Cincinnati, Ohio
Mardi 4 novembre, 21 h 55

La porte s’ouvrit et Faith retint son souffle, serrant sa pathétique petite lame.

— Docteur Corcoran ?

C’était la voix de Colby. Elle soupira de soulagement.

— Nous sommes ici. Dans le placard.

Colby entra dans la pièce, l’air sombre.

— Pope a été poignardé.

— Par le livreur ? demanda Faith, horrifiée.

— Je l’ignore, mais je ne pense pas. Il est menotté dans le salon.

— Qui a attaqué l’agent Pope ? demanda Faith. C’est grave ?

— Je ne sais pas qui l’a blessé. Je l’ai trouvé contre le mur extérieur, il saignait pas mal, mais il était conscient. Le couteau était encore dans sa poitrine. Quelqu’un l’a traîné depuis l’arrière de la maison. J’ai appelé une équipe de la scientifique. Pour l’instant, la maison est bouclée. J’ai eu un message de l’agent Novak, il veut une nouvelle planque pour vous deux.

Greg écarquilla les yeux.

— Il est comment, le couteau ? demanda l’ado.

Colby ignora délibérément la question.

— Je retourne voir Pope, dit-il trop fort.

Ce qui agaça Faith qui eut l’impression qu’il s’adressait à Greg comme à un enfant.

— Je veux que vous restiez dans ce placard tous les deux, continua-t-il. Vous comprenez. Restez tranquilles.

Il se tourna pour repartir. Aux yeux de Faith, les cinq secondes suivantes se déroulèrent dans un tourbillon flou. Greg bondit hors du placard et agrippa Colby par l’arrière du col de sa veste.

— Il est comment, le couteau ? hurla-t-il.

Colby gronda, pivota souplement sur la pointe des pieds, saisit le bras de Greg, le tordit derrière son dos, puis plaqua l’adolescent, visage en avant, contre le mur fraîchement peint.

— C’est pas très malin, gamin. Qu’est-ce qui te passe par la tête ? cria-t-il.

Sur le visage de Greg, la souffrance, la peur et la détresse se mêlaient confusément. Une de ses joues était pressée contre le mur, des larmes sillonnaient l’autre côté.

— Il est comment, le couteau ? chuchota-t-il.

— Agent Colby, lâchez-le ! Vous lui faites mal ! s’écria Faith.

Les prothèses de Greg étaient branchées, elle pensait donc qu’il pouvait l’entendre. Elle prit une profonde respiration, luttant pour retrouver son calme.

— Lâchez-le. Il faut que vous retourniez auprès de l’agent Pope. Je m’occupe de Greg.

Colby recula, le souffle court.

— Appelez-moi si vous avez besoin de moi.

Faith acquiesça d’un air sévère, réalisant qu’elle avait non seulement laissé son arme dans la chambre de Novak, mais aussi que le combiné du téléphone de la maison se trouvait dans la cuisine. Elle était passée de sa méfiance des flics et de la prise en charge de sa propre sécurité à cette complaisante insouciance.

C’est la fatigue. Je suis lasse de tout ça. Et, maintenant, une personne de plus avait été blessée.

Elle attendit que Colby quitte la pièce pour retourner Greg, avec douceur. Le côté droit du garçon, de l’épaule au genou, était maculé d’une couche de peinture verte qui remontait jusqu’à sa joue. Il se dégagea, se laissa aller contre le mur abîmé, puis glissa jusqu’à terre pour s’asseoir sur le sol, soufflant comme un bœuf.

Il détourna le visage.

— Laissez-moi tranquille.

Faith s’agenouilla près de lui et lui prit le menton, assez fermement pour l’obliger à la regarder.

— Pourquoi cette question, Greg ? Il faut que je le sache.

— Ça n’a pas d’importance, dit-il d’une voix épaisse.

— Bien au contraire. J’ai supposé que celui qui a agressé l’agent Pope en avait après moi. Mais tu t’es mis à paniquer à cause de ce couteau. Pourquoi ? C’est vraiment important, Greg. Si cette attaque n’avait pas pour objectif de me tuer, la police doit le savoir. Ils risquent de manquer une piste importante en rassemblant les indices. Des gens sont déjà morts, Greg, et ça pourrait arriver à d’autres personnes. Parle-moi, je t’en prie.

Greg ferma les yeux.

— Des types de l’école ont menacé de s’en prendre à Dani.

Faith poussa un gros soupir. Novak avait dit que Greg avait pris une mauvaise décision pour de bonnes raisons. Maintenant, la réaction de Dani au cours de la dispute qui l’avait opposée à Greg, plus tôt, prenait tout son sens. Elle pressa doucement le menton de l’ado, jusqu’à ce qu’il ouvre de nouveau les yeux.

— Tu as été renvoyé pour avoir voulu protéger Dani ?

Greg hocha la tête, d’un air malheureux, puis il se mordit l’intérieur de la joue, dans un effort pour retenir ses larmes.

— Ils ont dit qu’ils me feraient payer. Ils ont dit qu’ils lui feraient payer. J’aurais jamais cru qu’ils feraient une chose pareille.

Il laissa tomber sa tête en arrière, contre le mur, et referma les yeux.

— Tout ce merdier, c’est ma faute. Je fous en l’air tout ce que je touche.

— Je sais ce que tu ressens.

Il ouvrit ses yeux singuliers, l’un bleu, l’autre marron.

— Vous ne pouvez pas.

— Oh si, je peux. Quand toute cette histoire sera terminée, je te raconterai des trucs qui feront blanchir les cheveux que t’as sur le crâne. Pire que Deacon.

Greg pouffa une fois, encourageant Faith dans la voie de la légèreté.

— Je t’ai promis de ne pas jouer les thérapeutes avec toi et je tiendrai ma promesse. Mais, si tu as envie de parler, je sais très bien écouter. Je vais te chercher de quoi t’enlever toute cette peinture du visage. On dirait Hulk.

Greg rit de nouveau. Deux gloussements, cette fois. Puis il soupira.

— A cause de moi, le mur est fichu, maintenant.

— Techniquement, c’est plutôt la faute de l’agent Colby, mais il est sous adrénaline, en ce moment. Comme nous tous, d’ailleurs. Tu as déjà des vêtements, ici ?

Il secoua la tête.

— Non, mais je peux emprunter un des survêtements de Deacon.

— Ça marche, répondit-elle en souriant. Maintenant que tu as des mèches blanches et vertes, tu pourras lancer une nouvelle mode. Prête-moi ton téléphone, je voudrais passer un coup de fil à Dani pour lui apprendre ce qui est arrivé et la prévenir de prendre ses précautions.

Il lui tendit l’appareil et Faith passa son appel. Sans surprise, Dani décrocha à la première sonnerie.

— Qui est à l’appareil ? demanda-t-elle, manifestement paniquée.

— C’est Faith.

— Oh ! mon Dieu. Quel soulagement ! Greg n’envoie que des SMS, j’ai cru que quelque chose de grave s’était produit.

— C’est effectivement le cas. Greg et moi allons bien. En revanche, il s’inquiétait de votre sécurité, parce que l’agent Pope a été poignardé.

En quelques mots, Faith informa Dani des derniers événements.

— Il y a des vigiles dans votre refuge ?

— Ouais, dit Dani d’une voix tremblante. Nous avons un policier à la retraite qui vient bénévolement. Est-ce que Pope va bien ?

— Je l’espère…

Faith s’interrompit un instant pour tendre l’oreille, des sirènes se rapprochaient.

— On dirait que la cavalerie arrive, Dani. Je vous tiens au courant. Soyez prudente. J’ignore ce qui est arrivé à Greg ou la nature de ses problèmes, mais il semble penser que ce n’était pas moi qui étais menacée, mais vous deux.

Un soupir las se fit entendre à l’autre bout de la ligne.

— Je serai prudente. Dites-lui que je l’aime.

— Je n’y manquerai pas.

Faith coupa la communication et tendit à Greg son appareil. Il suivait le moindre de ses mouvements.

— Dani m’a demandé de te dire qu’elle t’aime, transmit-elle au garçon.

Puis elle se leva pour lutter contre une soudaine somnolence. Baisse d’adrénaline.

— Je vais chercher le téléphone de la cuisine et un chiffon humide pour t’enlever cette peinture du visage. Reste ici. Je reviens tout de suite.

Elle traversa le salon d’un pas rapide, jetant un regard apitoyé au livreur terrifié, toujours agenouillé sur le tapis, les mains menottées dans le dos.

— Je ne sais pas ce qui se passe, dit-elle, avant qu’il ne pose la question.

Des voix fortes retentissaient à l’extérieur, mais elle ne distinguait pas les conversations. Les vitres épaisses favorisaient la très bonne isolation des fenêtres. Novak n’avait pas lésiné sur la sécurité de la maison.

— Je ne faisais que livrer un colis, dit l’homme d’une voix tremblante. C’est tout.

— Pour qui travaillez-vous ? demanda Faith.

— Speedy-24. On livre vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je jure que je n’ai rien fait de mal.

Faith s’accroupit près du paquet et lut l’adresse de l’expéditeur, sans toucher l’emballage. Daphne Montgomery, Hunt Valley, Maryland. Une Daphne avait signé la photo de groupe posée sur le bureau de Novak. La livraison était sans doute authentique.

— J’ai peur que vous soyez arrivé au mauvais endroit et au mauvais moment, dit-elle, compatissante. J’espère qu’on pourra vous tirer de là rapidement.

Elle attrapa le combiné sans fil, puis retourna en courant dans la chambre de Novak, pour y prendre son arme. Après avoir passé son sac en bandoulière, elle ouvrit le rabat, pour atteindre facilement son pistolet, en cas de besoin.

Une partie de son assurance retrouvée, elle appela le mobile de Novak depuis la ligne fixe, tout en mouillant une serviette dans sa salle de bains.

Il décrocha immédiatement, la voix réduite à un murmure, mais son soulagement était aussi évident que s’il avait hurlé.

— Dieu merci. Colby a dit que vous étiez sains et saufs tous les deux. C’est vrai ?

— Oui, mais Greg est bouleversé. Il semble persuadé que Pope a été poignardé par ceux qui ont menacé Dani.

Un bref silence accueillit l’information.

— Tu l’as dit à Colby ?

— Pas encore. Tu crois que je devrais le mettre au courant ?

— Non. Laisse-moi m’en charger. Merci d’avoir appelé. Mon cœur s’est arrêté quand j’ai reçu son SMS.

— Ne t’inquiète pas. Je m’occuperai de Greg et j’ai appelé Dani pour lui dire de faire attention. Apparemment, il y a quelqu’un qui assure la sécurité au refuge.

Nouveau silence, puis il répondit d’un souffle.

— Merci, Faith.

— Je n’ai rien fait, répondit-elle à voix basse.

— Tu prends soin de ma famille. C’est énorme. Dis à Greg… Bon sang, je ne sais pas quoi lui dire.

— Que tu l’aimes, peut-être ?

— Ouais, dit-il d’un ton bourru. Dis-lui ça. Je suis en train de recueillir un témoignage, mais je te rappelle dès que je peux.

— Attends, Deacon.

— Oui ? chuchota-t-il.

Oublié le ton bourru, il avait imprégné ce simple mot… d’intimité.

Le mot s’enroula autour d’elle, la laissant tout alanguie. Elle ressentit encore plus férocement son absence.

— Greg a ouvert la porte à un livreur. J’ai essayé de l’arrêter, mais il avait déjà ouvert. En tout cas, le colis devait être remis contre signature. L’adresse de l’expéditeur porte le nom de Daphne Montgomery, de Hunt Valley. Pourrais-tu vérifier avec elle si elle t’a bien envoyé quelque chose ? Ce pauvre livreur est menotté.

— Daphne ? répéta-t-il, et elle l’entendit sourire. Je suis avec un témoin pour l’instant, mais je vais te donner le numéro de Daphne. Tu peux l’appeler. Je t’enverrai sa fiche sur le téléphone de Greg. Je te rappellerai dès que je peux.