Mount Carmel, Ohio
Mercredi 5 novembre,
17 h 30
Faith détourna le regard de son écran d’ordinateur, une bribe de musique qu’elle avait immédiatement reconnue venait d’attirer son attention. Elle se leva et s’étira. Il lui fallait un répit.
Quand elle entra dans la cuisine, la musique se fit plus présente. Assise sur le sol, le dos contre la porte d’un buffet, les genoux ramenés contre sa poitrine, Sophie écoutait chanter Vito, son mari.
— Qu’est-ce qui ne va pas, Sophie ?
— Nous avons trouvé la mère de Roza dans la salle souterraine.
Faith réfléchit aux dimensions de la pièce et comprit la détresse de Sophie. Elle s’assit près de l’archéologue avec un soupir.
— Roza dormait près de la tombe de sa mère ?
Sophie déglutit avec un léger bruit.
— Elle a disposé le corps sur son flanc, comme si la mère était endormie, les mains jointes sous la tête. Et elle lui avait posé une poupée dans les bras. Je n’ai pas… Je n’ai pas pu supporter de regarder cette poupée une seconde de plus.
— Triste est un mot tellement dérisoire pour qualifier un sentiment aussi dévastateur, dit Faith à mi-voix.
Elle passa le bras autour de la jeune femme et écouta Vito chanter. Au milieu du morceau, Sophie posa la tête sur l’épaule de Faith et pleura sans bruit.
Après la dernière note, Sophie essuya ses joues humides.
— C’est la poupée qui m’a achevée. C’était celle de Roza. Son nom était écrit sur un des pieds, comme les jouets d’Andy dans Toy Story. J’avais une poupée comme ça quand j’étais petite. Quand on la penchait, elle disait « Maman ».
— Ma mère en avait une aussi. J’ai dû jouer avec elle quand j’étais vraiment très petite, mais j’ai été trop brutale et je lui ai arraché un bras. J’ai essayé de la réparer, mais j’ai fait un boulot horrible. Ma mère a pris la poupée et m’a dit que je pourrais la récupérer quand je serais plus âgée. Je ne l’ai jamais revue, mais je parie qu’elle doit se trouver à l’étage, dans un placard quelconque…
Sophie lui jeta un regard singulier.
— Le nom de la poupée était-il Maggie ?
— Non, c’était le nom de ma mère. Pourquoi ?
— Parce que c’était le nom écrit sur l’étiquette de la robe de la poupée.
Le cœur de Faith s’allégea légèrement.
— La personne qui retenait Roza et sa mère doit l’avoir trouvée. Au moins, il était assez gentil pour la lui donner. Sachant qu’il l’a enlevée de nouveau, ça me rassure un tout petit peu. S’il lui a donné une poupée, il pourrait ne pas la tuer.
Sophie pressa la main de Faith.
— C’est un bon espoir. Nous avons aussi trouvé une boîte enterrée, là où se trouvait sa paillasse. Tanaka va nous l’apporter. Vous voulez voir ce qu’elle contient ?
— Bien sûr.
Tanaka apparut en haut de l’escalier de la cave, la boîte à la main, Isenberg et Kimble fermaient la marche. Tanaka posa la boîte dans le salon et tout le monde cessa ses activités pour voir ce qu’il y avait à l’intérieur.
— C’est lourd, dit Tanaka. On dirait des livres.
Et c’était le cas. Au moins vingt volumes s’empilaient dans la boîte et nombre d’entre eux portaient des noms inscrits sur la page de garde.
— Ils appartenaient aux victimes, dit Isenberg. Maintenant, nous avons un nouveau mode d’identification.
Tanaka prit un des volumes avec précaution et feuilleta les pages.
— Beaucoup de notes en marge…
Il choisit un vieux manuel et sourit.
— La mère de Roza lui a appris à lire dans ces livres.
Faith trouva une feuille volante dans un des ouvrages, une leçon d’écriture cette fois. Une main adulte avait écrit JE T’AIME, à traits légers. Et une main plus enfantine avait réécrit par-dessus.
— Au moins, sa mère l’aimait, dit Faith avec mélancolie. C’est un cadeau que certains enfants ne reçoivent jamais.
— Je sais, murmura Sophie, juste assez fort pour que seule Faith l’entende. Je redescends. Nous devons exhumer les cadavres pour pouvoir commencer l’identification.
Elle étreignit brièvement Faith.
— Merci de m’avoir donné de l’espoir pour Roza, ajouta-t-elle.
— Comment ça avance avec la liste ? demanda Isenberg. D’autres connexions aux événements familiaux ?
— Pas encore. Votre équipe du central a trouvé quelque chose ?
— Ouais. Plusieurs noms n’ont pas de certificat de naissance et certains ont des numéros de Sécurité sociale qui correspondent à des identités volées.
Faith comprit les implications de l’information.
— Oh… Alors, quelqu’un fabrique de faux candidats et empoche l’argent qui leur est destiné.
— Ça y ressemble, dit Isenberg. Si « Suivez l’argent » est un très vieil adage, c’est pour une excellente raison.