Cincinnati, Ohio
Lundi 3 novembre,
2 h 45
— Non, non, je ne veux pas y aller ! S’il te plaît, je ne veux pas y aller !
Faith hurlait comme ça lui était déjà arrivé un million de fois, mais personne ne l’entendait jamais. Personne ne venait à son aide. Elle se tenait tout au bord, le regard plongé dans les ténèbres qui la terrifiaient. Elle savait ce qu’il y avait en bas. Elle ne redescendrait pour rien au monde.
C’était toujours son pied qui la trahissait, planant au-dessus de l’obscurité… descendant jusqu’à… heurter une marche. Une. Elle agrippait la rampe, l’encerclait de ses bras, s’y accrochait comme si sa vie en dépendait, mais ses pieds bougeaient encore, l’entraînant sur une nouvelle marche. Deux.
Cinglée. Trois. Je suis cinglée. Quatre. Je perds la tête. Cinq. Six. Non, non. Par pitié. Maintenant, elle gémissait, mais cela ne changeait rien. Ses pieds l’emportaient toujours plus bas. Sept, huit. Neuf.
Dix. Onze. Douze. C’était la dernière. Vas-y, sauve-toi, maintenant ! Mais elle restait clouée sur place.
Ne regarde pas. Elle ferma les paupières de toutes ses forces, pendant que son corps pivotait contre son gré. Ne. Regarde. Pas. Elle savait ce qu’elle allait découvrir. Garde les yeux fermés. Mais ses yeux s’ouvrirent.
Des Keds rouges, oscillant doucement. Les lacets d’un blanc pur traînaient négligemment dans la poussière. Ne regarde pas en l’air. Ne. Regarde. Pas. En. L’air. Mais son menton se leva malgré elle et…
Faith se redressa en sursaut dans son lit. Un souffle râpeux sortait de ses poumons, l’air résonnait encore de l’écho de son cri. Elle tendit la main vers la lampe sur la table de nuit, l’autre se glissa sous l’oreiller, en quête de son pistolet. Clignant des yeux dans la lumière soudaine, elle rassembla ses esprits, s’efforçant d’identifier cet environnement peu familier.
Une chambre d’hôtel, à Cincinnati. Peuplée de cartons et de valises. Elle était saine et sauve. Elle était seule. Maintenant, sa respiration filait en longs soupirs tremblés, au rythme des frissons incontrôlables qui parcouraient son corps.
La sonnerie stridente du poste fixe brisa le silence, elle décrocha, l’esprit encore embrumé.
— Oui ? dit-elle d’une voix rauque, la gorge enrouée par son hurlement.
— Docteur Corcoran, vous allez bien ? Un client de votre étage a cru entendre crier.
— Tout va bien, mentit-elle, les joues cuisantes à cause de l’humiliation. Ce n’était qu’un mauvais rêve. Navrée d’avoir importuné les autres clients.
Faith raccrocha le combiné et se leva. Après avoir allumé la télé, elle baissa le son, puis chercha le carton qui contenait sa Xbox et en déballa le contenu.
Peu après, assise sur la moquette, sa manette à la main, elle reprit sa partie là où elle l’avait interrompue, la dernière fois qu’elle avait joué après le cauchemar.
— C’est l’heure d’exterminer quelques zombies, murmura-t-elle.
Tenter de se rendormir après le cauchemar était un exercice parfaitement inutile. Et, cela, elle le savait depuis vingt-trois très longues années.