le visage impassible, il soutint calmement le regard de Faith, qui finit par lever les yeux au ciel.

— « Inutile de vous soucier de ça, ma p’tite dame », marmonna-t-elle d’une voix traînante et nasillarde.

Il réprima un sourire.

— Je ne vous ai pas appelée « ma p’tite dame ».

Elle haussa un sourcil.

— Mais vous l’avez pensé.

— Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas. Si j’ai bien compris, vous n’aviez pas l’intention de vivre dans la maison au moment où vous en avez hérité. Quand avez-vous changé d’avis ?

— Vendredi après-midi.

Il laissa passer un temps, mais elle n’ajouta rien.

— Vendredi dernier ? Il y a trois jours ?

Le jour où Arianna et Corinne avaient disparu. Il n’aimait pas du tout ça, mais insista, gardant un ton égal.

— Pourquoi ?

— Parce que j’ai reçu une offre d’emploi.

— Dans une banque, précisa-t-il, et elle acquiesça. Mais vous avez dû présenter votre candidature avant vendredi après-midi, donc vous avez dû au moins envisager de vivre dans cette maison, au préalable.

— Pas vraiment. Ce que je savais, c’était qu’il me fallait quitter Miami. Ma destination n’avait pas grande importance.

— A cause de Peter Combs.

Elle avala sa salive. Son pouls avait de nouveau accéléré.

— Oui. J’avais peur pour ma vie.

— Quand avez-vous décidé de quitter Miami ?

— Il y a un mois, même si j’y réfléchissais depuis plus longtemps. Comme je n’avais pas d’idée précise de l’endroit où je voulais aller, j’ai répondu à des annonces en ligne en proposant ma candidature pour plusieurs postes, dans tout le pays. A vrai dire, postuler pour la banque a été plus une sorte de lubie de ma part qu’un choix réfléchi. L’annonce avait retenu mon attention parce que je revenais justement de Cincinnati, après avoir vu l’avocat de ma grand-mère. Je correspondais aux qualifications demandées et ça payait plus que tous les autres boulots de ma liste. L’entretien s’est passé par Skype, la semaine suivante. Ensuite, ils ne m’ont plus donné de nouvelles, jusqu’à l’appel de vendredi après-midi. A ce moment-là, j’avais quasiment oublié leur existence.

— Donc, vous avez chargé votre jeep et vous avez pris la route le lendemain.

— Oui, plus ou moins.

— Qui savait que vous partiez vendredi ?

— Je vous l’ai déjà dit. Personne, sauf mon père et ma belle-mère. Et ils croyaient que ça allait se résumer à un bref séjour, le temps de contacter un agent immobilier et de mettre la maison en vente.

— Pourquoi pensaient-ils ça ?

— Parce que c’est ce que mon père a supposé et… je l’ai laissé faire. Il est en convalescence après une crise cardiaque.

Deacon haussa les sourcils.

— Vous voulez dire que vous lui avez menti ?

Il regretta immédiatement cette petite taquinerie en voyant les yeux de Faith se remplir soudain de larmes.

Elle les essuya d’un revers de sa main bandée.

— Je voulais l’épargner. Mon père sait ce que Combs m’a fait, il y a quatre ans, dit-elle en effleurant la cicatrice qui barrait sa gorge. Il n’a jamais quitté mon chevet pendant tout mon séjour à l’hôpital. En revanche, il ignore que j’ai été harcelée. Combs a bénéficié de sa conditionnelle quelques semaines après la crise de mon père. Je savais que cette nouvelle allait le bouleverser, donc je lui ai caché que Combs était dehors.

Avec l’impression d’avoir reçu une réprimande, Deacon trouva un paquet de mouchoirs dans une poche de son manteau.

— Ils sont froissés mais inutilisés.

— Merci.

Elle s’épongea les yeux, puis laissa échapper un rire à travers ses larmes.

— Je m’attends toujours à voir surgir des bras de robot de votre manteau, comme l’inspecteur Gadget. Vous avez encore beaucoup de choses cachées là-dedans ?

Soulagé de l’entendre rire, il lui adressa un grand sourire.

— On m’a déjà comparé à pas mal de personnages de dessin animé, mais jamais à Gadget.

Il s’appuya sur le dossier de son siège, sans la quitter des yeux.

— Un jour ou l’autre, vous devrez dire à votre père que vous vivez ici.

— Il le sait déjà. Je l’ai appelé ce soir en allant à la maison et je lui ai appris que je déménageais, mais je ne lui ai pas donné les vraies raisons. J’ai prétendu que j’avais besoin de changement. Je vous en prie, ne lui parlez pas de tout ça. Il n’y survivra pas et je ne me pardonnerai jamais.

Deacon regrettait amèrement de ne pouvoir lui dire ce qu’elle souhaitait entendre.

— J’ai dit que je ne vous mentirais pas, Faith. Vous êtes suffisamment intelligente pour ne pas me demander une chose pareille. Si cela s’avère nécessaire, je vais devoir lui en parler mais, à moins d’y être obligé, je m’en abstiendrai. C’est le mieux que je puisse faire. Quand Combs a-t-il été libéré ?

Faith garda une expression impassible mais, dans son regard, la peur avait cédé la place à une rage farouche qui le désarçonna quelque peu. Au moins, elle ne pleurait plus.

— Combs est sorti le 1er décembre de l’année passée, à 14 h 15. A 18 h 30, ce même jour, il achetait des légumes dans le supermarché Publix de mon quartier.

Espèce de salopard. Insulter mentalement Combs permit à Deacon d’endiguer sa colère.

— Ce n’était pas une violation de sa conditionnelle ?

Un muscle de la mâchoire de Faith tressaillit.

— Non.

Deacon aurait eu besoin d’obtenir plus de détails mais, à en juger par l’expression de Faith, il valait mieux y revenir plus tard.

— Vous avez dû avoir peur, dit-il avec calme, espérant l’apaiser.

En fait, elle lui hurla dessus :

— Vous croyez ? Il était partout. Devant la teinturerie, la banque, le cabinet de mon médecin, et même devant mon putain de salon de coiffure. Il a pris un abonnement dans mon club de gym et, un beau jour, je l’ai surpris à m’observer, de l’autre côté de la salle d’haltérophilie. Il me surveillait quand je grimpais le mur d’escalade. Il me suivait sur la piste de course et me souriait. Il m’a envoyé des fleurs et des bonbons. Ça a duré des mois.

— Avez-vous envisagé de demander une ordonnance restrictive ?

— J’ai envisagé de demander une ordonnance restrictive, évidemment ! siffla-t-elle. Pourquoi croyez-vous que je me suis fatiguée à déposer plainte et à remplir toute cette paperasse ? Je ne suis pas idiote, agent Novak.

— Ça ne m’a jamais traversé l’esprit, Faith.

Elle prit une profonde inspiration avant de continuer :

— Pour répondre à votre question, j’ai obtenu une injonction. Quelques semaines plus tard, je suis sortie dîner avec mon patron et quelques collègues. En quittant le restaurant, je suis allée reprendre ma voiture et j’ai vu Combs apparaître. Il est monté dans son véhicule, qui était garé sur l’emplacement voisin. Bien sûr, j’ai signalé la violation de l’injonction. De son côté, il a déclaré à la police qu’il ignorait ma présence et que sa petite amie l’avait envoyé chercher une prescription à la pharmacie. L’excuse de la petite amie a été vérifiée.

Espèce de salopard.

— Et qu’est-il arrivé à sa femme, la mère de la gamine qu’il a molestée ?

— Pendant le séjour en prison de Combs, elle s’est trouvé un nouvel homme et elle a demandé le divorce.

— Pauvre garçon. Mon cœur saigne pour lui.

Faith soupira.

— Cette femme n’a pas accordé un seul jour de thérapie supplémentaire à sa fille, au-delà du délai fixé par l’ordonnance de la Cour. Quand la sentence de Combs a été prononcée, elle s’est installée avec l’autre type, dès le lendemain.

Deacon trouva étrange qu’elle connaisse si bien les affaires de la famille, mais il approfondirait le sujet plus tard.

— Quel genre de voiture conduit Combs ?

— Une Nissan Sentra rouge. Elle est enregistrée au nom de sa nouvelle compagne.

Elle prit le carnet de Novak et y inscrivit le numéro d’immatriculation du véhicule.

— Je le connais par cœur, ajouta-t-elle.

— Accordez-moi une minute.

Deacon communiqua l’information par SMS à Bishop, Adam et Crandall, puis signala le véhicule au central.

— Que faites-vous ?

Faith se pencha pour mieux voir l’écran de son téléphone. En lui offrant une vision parfaite de ce qui se cachait sous le pull-over. Le cœur de Deacon manqua un battement, puis se mit à tambouriner sur un rythme d’enfer. Des seins ronds gonflés au-dessus d’un berceau de dentelle noire. Une peau d’un blanc crémeux. Douce, songea-t-il. Sa peau devait être si douce. Et il devait détourner les yeux. Maintenant.

Il s’exécuta avec effort et montra l’écran à Faith pour attirer l’attention de la jeune femme et s’accorder le temps de contrôler de nouveau son propre pouls.

— J’ai signalé le véhicule de Combs au central.

Elle le fixa, sincèrement désorientée.

— Pourquoi ?

— Juste au cas où il vous aurait suivie ou pourrait vous prendre en filature plus tard.

Ou s’il vous a suivie auparavant. L’implication de Combs dans cette affaire restait dans le champ des possibilités.

— Nous ferons de notre mieux pour éviter que votre nom paraisse dans la presse, mais ça arrivera tôt ou tard.

Elle se réinstalla sur sa chaise, dans une attitude rigide et contrôlée qui trahissait clairement sa peur.

— Je sais. J’en avais conscience au moment où j’ai appelé le 911.

Pourtant, cela ne l’avait pas empêchée de prévenir les secours. Elle n’était pas coupable. L’instinct et l’intellect de Deacon s’accordaient complètement sur cette conclusion.

— Nous avons besoin de découvrir de quelle manière il s’y prenait pour être informé de votre emploi du temps. Enregistrez-vous votre agenda sur votre téléphone ?

— Oui. Et je l’ai toujours sur moi.

Deacon lui adressa un sourire triste.

— De nos jours, ça ne fait guère de différence. S’il a piraté votre téléphone, il sait tout sur vous.

— S’il a piraté…  ? Je n’ai jamais même…

Elle pâlit, se tut un instant, puis reprit la parole d’un ton rageur.

— Il aurait pu me suivre à la trace, pendant tout ce temps. Bon sang ! Je suis vraiment idiote ! Comment ai-je fait pour rater ça ?

— Ne vous traitez pas d’idiote, répondit-il d’un ton ferme. Ce n’est pas votre boulot d’envisager ce genre de développements. C’était le boulot du flic qui a pris votre déclaration. Vous envisagiez de quitter Miami depuis des mois parce qu’il vous harcelait. Qu’est-ce qui vous a poussée à prendre votre décision, le mois dernier ?

Elle observa ses mains, les paumes et le dos, comme si elle y voyait quelque chose qu’il ne pouvait discerner.

— Mon patron a été assassiné. J’ai son sang sur les mains.

Deacon fronça les sourcils.

— Littéralement ou figurativement ?

— Les deux.

La bouche de Faith prit un pli amer et ses yeux verts se remplirent d’un mépris dont elle était manifestement l’objet.

— J’ai essayé de le sauver, mais l’hémorragie l’a tué avant l’arrivée des secours. Gordon était un homme bien. Correct. Il avait deux enfants et son épouse était enceinte. Il ne méritait pas de mourir d’une balle qui m’était destinée.

Deacon recula sur sa chaise, continuant à l’étudier. Pas une once de mélodrame dans le regard vert. Il émanait d’elle une gravité froide, brutale.

— Comment savez-vous que vous étiez visée ?

— Parce que, quelques jours plus tard, Combs a tenté de me pousser d’un pont et a tiré sur ma voiture.

L’information choqua Deacon. S’il n’en laissa rien paraître, il dut tout de même prendre un instant pour ordonner la suite de ses questions. Il avait besoin de savoir comment et quand les choses s’étaient déroulées. Si elle avait été blessée au cours d’une des agressions. Quel était le problème avec les flics qui avaient reçu ses plaintes, mais avaient laissé la situation dégénérer à ce point ? Mais, par-dessus tout, il avait besoin de comprendre les mobiles du criminel.

Certes, les émotions de Deacon l’incitaient à s’inquiéter pour cette femme, mais son esprit demeurait rationnel. Le harcèlement était déjà une atteinte assez grave. Les tentatives de meurtre répétées sortaient véritablement de l’ordinaire. Un séjour en prison déclenchait rarement des représailles aussi violentes. Si c’était le cas, la police aurait bien plus d’homicides à résoudre. Sans compter que les flics et les procureurs seraient en tête de la liste des victimes. La place des thérapeutes semblait figurer tout en bas.

Qu’est-ce qui avait pu faire passer Combs du harcèlement à des tentatives de meurtre répétées ? C’était…

Personnel. L’estomac de Deacon fut parcouru d’une lente contraction au moment où il évoqua l’accusation que Combs avait portée durant son procès — que Faith avait été sa maîtresse. En la regardant en cet instant, il ne pouvait y croire.

Non, rectifia-t-il. Il ne voulait pas y croire parce qu’elle lui plaisait sincèrement. Il laissait ses sentiments prendre les rênes et c’était un luxe qu’il ne pouvait se permettre.

— Nous devrions peut-être remonter au-delà du moment où vous avez hérité de la maison, dit-il avec circonspection. Revenons à Combs. Il était votre patient, c’est ça ?

Une expression de répulsion marqua brièvement le visage de Faith, puis tout éclat, toute émotion déserta ses traits, qui prirent une immobilité de statue. La transition inspira à Deacon l’envie de grincer des dents. Naturellement, il n’en fit rien et se cantonna au contraire à sa neutralité précédente.

Elle s’adossa à son tour, imitant la posture de Deacon. Sous son regard scrutateur, il eut le pressentiment qu’il n’allait pas aimer ce qu’elle s’apprêtait à dire.

— Vous pensez que j’ai bien cherché ce qui m’arrive, agent Novak. En ce moment, vous vous dites que le lieutenant Kimble avait vu juste, que je pourrais être compromise, après tout. Vous pourriez même croire que Combs disait la vérité à propos de nos relations.

Elle lui adressa un sourire railleur. Froid.

— Vous savez ce que je crois, agent Novak ? Je crois que je devrais prendre un avocat. Dès maintenant.

Sur tes traces
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