Mount Carmel, Ohio
Lundi 3 novembre, 14 h 55

Mon Dieu, je vous en supplie, priait Arianna. Peu importe qui est cet homme, permettez-lui de nous aider, je vous en supplie.

Le pas traînant de la fille approchait. Roza. Arianna connaissait son nom, maintenant. La petite dépassa la table pour s’arrêter de l’autre côté de la pièce.

— Qu’est-ce que c’est « Earl Power and Light » ?

Sous son bandeau, Arianna cilla, surprise.

— C’est le nom d’une compagnie d’électricité. Pourquoi ?

— Parce que c’est écrit sur la camionnette qui est garée dehors. Il y a aussi un type avec des outils. Et ça lui fait peur.

Quelque chose avait changé dans l’intonation de la fille. Arianna y décelait une nuance d’inflexibilité, qu’elle ne lui avait jamais entendue jusqu’à présent.

Arianna sentit le contact d’une petite main froide et osseuse contre son bras. Puis elle perçut une tension… Une tension et le bruit râpeux de la corde que l’on coupait. Elle n’osait pas reprendre sa respiration, de peur que l’événement ne soit qu’un effet de son imagination. Mais c’était bien réel. Roza la délivrait.

Immobile, Arianna garda le silence, craignant d’effaroucher la petite, qui pouvait encore se raviser. Mais, bientôt, son autre main fut également libre. Elle arracha le bandeau qui l’aveuglait. Puis, les dents serrées, elle lutta pour se redresser pendant que la fille tranchait les liens de ses chevilles.

Les paupières plissées pour filtrer la lumière crue qui tombait du plafond, elle entrevit la fille pour la première fois. Roza était aussi jeune que le laissait penser sa voix. Une douzaine d’années, environ. Ses cheveux noirs formaient une tignasse emmêlée, contrastant avec sa peau très pâle. Comme si elle ne voyait jamais le soleil.

Dans un coin de la pièce, Arianna remarqua un ordinateur portable dont l’écran était divisé en six parties, comme dans le bureau de la sécurité d’un grand magasin. Elle comprit qu’il avait posé des caméras. Sur une des parties, elle vit les images d’un homme vêtu d’un blouson. L’inscription « Earl Power and Light » barrait le dos du vêtement. Cette vidéo provenait d’une des caméras extérieures.

Arianna reçut un coup au cœur. L’homme était là pour relever le compteur. Pas pour venir à leur secours.

Il ignore tout de notre présence.

Elle devait absolument attirer son attention. Refoulant la panique, elle examina la pièce, en quête de quelque chose qui lui permettrait de faire du bruit. Des étagères s’alignaient le long des murs, divers bocaux pleins y étaient entreposés. D’autres étaient rangés sur le comptoir. Ils contenaient tous un liquide sombre. Et dans certains récipients… flottaient des choses indéfinissables. Arianna eut un haut-le-cœur.

— Ne vomissez pas, lui dit Roza d’un ton sec tout en lui frictionnant les pieds avec vigueur pour rétablir la circulation. En sortant d’ici, vous verrez un escalier, un peu plus loin. En haut des marches, vous trouverez une porte. C’est tout ce que je peux faire pour vous. Allez-y.

— Merci. Viens avec moi, ajouta Arianna en tendant la main.

Un bref silence, puis la fille secoua la tête et répondit à voix basse :

— Non. Je ne peux pas partir.

— Mais pourquoi ? chuchota fiévreusement Arianna, au désespoir. Il retient quelqu’un que tu aimes ?

Sans répondre, Roza la saisit par le bras et l’aida à glisser de la table. Dès que les pieds d’Arianna entrèrent en contact avec le sol, elle eut l’impression qu’un millier d’abeilles venaient de s’y attaquer.

— Qui ? répéta-t-elle, les dents serrées. Qui a-t-il pour te retenir ?

— Il a ma mère. Il faut partir maintenant. Allez chercher du secours. Allez voir Faith Frye.

— Pourquoi ? Qui est-ce ?

— Je ne sais pas, mais il essaie de la retrouver. Il la hait.

— Et mon amie ? Elle est ici ?

— Oui. Mais elle est enchaînée et je n’ai pas la clé. Et je ne peux pas l’avoir. Je suis désolée.

— Je ne peux pas la laisser. Il va la tuer.

— Si vous essayez de la libérer et qu’il vous surprend, il vous tuera toutes les deux. Partez, maintenant.

Arianna marcha jusqu’à la porte de la pièce où elle avait été détenue. En se retournant, elle découvrit Roza, un flacon de verre sombre à la main.

— Où est mon amie ?

— Vous devez partir, la pressa Roza.

Puis, elle dévissa le bouchon du flacon, porta le goulot à sa bouche et avala le contenu d’un trait.

— Qu’est-ce que tu fais ? cria Arianna, horrifiée.

— Je ne peux pas partir mais, vous, vous le pouvez. Je lui raconterai que vous vous êtes sauvée, mais il verra que j’ai coupé vos cordes. Si vous ne le tuez pas, il me frappera et je ne veux pas être réveillée quand ça arrivera. Maintenant, allez-vous-en. Je dois finir de nettoyer pour qu’il voie que je lui ai obéi. Partez.

Arianna franchit la porte d’un pas mal assuré, l’âcre odeur de la javel lui brûla les narines. Elle repéra l’escalier, mais vit aussi trois autres portes. Où était Corinne ? Arianna se dirigea vers la première porte, mais s’arrêta net en entendant une détonation.

Le soir où il les avait enlevées, Corinne et elle, il était armé. Il m’a tiré dessus. Et maintenant il a tué le type de l’électricité. Personne d’autre ne viendrait à leur aide.

Sauve-toi. Va chercher du secours. Avant qu’il ne nous tue toutes. La gorge serrée, luttant pour refouler ses larmes, elle commença à gravir les marches. Désolée, Corinne. Je reviendrai te chercher. C’est juré.

Sur tes traces
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