Cincinnati, Ohio
Mercredi 5 novembre, 12 h 5

Installée au bureau de Deacon, Faith examinait la longue liste des boursiers de la fondation. Elle leva les yeux en le voyant sortir du bureau d’Isenberg. Il prit appui du bout des fesses sur le coin du plateau et allongea ses longues jambes, les bras croisés sur la poitrine. En voyant son visage fermé, Faith comprit la teneur de la communication téléphonique qu’Isenberg et lui venaient d’avoir avec Bishop.

— La femme morte, c’est Corinne, c’est ça ? demanda-t-elle.

— On peut l’imaginer, dit Deacon à voix basse. Il n’y a encore personne sur place. Je dois partir tout de suite et rejoindre Bishop là-bas.

— Je suis désolée, chuchota Faith. Pour le serrurier et le type de la compagnie d’électricité. Pour Corinne et Arianna, aussi. Elle aura le cœur brisé.

Il lui prit la main et la serra avec force.

— Je sais. Mais ce n’est pas tout. La cabane appartient à une société enregistrée au nom de Della Yarborough.

— L’ex-femme de Jeremy, dit Faith, alors que la déception et la colère se mêlaient à son chagrin. Merde. Je n’arrive pas à croire que c’est Jeremy. Je ne peux tout simplement pas l’accepter.

Un muscle tressaillit dans la joue de Deacon, alors qu’il serrait les mâchoires encore plus fort.

— Ce n’est pas tout ? demanda-t-elle.

— Non. Jeremy et Stone ont disparu. Comme dans « en cavale », d’accord ? Ils ne sont pas morts.

— Mais… Comment ont-ils fait ? Je croyais qu’ils étaient sous surveillance.

— J’avais posté trois fédéraux au manoir, un pour Jeremy, un pour Keith et le dernier pour Stone. La nuit dernière, l’un d’eux a suivi Stone, qui a fait un bref passage dans un bar, avant de retourner chez Jeremy. Quand j’ai demandé à nos hommes de tous nous les ramener, la maison était vide. Les agents ont trouvé une piste dans les bois, assez loin derrière le manoir. Un gros véhicule y a laissé des traces récentes. Du genre Range Rover. Et il s’avère que c’est le type du véhicule enregistré au nom de Keith.

— Alors, ils se sont échappés. Ce qui veut dire qu’ils sont quelque part, peut-être à me guetter.

— Probablement. Je veux que tu restes à l’abri. Je ne peux pas m’inquiéter pour toi et faire mon boulot en même temps. C’est compris ?

— Oui. Vas-y, maintenant. Je ne risque rien ici, entourée de flics.

Deacon hocha la tête, puis laissa son regard se perdre sur le mur d’en face.

— Je t’embrasserais bien pour te dire au revoir, chuchota-t-il. Mais on manque un peu d’intimité, ici.

— Eh bien, tu pourras m’embrasser plus tard, pour me dire bonjour. Vas-y. Ramène Corinne à la maison.

— Reste ici. Sois prudente.

Il la quitta sur un bref signe de tête.

Elle le regarda s’éloigner, les pans de son manteau flottant derrière lui. Puis elle ferma les yeux.

— Ça va ? demanda Isenberg à mi-voix derrière elle.

— Non, souffla Faith, sans ouvrir les yeux. Comment vais-je apprendre à Arianna que Corinne est morte ? Et que c’est mon oncle qui a fait ça ? Comment puis-je lui dire que le monstre qui l’a torturée et a aussi voulu la tuer est mon oncle ?

— Et que votre oncle a aussi cherché à vous tuer ?

Faith acquiesça d’un signe de tête, les sanglots lui serraient la gorge, les larmes lui brûlaient les yeux.

— Il a assassiné tous ces gens, commandant. Je n’ai pas le pouvoir d’arranger ça.

D’un geste rageur, elle chassa les larmes qui brouillaient sa vision.

— Mais, au moins, je peux analyser cette liste. Je peux aider à identifier les sept autres femmes qui étaient enterrées dans cette cave.

Isenberg lui pressa l’épaule, le geste était inattendu mais réconfortant.

— Vous êtes une fille bien, Faith. Avez-vous déjà arrêté une stratégie ?

— Je vais étudier tous les noms, dit Faith en feuilletant la liasse de documents. Il y en a plus de huit cents sur cette liste.

— Eh bien, votre famille a été très généreuse.

— Je sais, répondit-elle avec un demi-sourire. Nous ne sommes pas si mauvais, après tout. Tobias a créé la fondation il y a trente-huit ans, l’année qui a suivi la mort de Joy. La même année, il a volé les terres de ma grand-mère et les a vendues à son insu. Pour ce qui nous intéresse, je me dis que nous ne devrions pas remonter à plus de dix ans. Le sergent Tanaka nous a indiqué que les fenêtres et les portes de la cave sont condamnées à peu près depuis une dizaine d’années. Ça ramène le nombre de noms à cinq cents. Le conseil a octroyé plus de grosses dotations que de petites. C’est peut-être un critère intéressant pour nous. En ajoutant d’autres caractéristiques comme le sexe féminin et la blondeur, le champ de recherche pourrait encore être réduit. Malheureusement, pour l’instant, on ne dispose que de leurs patronymes. Mais, je suis certaine que Henson garde des dossiers sur les boursiers. Je pourrais les lui demander.

— De mon côté, j’enverrai des hommes les chercher. J’avais commencé à rédiger une commission rogatoire pour la liste, au cas où il aurait refusé de vous la remettre. Je la modifierai pour y inclure les dossiers.

Isenberg fit une petite grimace.

— Ensuite, ce sera juste du boulot de routine à l’ancienne, ajouta-t-elle. Relever chaque nom, vérifier si la personne est encore vivante. Ou si on a signalé sa disparition. Je réunirai une équipe administrative qui se chargera de l’analyse.

— J’aimerais vous aider, dit Faith. J’en ai besoin. Il faut que je fasse quelque chose.

— Et nous acceptons volontiers votre concours, approuva Isenberg.

Elle fit signe à Kimble, qui était installé à son bureau.

— Le lieutenant Kimble va vous accompagner à la maison, vous pourrez aider à retrouver les souvenirs du tueur.

— Mais Deacon a dit qu’il voulait être là, rappela Faith.

Isenberg haussa les épaules.

— C’était avant que Bishop ne reçoive cet appel à propos de la cabane. N’importe lequel de mes hommes peut traiter cette liste, mais vous êtes la seule à connaître la maison. Et nous avons absolument besoin de retrouver ces souvenirs, s’ils existent. Nous renverrons de la zone tous ceux dont la présence n’est pas indispensable et nous préviendrons les agents sur place de faire attention à une attaque de tireur d’élite.

— Vous avez votre Kevlar, n’est-ce pas, lieutenant Kimble ? s’enquit Faith, d’un ton léger.

— Toujours, assura Kimble. Et vous aussi vous aurez un gilet.