Cincinnati, Ohio
Jeudi 6 novembre, 4 h 30

Un léger coup frappé à la porte réveilla Deacon. Il rêvait qu’il tenait Faith dans ses bras. Puis il se rendit compte que ce n’était pas un rêve. Dans la nuit, ils avaient changé de position et n’étaient plus imbriqués. Lui était allongé sur le dos et elle était drapée sur son corps, comme une douce couverture rousse.

On frappa de nouveau.

— Deacon ? C’est Scarlett. Je dois te parler. C’est important.

Il se coula sur le côté, abandonnant à regret la tiédeur du corps de Faith, puis lui glissa un murmure à l’oreille pour qu’elle se rendorme.

— Juste une seconde, dit-il à l’adresse de Bishop.

Il enfila un pantalon de survêtement et un T-shirt, puis se glissa dehors en s’arrangeant pour qu’elle ne voie pas l’intérieur de la chambre. Mais, à en juger par l’expression de Scarlett, elle n’était pas dupe.

— Je ne suis pas là pour faire la tournée des lits, on n’est pas en colo. D’ailleurs, je ne veux rien savoir, dit-elle, puis elle montra son téléphone. Vega vient de m’appeler. Elle a fini par interroger la petite amie de Combs, aujourd’hui, mais la conversation a pris un tour inattendu. Combs est mort et ça remonte sans doute à un mois.

Deacon marqua un temps d’arrêt.

— Quoi ? Comment ?

— D’après la petite amie, il aurait rencontré un type armé qui l’a forcé à conduire jusqu’aux Everglades. Le type a descendu Combs et a laissé son cadavre sur place. La petite amie a tout vu, mais n’en a parlé à personne, de peur de devenir une cible à son tour. Elle a enterré Combs.

— Vega a trouvé le cadavre ?

— Ouaip, il y a une heure. Elle nous a envoyé un SMS à tous les deux, mais j’ai préféré l’avoir d’abord au téléphone avant de te réveiller. Ils ont extrait une balle du crâne. D’après les analyses balistiques, elle correspond à l’arme qui a tué Gordon Shue.

Deacon se laissa tomber sur la chaise la plus proche.

— Merde. C’est dingue. Donc, Combs n’a absolument rien à voir avec notre affaire ?

Bishop prit le siège voisin.

— Nan. Vega a vérifié la liste de ses appels. La veille du meurtre de Gordon Shue, il a reçu un appel dans la soirée qui provenait d’un numéro avec un indicatif de Miami. Vega pense que ce mystérieux type a peut-être tenté de convaincre Combs d’assassiner Faith. Pour une raison inconnue, Combs aurait refusé.

— C’est absurde, étant donné qu’il avait déjà tenté de la tuer.

— D’après la petite amie, Combs semblait avoir peur du type, parce qu’il a vidé son compte en banque comme s’il s’apprêtait à filer. Oh ! Encore un truc important. La petite amie prétend que Faith a pris une photo qui a permis de faire arrêter Combs, la première fois.

Deacon cilla.

— Vraiment. Et qui lui a dit une chose pareille ?

Bishop le fixa, l’œil mauvais.

— Je suis fatiguée et de mauvaise humeur, alors, arrête tes salades, Novak, et fais comme si tu étais mon partenaire. Est-ce que Faith a pris cette satanée photo ?

— Oui, dit Faith, derrière eux. Elle a pris la photo.

Deacon tourna vivement la tête vers l’endroit d’où provenait la voix. Faith se tenait sur le seuil de la chambre qu’elle aurait dû occuper, plus ou moins habillée comme lui.

— Qu’as-tu entendu ? demanda-t-il sobrement.

— Tout.

Elle traversa la pièce et s’installa sur le divan le plus proche de Deacon.

— Alors, il est mort, reprit-elle. Tout ce que j’ai fait pour tenter de lui échapper, mon changement de nom, c’était pour rien ? Il était déjà mort ?

— On dirait bien, répondit Bishop. Selon le médecin légiste de Miami, le degré de décomposition est cohérent avec un séjour d’un mois sous terre. J’ai des photos, si vous voulez des preuves.

Faith grimaça.

— Ça ira. Je vous crois. Est-ce que la petite amie a pu décrire l’assassin ?

— Ouais. Mais ça ne tient pas debout, ça non plus. Elle a raconté qu’il avait la corpulence de Combs, mais qu’il avait la démarche d’un robot et qu’il était chauve. Chauve comme un œuf.

Deacon fronça les sourcils, faisant appel à sa mémoire.

— Certains tueurs se rasent la tête et s’épilent entièrement pour éviter de laisser des traces d’ADN.

Faith croisa étroitement les bras, comme pour se réconforter.

— J’imagine que vous pourriez aller voir tous les suspects et leur tirer les cheveux pour vérifier s’ils portent une perruque. Et je ne plaisante qu’à moitié. Alors, si Combs n’est pas du tout impliqué, ça nous laisse où ?

Bishop se frotta le front.

— Comme suspects, il nous reste Jeremy, Herbie Trois et Stone.

— Sans oublier Jordan, précisa Deacon. Pour l’instant, je le remets avec les autres. Je dois encore vérifier l’alibi fourni par Alda Lane. En attendant qu’elle le confirme, je préfère considérer la culpabilité de Jordan comme une possibilité.

Faith semblait mal à l’aise, comme si elle avait envie de dire quelque chose, sans oser se lancer.

— D’accord, dit Bishop. Jordan réintègre le classement. Le mobile tourne toujours autour de cette satanée baraque, puisque les attaques ont commencé après la lecture du testament.

— Ça remonte peut-être à plus tôt, lança Faith à mi-voix.

Deacon et Bishop se tournèrent vers elle du même mouvement.

— On a déjà essayé de te tuer, avant ça ? s’enquit Deacon.

— C’est possible. D’ailleurs, je voulais te parler de quelque chose, hier soir. En examinant la liste des boursiers de la fondation, on a fait quelques découvertes. En fait, deux schémas principaux ont émergé. D’abord, plusieurs bénéficiaires n’ont probablement jamais existé. Les dossiers sont des faux.

— Quelqu’un détournait de l’argent, dit aussitôt Bishop.

— Il y a vingt-trois ans, Jeremy a accusé Jordan de puiser dans les fonds de la fondation, fit observer Deacon.

— A ma connaissance, ça n’a jamais été prouvé !

Après cette véhémente protestation, Faith soupira.

— Evidemment, c’est un élément qu’on ne peut pas tout simplement écarter, reconnut-elle. On a aussi déterminé un deuxième schéma, qui concerne cette fois le moment choisi pour certains enlèvements. Corinne et Arianna ont disparu le lendemain de l’incendie de mon appartement de Miami. Roxie Dupree a été prise le lendemain du jour où j’ai failli me faire pousser du pont.

— Ça alors, souffla Bishop. C’est énorme. Isenberg est au courant ?

— Oui. Elle était à la maison pendant la majeure partie du temps que j’ai passé là-bas. J’étais donc tout à fait en sécurité.

Elle ponctua cette remarque ironique d’un coup d’œil gentiment taquin adressé à Deacon. Il admit sa défaite de bon cœur.

— C’est bien enregistré… As-tu découvert d’autres enlèvements qui auraient un rapport avec toi ?

— Il y en a eu un le lendemain de la lecture du testament de Gran. Un autre, une semaine avant la mort de mon grand-père Tobias. Et un troisième, le lendemain de la lecture de son testament. Et puis, une femme a été enlevée, il y a trois ans, quelques jours après que j’ai eu un très grave accident de voiture.

— Une semaine avant la mort de ton grand-père ?

Deacon intégra cette information à ses réflexions, puis cligna des yeux, lorsque le sens des dernières paroles de Faith arriva à sa conscience.

— Attends. Toi aussi, tu as eu un accident de voiture ? Il y a trois ans ?

— Oui. C’est également arrivé à mon père, il y a une dizaine d’années. C’est vrai qu’il y a eu pas mal d’accidents de la circulation dans notre famille. Je n’y avais jamais vraiment réfléchi, jusqu’à présent.

— Que s’est-il passé pour toi ?

— Tout à coup, mes freins n’ont plus répondu et j’ai traversé le terre-plein, mais j’ai pu éviter les voitures qui venaient à contresens en donnant un coup de volant. J’ai fini contre un arbre. A l’époque, personne n’a pensé à un sabotage. La police a conclu que j’avais dû m’endormir au volant. De mon côté, je me suis dit que c’était possible, parce que j’avais des troubles du sommeil, à cette période. Combs m’avait tailladé la gorge et je divorçais de Charlie parce qu’il m’avait trompée. Je n’en ai pas fait toute une affaire, parce que je ne voulais pas que mon père l’apprenne. Il croyait que ma mère était morte dans un accident de voiture et je ne voulais pas l’inquiéter.

Perplexe, Bishop fronça les sourcils.

— Un moment. Il y a une question qui me travaille depuis des jours et il faut vraiment que je la pose. Comment se fait-il que votre père ne sache pas la vérité sur la mort de votre mère ? Il n’y a pas eu d’autopsie ?

— Non.

Faith secoua la tête, le regard vide. Deacon reconnut son mécanisme de défense.

— Pas de ça avec moi ! s’exclama Bishop.

Elle se leva d’un bond, saisit le menton de Faith et lui imprima une petite secousse.

— Deacon ne va pas vous obliger à parler parce qu’il a un faible pour vous. Ce n’est pas mon cas. Alors, sortez de votre transe, Faith, et répondez à mes questions. Y a-t-il vraiment eu un accident ? Ou était-ce seulement l’histoire que votre famille a racontée aux gens ?

Faith eut un mouvement de recul, mais son regard s’anima, puis se teinta d’irritation. Elle se dégagea d’un geste vif.

— Oui, lieutenant. Il y a eu un accident. J’ai vu des photos de l’épave. La voiture a brûlé. J’ai vu des photos de son corps calciné. Et ne vous avisez plus de poser les mains sur moi.

Deacon la fixait, horrifié. Elle a vu les photos ? Pourquoi ? Qui a osé lui montrer ces photos ? Puis, une fois de plus, le sens des paroles de Faith lui parvint avec un léger décalage.

— Attends un peu. Je croyais que ta mère s’était suicidée ?

— C’est exact, répondit-elle d’un ton neutre. L’accident de voiture était une mise en scène.

— Y a-t-il eu une autopsie ? insista Bishop, sans la moindre nuance de remords dans la voix.

— Non. Le coroner a déclaré qu’il ne restait pas grand-chose de sa dépouille et personne ne voulait d’une autopsie. Mon grand-père venait à peine de mourir. Ils voulaient enterrer ma mère au plus vite.

A mesure qu’elle parlait, le regard de Faith avait dérivé et elle s’exprimait avec un léger chantonnement qui donnait l’impression qu’elle avait appris ce discours par cœur depuis longtemps.

Bishop lui saisit de nouveau le menton.

— Avez-vous trouvé votre mère pendue au plafond, dans la cave de votre grand-mère ?

Faith se leva d’un bond et, les poings serrés, se dressa sur la pointe des pieds pour se trouver nez à nez avec Bishop.

— Oui ! hurla-t-elle. Je l’ai trouvée, bon sang ! Je l’ai trouvée !

Bishop maintint la pression sans céder le moindre pouce de terrain.

— Comment ? Elle était pendue à une écharpe ou à une corde ?

— Une corde ! Elle était pendue à une corde et elle était morte. Voilà, vous êtes contente, maintenant ? Ma mère s’est suicidée et c’est moi qui l’ai trouvée.

Mais Bishop n’était pas encore satisfaite et continua, sans merci.

— A quelle distance du sol se trouvaient ses pieds ?

Toujours dressée sur les pointes, Faith serra les mâchoires et cilla une fois, libérant quelques larmes qui roulèrent sur ses joues.

— C’était à peu près cette distance, jeta-t-elle en écartant les mains d’une douzaine de centimètres. Pourquoi ?

— Y avait-il une chaise renversée ?

Faith cilla derechef et fit lentement un pas en arrière, considérant Bishop comme si celle-ci parlait une langue étrangère.

— Quoi ?

— Y avait-il une chaise renversée ?

L’incertitude voila un instant le regard de Faith, et elle essuya ses larmes.

— Je… je ne sais pas. Pourquoi ?

Bishop reprit sa place.

— Très bien. Comment a-t-elle fini dans la voiture ? C’est important parce qu’il y a déjà eu de nombreux accidents de la circulation dans cette affaire. Le vôtre, celui de votre mère, celui de votre oncle Jeremy. La mère de famille dans votre ancienne voiture de Miami. Alors, comment est-elle arrivée là ?

— Je ne sais…

Faith sembla soudain prise de nausée.

— C’est mon oncle qui s’en est occupé.

Deacon ne cacha pas son étonnement.

— Comment ?

— Je n’en sais rien ! s’écria Faith, qui ne semblait plus contenir son exaspération. J’avais neuf ans. Il m’a juste dit qu’il allait s’en occuper.

— Que s’est-il passé, ce jour-là, Faith ? demanda Bishop avec calme. Commencez depuis le début.

Faith recula encore d’un pas, puis d’un autre, heurta la table et secoua la tête. Puis elle lança un regard à Deacon, où se mêlaient panique et désespoir.

— Je… je… Je suis…

Elle fit demi-tour, se précipita dans le petit cabinet de toilette adjacent et claqua la porte. Deacon ferma les yeux et laissa échapper un soupir en l’entendant vomir. Il se passa les mains sur le visage, incapable de se rappeler un moment où il avait ressenti une telle impuissance. Excepté la nuit où sa mère était morte.

— Merde, souffla-t-il.

— Il faut absolument qu’elle nous parle.

Alerté par la voix mal assurée de Bishop, Deacon ouvrit les yeux et découvrit des larmes dans les yeux noirs de sa partenaire. Mais elle se releva et ajusta l’ourlet de son sweat-shirt d’un geste martial, comme elle l’aurait fait d’un uniforme.

Ils entendirent l’eau couler un instant, puis le silence se prolongea. Bishop s’apprêtait à frapper à la porte, lorsque le battant s’ouvrit. Faith émergea de la petite pièce, tête basse, un rideau de cheveux voilait partiellement son visage, mais ses épaules courbées et ses bras serrés autour de son torse trahissaient sa détresse. D’un pas lourd, elle alla se poster devant la baie vitrée et sa vue à un million de dollars, regardant dans le vide, le visage soigneusement dépourvu de toute trace d’émotion.

Ne sachant quelle attitude adopter, Deacon traversa la pièce, s’arrêta près d’elle et lui caressa le dos, retrouvant le geste de consolation qu’elle avait eu pour lui, la veille.

Elle ravala un sanglot, puis soupira.

— Je suis désolée. C’est… Je crois que tout a commencé la veille, à la lecture du testament. Mes parents avaient eu cette horrible dispute…

Elle laissa la phrase en suspens. Deacon l’encouragea à mi-voix :

— A propos de quoi ?

— Ma mère était en colère contre son propre père, parce qu’il ne leur avait pas laissé d’argent. Mais elle était aussi fâchée contre mon père, parce qu’il avait frappé et insulté oncle Jeremy.

Elle s’inclina légèrement vers lui, d’un geste un peu raide, la tête effleurant à peine son épaule.

— De son côté, papa était furieux parce qu’elle refusait d’admettre que son frère était un pervers qui devrait être enfermé. Et il était dégoûté de constater que l’argent comptait à ce point pour elle.

Faith prit une profonde inspiration et resserra l’étreinte autour de son propre corps, coinçant les mains sous ses aisselles. Deacon continuait à lui frotter le dos, d’un geste patient. La baie vitrée lui renvoyait le reflet de Bishop, qui se tenait derrière eux.

— Pourquoi ? demanda Bishop à mi-voix. Pour quelle raison ne voulait-il pas cet argent ?

Faith haussa les épaules.

— Il devait devenir prêtre. Les choses matérielles ne représentaient rien à ses yeux. Ce n’était pas le cas de ma mère. Elle aimait les tentures épaisses et les théières en argent. Le lendemain, au petit déjeuner, tout le monde était mal à l’aise. On les avait tous entendus se hurler dessus. Je me souviens simplement que j’essayais de me faire aussi petite que possible.

— Invisible, murmura Deacon, et elle hocha la tête.

— Après le petit déjeuner, mon père a pris la voiture en disant qu’il avait besoin de sortir de ce « mausolée » et qu’il reviendrait plus tard. Ma grand-mère a pris des comprimés pour dormir et ma mère… Elle cherchait quelque chose. Peut-être une bague ou une broche. Je ne m’en souviens même pas. Elle ne cessait de marmonner des choses à propos de son héritage. D’avoir perdu son héritage. Elle me faisait peur, alors je suis allée lire dans ma chambre. Je savais que papa n’allait pas tarder à rentrer et que nous étions censées être prêtes à partir, mais ma mère n’avait pas encore commencé à faire les bagages. Je suis partie à sa recherche, pour lui rappeler qu’il fallait se dépêcher. J’ai fouillé toute la maison, mais elle n’était nulle part. Le seul endroit où je n’étais pas allée était la cave, alors j’y suis descendue en comptant les marches comme toujours.

Elle s’arrêta et prit une profonde inspiration, puis une autre, chacune plus tremblante que la précédente.

— Tu as descendu l’escalier ? murmura Deacon.

Elle hocha la tête.

— Quand je suis arrivée en bas, je me suis tournée…

Elle s’arrêta de nouveau, pinça les lèvres et déglutit avec effort.

— Et j’ai vu ses chaussures, souffla-t-elle.

Deacon posa la joue contre sa tête et se tint simplement près d’elle, attendant qu’elle soit prête à continuer.

— Des Keds rouges, ajouta-t-elle, d’une voix à peine audible.

— Pardon ? demanda Bishop à voix basse.

Faith s’éclaircit la gorge.

— Des chaussures de sport rouges, des Keds. Les lacets traînaient par terre.

— Qu’avez-vous fait quand vous l’avez vue ?

— Je l’ai regardée, répondit Faith, tout bas. Je ne pouvais même pas hurler. Ensuite Jeremy s’est retourné et il a vu que j’étais là.

Deacon s’étonna.

— Jeremy était là quand tu l’as découverte ?

Il s’attendait à ce qu’elle parle de Jordan. Parce que Jeremy aurait dû être absent à ce moment-là. Il leur avait dit qu’il avait quitté la maison la veille, après la lecture du testament, et qu’il n’y était jamais revenu.

Elle hocha lentement la tête.

— Il coupait la corde. C’est à ce moment-là que je me suis mise à hurler et il a couvert ma bouche avec sa main. Le corps de ma mère…

Elle haussa les épaules.

— Elle est tombée en tas par terre. Il m’a dit qu’il ne fallait pas que ma grand-mère sache que ma mère s’était pendue. Ni mon père. Ça risquait de les tuer. Ce suicide était un péché mortel.

— Et ta famille était plus catholique que le pape, dit Deacon d’un ton sinistre.

— Je savais que le suicide signifiait que ma mère ne pourrait pas être enterrée avec sa famille. Je savais que cela voulait dire qu’elle était en enfer. Mais, par-dessus tout, je savais que ça détruirait mon père. C’est quand il avait rencontré ma mère qu’il avait décidé de ne pas prononcer ses vœux. Je savais que la vérité le tuerait. Et j’aime mon père. Alors, je n’en ai jamais parlé à personne. Jusqu’à maintenant.

— Comment Jeremy s’est-il débrouillé pour mettre l’accident en scène ? voulut savoir Deacon.

Elle agita les épaules avec nervosité.

— Je ne sais pas exactement. Il m’a dit que Jordan et lui s’occuperaient de tout et m’a demandé de monter dans ma chambre et d’attendre que l’un d’eux vienne me voir, mais de ne parler à personne d’autre.

— Jeremy ne nous a pas mentionné cet épisode, murmura Bishop. Sont-ils venus vous parler ?

— C’est Jordan qui est venu, parce que Jeremy avait peur que mon père ne le voie dans ma chambre et ne le frappe encore. Ils s’étaient battus à la lecture du testament, parce que Jeremy avait passé le bras autour de moi.

— Ça, il en a parlé, précisa Deacon. Qu’est-ce que Jordan t’a raconté quand il est venu dans ta chambre ?

Les lèvres de Faith tremblèrent.

— Que je ne devais pas me sentir coupable. En fait, je n’y avais pas vraiment pensé jusqu’à ce qu’il en parle. Il a dit que ma mère lui avait confié qu’elle était malheureuse avec mon père. Qu’elle étouffait. Qu’elle voulait le quitter, mais avait peur de passer à l’action.

— Elle avait peur ? reprit Bishop.

— Elle était malheureuse. Ma mère n’aimait pas être pauvre. Ça, je le savais. Une fois, je l’avais entendue dire à mon père qu’elle pensait avoir été pauvre à la mort de Joy, mais qu’en comparaison de la vie avec lui elle était riche à cette époque. Jordan disait que ma mère ne pouvait pas quitter mon père et affronter la culpabilité, mais qu’elle ne pouvait pas continuer à vivre avec lui, non plus.

— Elle était malheureuse, soit, dit Bishop. Mais était-elle en dépression ?

— En y réfléchissant, c’était certainement le cas. Après m’avoir eue, elle a essayé de concevoir d’autres enfants, mais elle ne cessait de les perdre. Je sais qu’elle a eu au moins trois fausses couches. Elle pleurait souvent. J’ai l’habitude de penser à elle et d’essayer de chercher une indication quelconque ou un signe avant-coureur qu’elle s’apprêtait à faire ça. A se suicider. Je me disais que, si j’avais fait plus attention, j’aurais pu l’empêcher. Maintenant, je sais que ce n’est pas vrai. Je n’étais qu’une enfant.

Elle haussa les épaules.

— Je ne sais pas si quelqu’un aurait pu la retenir. Je n’étais sûre que d’une chose, c’est que, ce jour-là, j’avais perdu un de mes parents. Je ne pouvais pas perdre l’autre.

— Vous aviez peur que votre père se suicide aussi ? voulut savoir Bishop.

Faith secoua la tête.

— Oh ! non. Non. Le suicide est un péché mortel. Mais il n’avait plus le cœur très solide. Il avait déjà eu une crise cardiaque. Je ne pouvais pas courir ce risque.

— Tu as dit que ton père avait pris la voiture de la famille quand il est parti ce matin-là, dit Deacon. Quelle voiture a été accidentée avec ta mère à l’intérieur ?

— Celle de mon grand-père. Tout le monde savait que mes parents s’étaient disputés et on s’est dit que ma mère était si bouleversée qu’elle avait perdu le contrôle de la voiture.

Elle s’essuya les yeux du bout des doigts.

— Elle est sortie de la route, pas très loin de l’endroit où j’ai eu mon accident lundi soir. Plutôt ironique, pas vrai ?

En effet. C’était déjà extraordinaire qu’elle ait pu réagir cette nuit-là, mais elle avait fait bien plus. Deacon n’avait pas imaginé qu’elle puisse l’impressionner davantage. Mais il avait eu tort.

Bishop réfléchissait à haute voix :

— Alors, Jeremy et Jordan sont capables de mettre en scène un faux accident de voiture. Qu’est-il arrivé à la voiture que vous conduisiez, il y a trois ans ?

— Elle a dû finir à la casse. Elle était complètement bousillée. Les policiers qui sont arrivés sur les lieux étaient vraiment étonnés, à la fois parce que j’avais réussi à ne tuer personne et parce que je m’en étais tirée avec des blessures superficielles.

— Lundi soir, tu as aussi fait quelques prouesses au volant, rappela Deacon. Tu as réussi à positionner la voiture pour que le côté du passager prenne le plus gros du choc.

— J’ai pris quelques leçons de pilotage pour rassurer mon père. A cause de ma mère, bien sûr. J’imagine que ça a fini par s’avérer utile.

— Bien content que ça ait marché, déclara Deacon, avec d’autant plus de gentillesse qu’elle semblait terriblement fragile. Faith, jusqu’à présent, les récentes agressions dont tu as été victime étaient en relation, soit avec le testament de ta grand-mère, soit avec la lecture des testaments. Que s’est-il passé de particulier, il y a trois ans, quand tu as eu cet accident ?

— Je ne sais pas. J’ai essayé d’y réfléchir, mais je n’ai rien trouvé de spécial.

Elle se passa la main sur le front d’un geste un peu fébrile.

— Je suis fatiguée. Je vais essayer de dormir encore un peu.

Faith regagna sa propre chambre. Deacon attendit qu’elle ait refermé la porte.

— Elle a peut-être essayé de se rappeler, mais je ne pense pas qu’elle veuille vraiment savoir.

— Le fait que les enlèvements des boursières de la fondation remontent à la lecture du testament du grand-père est particulièrement significatif. Faith a laissé tomber sa petite bombe et elle est passée à autre chose. Je suis certaine qu’Isenberg aurait relevé cette info, si Faith lui en avait parlé.

— Je sais. Faith refuse d’envisager que le tueur puisse être un de ses oncles mais, de mon côté, je ne suis pas loin d’en être convaincu. Le problème, c’est que je ne sais pas si c’est seulement Jordan, ou Jeremy avec un complice. Ou alors, les jumeaux travaillent de mèche et leur haine réciproque n’est qu’une façade. Je ne sais pas si Stone et Marcus mentent en disant que Jeremy était avec eux le jour de la mort de Maggie ou s’ils se trompent. Ils pourraient aussi dire la vérité.

Il soupira, sentant une nouvelle couche d’angoisse venir grossir la boule qui pesait sur son estomac.

— De toute évidence, elle n’a pas pris en considération les implications de l’enlèvement qui a eu lieu le lendemain de la mort du grand-père. Parce que c’était justement le jour de la mort de sa mère.

Bishop hocha la tête, d’accord avec ce raisonnement.

— C’est pour cette raison que j’ai tellement insisté sur l’histoire de la chaise.

— Je l’ai bien compris. Si tu penses que Maggie Sullivan est entrée dans la cave pendant que le tueur était en train de tuer ou de mettre ses souvenirs en bocaux, alors, on a eu la même idée.

— Si Maggie l’a surpris en pleine action, ça lui aurait donné une raison de la tuer et de maquiller sa mort en suicide. Surtout quand on pense aux lacets qui traînaient par terre. Elle n’était pas si haute, Deacon.

— J’avais noté aussi ce détail. Il nous faut exhumer le corps, mais je déteste l’idée de demander à Faith de subir ça.

— Une fois qu’elle y aura réfléchi, je crois qu’elle voudra savoir la vérité. C’est peut-être difficile d’apprendre que sa mère a été assassinée, mais c’est moins dur que de penser qu’elle s’est suicidée.

— Je sais. Ça pourrait aussi expliquer pourquoi le tueur tenait de plus en plus à la faire taire définitivement. Si sa seule motivation était d’empêcher des intrus de pénétrer dans la maison, il aurait laissé tomber dès que nous avons investi les lieux, lundi. Quand il a tiré sur Faith à l’hôtel, j’ai pensé qu’il voulait éviter qu’elle descende à la cave et qu’elle constate que le sol était surélevé de quarante centimètres, sans compter les autres changements. Mais ensuite il s’est attaqué à Pope pour essayer d’arriver jusqu’à elle. Maintenant, je me dis qu’il soupçonnait que, tôt ou tard, nous l’amènerions à parler de ce secret enfoui pendant toutes ces années.

— Hormis ses oncles, Faith était seule à savoir que l’accident de la mère était une ruse. Depuis que nous avons trouvé les victimes, il est devenu de plus en plus probable qu’elle commence à s’interroger sur les circonstances de la mort de sa mère. Après tout, c’est une drôle de coïncidence que Maggie se soit pendue dans un endroit où dix-sept femmes ont été tuées et enterrées. Comme tu l’as dit, une question se pose : lequel des oncles ? L’un d’eux ment, voire les deux. Ils sont peut-être impliqués tous les deux.

— Et nous n’avons pas la moindre preuve concrète pour les lier à quoi que ce soit. Merde.

Deacon lâcha un soupir de frustration.

Bishop regarda la porte de la chambre de Faith avec inquiétude.

— Je n’avais pas l’intention d’être aussi dure avec elle, Deacon. Je ne voulais pas lui faire revivre ces événements. Je ne cherchais pas à la faire pleurer.

— Ne t’en fais pas. En tout cas, tu lui as fait sortir des choses que je n’aurais pas pu tirer d’elle et ça pourrait lui sauver la vie. Il nous faut absolument trouver un truc concret pour épingler un des oncles, voire les deux. Mais, pour l’instant, je suis trop crevé pour réfléchir. Je vais dormir encore un peu. Toi aussi, tu devrais te reposer.

Il se dirigea vers sa propre chambre en se demandant où se trouvait Faith. Espérant la retrouver dans son lit. Il voulait simplement la tenir contre lui.

Sur tes traces
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