Cincinnati, Ohio
Mardi 4 novembre, 0 h 25

Le cœur de Deacon se serra douloureusement en découvrant le visage strié de larmes de Faith. Elle est toujours aussi belle, songea-t-il. Peut-être encore plus depuis qu’il avait lu les posts de ses anciennes patientes, dont la sincérité ne faisait aucun doute. Il dut réprimer une envie de lui caresser les cheveux, de la réconforter.

Je suis dans les ennuis jusqu’au cou. J’aurais dû la confier à Bishop. Mais il ne voulait pas. Ce qu’il voulait, c’était entendre son histoire. Il avait besoin de comprendre pourquoi un délinquant sexuel la haïssait si passionnément.

— Je suis prête à aller au central. Ou à votre antenne locale. Peu importe.

L’instinct de Deacon lui avait aussi dit qu’il obtiendrait plus d’elle dans un environnement moins stressant. Et… il voulait la garder pour lui seul encore un petit moment.

— Nous pouvons rester, si vous voulez. Vous n’êtes pas suspecte.

— Pas encore.

Elle attendit qu’il s’asseye.

— J’aime être une thérapeute. J’aide les autres.

Cet enchaînement parut insolite à Deacon.

— Alors, quittez la banque et reprenez votre métier.

— Je le ferai peut-être. Plus tard. Evidemment, en dernier ressort, ça dépendra de vous.

— Comment ça ? demanda-t-il tout en se doutant de la réponse. Qu’avez-vous fait, Faith ?

— Ce que je pensais juste.

Elle chercha son regard. Il lut dans les yeux verts une farouche détermination, qu’elle n’hésita pas à exprimer aussi en paroles.

— Je ne peux pas supporter les délinquants sexuels. Je ne peux pas supporter leurs excuses quand ils se font prendre. « Elle m’a provoqué. C’est une petite salope. » Une des « petites salopes » avait quatre ans, Deacon. Quatre.

Deacon. Pas agent Novak. Le pouls de Deacon battit plus vite.

— Je sais. J’ai déjà arrêté certains de ces salopards. Malheureusement, ils sont encore nombreux dans les rues.

— Ceux que vous avez arrêtés n’ont probablement pas fait de très longues peines de prison et ils sont nombreux à s’être de nouveau attaqués à des enfants, une fois sortis. Ils deviennent simplement plus malins, ce qui complique la tâche des flics pour les attraper la deuxième fois.

Elle prit une profonde inspiration, comme si elle rassemblait son courage pour continuer :

— Alors, j’ai voulu apporter ma pierre au processus. C’était la seule manière de faire évoluer une mauvaise situation pour en faire quelque chose de vaguement meilleur.

— Qu’avez-vous fait, Faith ? murmura Deacon.

— Je vous l’ai dit. Je les ai épiés. Je gardais un appareil-photo avec un zoom dans ma voiture, en permanence. Je prenais des photos, lorsqu’ils étaient à des endroits où ils n’étaient pas censés se trouver. Les maisons des enfants qu’ils ne pouvaient voir que sous la surveillance du personnel judiciaire. Ou les maisons des enfants de leurs nouvelles petites amies. Ou quand ils traînaient près des cours de récré avec un air gourmand, alors qu’ils ne devaient pas approcher une école à moins de trois cents mètres.

— Que faisiez-vous des photos ?

— Je les donnais à un flic, dit-elle avec une sombre satisfaction.

— Votre ex-mari ?

Il ne voulait pas penser à elle avec son ex. Il ne voulait pas penser à elle avec un autre homme, peu importe lequel. D’ailleurs, il ne devrait pas penser à elle du tout. Mais comment s’en empêcher ? Comment le pourrait-il ? Prudence, Novak. Tu t’aventures en terrain glissant.

— Non, souffla-t-elle, comme s’il y avait une foule d’autres choses qu’elle avait choisi de ne pas dire. Je connaissais un flic de la brigade des crimes sexuels. Deb était lieutenant et je suis devenue son informatrice confidentielle.

Il retint le regard de Faith un long moment, pendant que quelque chose s’apaisait en lui. Voilà qui voulait dire quelque chose. Voilà qui ressemblait à la femme qui avait escaladé pieds nus un talus rocailleux pour porter secours à une fille qu’elle ne connaissait pas. Voilà la femme qui avait monté la garde près d’Arianna Escobar, armée et prête à la défendre.

— Et votre identité a été dévoilée ? demanda-t-il.

— Difficile à dire. Disons qu’on pourrait appeler ça une zone grise. Bien sûr, on peut toujours considérer que protéger les victimes relevait de ma responsabilité mais, en réalité, ces délinquants étaient aussi mes patients. La plupart d’entre eux payaient pour leur propre thérapie. Donc, en envahissant leur vie privée, je contrevenais à la procédure. Dans le meilleur des cas, j’aurais perdu la confiance de l’agence qui m’employait et toute chance d’aider les victimes ou de faire enfermer les récidivistes. J’aurais sans doute aussi perdu mon boulot. Sans compter que les preuves que j’avais apportées en tant qu’informatrice auraient été irrecevables devant le tribunal et affaibli l’accusation. Au pire, je risquais de perdre mon autorisation d’exercer. Mais je ne me suis jamais fait prendre.

Elle lui lança un regard éloquent. A moins que vous ne me dénonciez.

Il n’en est pas question, formula-t-il instinctivement. Mais il ne prononça pas cette phrase à haute voix. Impossible de faire cette promesse avant de connaître tous les faits.

— Savez-vous si quelqu’un a eu des soupçons ?

La vraie question était : Votre ex-mari le savait-il ?

— Non, personne. J’ai aussi surveillé des délinquants affectés à d’autres thérapeutes. Deb et moi nous sommes débrouillées pour ventiler les affaires. Ça a bien marché.

— Pendant combien de temps ?

— Deux ans. Jusqu’à Combs.

— Et votre mari était au courant ?

Une ombre de souffrance traversa le regard de Faith.

— Non. Il n’a jamais rien soupçonné.

Deacon n’insista pas. Pour l’instant.

— Que s’est-il passé avec Combs ?

— Il a agressé sa belle-fille de douze ans qui, à en croire la mère, ne savait pas se contrôler. Parfois, j’en veux plus aux mères qu’aux délinquants. Elles offrent leurs enfants en sacrifice, juste pour un homme, dit-elle en secouant la tête avec dégoût. Bref, la belle-fille de Combs avait si peur de le voir débarquer dans sa chambre qu’elle n’arrivait plus à dormir. Elle attendait que Combs et sa mère partent à leur travail, puis filait chez une de ses amies. Un jour, Combs l’a suivie et s’est dit que l’amie était une proie fraîche. Il a attendu que la gamine rentre de l’école et que la belle-fille s’en aille.

Deacon détestait par avance la probable conclusion de l’épisode.

— Il s’est aussi attaqué à la deuxième gamine.

— Exactement. La petite a refusé d’en parler à qui que ce soit, mais il fallait que je fasse quelque chose. J’ai essayé d’appeler la mère de cette fillette tout l’après-midi, mais sans succès. Ma dernière consultation était avec Combs, j’ai donc pensé que les deux filles étaient en sécurité. S’il était avec moi, il ne pouvait pas être avec elles, pas vrai ?

— Il n’est pas venu.

— Non. Et moi je savais.

— Il s’en prenait à l’amie de sa belle-fille, au moment où il était censé avoir une séance avec vous ? Ça ne me semble pas très malin de courir un risque pareil. Manquer une convocation était une violation de sa conditionnelle.

— On pourrait penser que ces types feraient tous les efforts nécessaires pour se pointer chez leur thérapeute une petite heure par semaine, mais la plupart ne s’en donnent pas la peine. Ils croient qu’ils pourront échapper aux conséquences de n’importe quelle « erreur » par le mensonge. C’est pathologique. Après tout, ils s’en sont déjà sortis pour le viol. Ils ne peuvent quand même pas atterrir en taule pour avoir manqué un petit rendez-vous de rien du tout. Et comment savoir ce qu’ils font pendant cette fameuse heure ? Dans le cas de Combs, je crois qu’il a simplement perdu la notion du temps. La jeune fille qu’il a agressée a déclaré à la police qu’à un moment il avait regardé sa montre et dit qu’il allait être en retard chez « la salope ». Je crois qu’une part de son excitation venait de l’idée de passer me voir pour une séance, alors qu’il venait juste de violer une gosse.

— J’aurais préféré en être surpris, mais j’ai déjà rencontré des comportements similaires. Ils prennent leur pied en commettant le crime, mais rouler les flics dans la farine rend leur jouissance encore plus délicieuse. Alors, que s’est-il passé ensuite ?

— Je suis allée en voiture jusqu’à la maison de l’amie. La voiture de Combs était dans l’allée. Il lui faisait mal et… Je ne pouvais pas le laisser faire ça. Deb m’avait fait jurer de ne pénétrer dans aucun domicile, de laisser les flics s’en occuper. Mais, ce jour-là, quelque chose s’est rompu en moi. J’ai avancé vers la maison avec l’intention de l’arrêter mais, à ce moment-là, Combs est sorti en ajustant tranquillement sa cravate, alors qu’il venait de violer une gamine de douze ans.

La mâchoire de Deacon se crispa, son regard s’arrêta sur la cicatrice qui marquait la gorge de Faith.

— Il vous a vue.

— Non. Je me suis cachée derrière mon véhicule, l’instinct de préservation, sans doute. Mais je l’ai photographié avec mon téléphone. J’ai envoyé le cliché à Deb, qui m’a répondu que la police était en route et que je devais m’éloigner. Elle ne voulait pas me mettre en danger, physiquement ou professionnellement.

Les yeux de Deacon revinrent se poser sur la cicatrice.

— Elle avait raison.

— C’est vrai. J’ai filé tout droit à mon bureau et j’ai appelé l’officier de probation de Combs pour signaler qu’il avait manqué une séance. Le motif était suffisant pour être exclu du programme, ce qui constituait une violation de sa liberté conditionnelle et signifiait le retour en prison. L’officier de probation a appelé Combs. Moins d’une heure plus tard, il s’est pointé à mon bureau avec une excuse bidon. Il avait soi-disant crevé un pneu et était rentré se changer, mais il était prêt pour sa séance.

— La douche avait fait disparaître les preuves, devina Deacon, amer.

— Exactement. Je lui ai proposé un nouveau rendez-vous et je me suis dit que la police le rattraperait. Deb a envoyé une unité chez lui, mais la femme de Combs a eu le temps de le prévenir et il s’est planqué. Le lendemain, il a débarqué à mon bureau avec un couteau, me l’a mis sur la gorge et m’a entraînée dehors. Il me reprochait d’avoir signalé son absence à son officier de probation. Après avoir été arrêté par la police de Miami, il est passé devant le tribunal et a été condamné.

Le récit comportait de nombreuses ellipses mais, pour l’instant, il valait mieux la laisser raconter à son rythme.

— Quelle a été la sentence ? demanda-t-il, puisque c’était là que Faith s’était arrêtée.

— Il a été condamné à dix ans. Il en a fait trois.

Trois sur dix ?

— D’autres juges auraient peut-être prononcé une peine moins lourde. Mais j’ai conscience que ce n’est pas une consolation.

— Non, ça ne console pas, en particulier parce que les dix ans n’étaient pas pour ce que Combs nous avait fait, dit-elle avec amertume. Il a écopé de trois ans pour l’agression et seulement deux fois deux ans pour le viol des gamines de douze ans. Les dix ans étaient une condamnation séparée pour incendie volontaire. Toutes les peines ont été confondues.

Deacon fronça les sourcils.

— Incendie volontaire ? Quel incendie volontaire ?

— Il a mis le feu aux toilettes du bureau pour créer une diversion. Tout le monde a été évacué par les portes de devant, pendant qu’il m’entraînait à l’arrière du bâtiment, dit-elle en fermant les yeux. Je lui ai aspergé le visage avec ma bombe lacrymogène. Il a eu un mouvement brusque et m’a entaillé la gorge.

— Il aurait pu vous tuer, dit Deacon, soulagé d’avoir gardé une voix ferme en énonçant cette possibilité.

— C’était bien son intention, mais avant ça, il avait quelques projets pour moi. Pendant qu’il me traînait dehors, il me parlait de tout ce qu’il s’apprêtait à me faire. Je savais que, si je le laissais m’embarquer dans sa voiture, je finirais dans une tombe peu profonde, au milieu de nulle part, et mon père n’aurait jamais su ce qui m’était arrivé. Alors j’ai fait ce que j’avais à faire.

Deacon avait exhumé trop de cadavres de tombes improvisées pour ne pas imaginer parfaitement la scène.

— Et alors ?

— Pendant qu’il me forçait à entrer dans le coffre de sa voiture, quelques pompiers l’ont repéré. Au moins, le gaz l’avait suffisamment retardé pour qu’ils puissent le maîtriser. Un des pompiers l’a neutralisé, pendant que l’autre m’administrait les premiers secours. Ils m’ont transportée à l’hôpital à temps, mais c’était juste.

Quelques millimètres de plus à droite et Combs lui aurait tranché la carotide. Après ça, aucune intervention médicale sur place n’aurait pu stopper l’hémorragie. Elle serait morte. Je l’aurais perdue avant de l’avoir trouvée. La simple évocation de cette perspective le bouleversait. L’intensité de sa propre émotion le déconcerta.

Mentalement, il se mit en retrait. Peu importait combien elle était jolie ou valeureuse. Faith Corcoran était un témoin. Le boulot de Deacon n’était pas de la protéger.

Son boulot était de trouver Corinne. D’amener l’agresseur d’Arianna devant un tribunal. Alors, concentre-toi sur Combs, mon vieux. Est-ce que, oui ou non, ce salopard est venu se livrer à ses petits jeux pervers dans la région ? Si non, il fallait avancer et découvrir l’identité du responsable des horreurs qui avaient eu lieu dans la cave et laisser Combs à la police de Miami.

Il rassembla toutes les parcelles de discipline dont il disposait et s’astreignit à poursuivre son interrogatoire sans flancher.

— Donc, Combs est resté au frais pendant trois ans, reprit-il laconiquement. Ensuite, il vous a harcelée et a essayé de vous tuer. Est-ce exact ?

Elle se raidit.

— Oui, agent Novak. C’est exact.

Deacon hésita.

— Faith… Vous pensez que je ne m’intéresse pas à ce que vous avez traversé, mais vous avez tort. Si je me laissais aller à mes émotions du moment, ça me prendrait du temps et de l’énergie, toutes choses qui appartiennent pour le moment à Corinne et Arianna. Sachez que je comprends que vous venez juste de revivre la pire journée de votre existence. Du moins, je vous le souhaite. J’apprécie vos efforts et soyez certaine que je n’abuserai pas de votre confiance.

Le regard de Faith restait vigilant, mais la posture rigide de son dos s’assouplit.

— Je vous remercie. J’avais vraiment besoin d’entendre ça.

— Bien. Après avoir tiré sur votre patron, Combs a tenté de vous jeter d’un pont. Quand était-ce ?

— Gordon est mort le 3 octobre et l’histoire du pont est arrivée quatre jours plus tard.

Combs avait attenté à sa vie une semaine après le décès de sa grand-mère — après que Faith avait reçu son héritage. Deacon se demandait si les deux tentatives de meurtre étaient connectées d’une manière ou d’une autre à la mort de Barbara Corcoran. Et si c’était le cas, quel était le lien ?

Elle se figea.

— C’est la maison, n’est-ce pas ? Je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas compris plus tôt. Combs s’en est pris à moi après que j’ai hérité de la maison. Il cherchait à me tuer parce qu’il ne voulait pas que je l’aie. Pourquoi n’ai-je pas vu ça ?

Deacon lui prit le bras, le serrant gentiment mais fermement.

— Faith. Ce n’est pas le moment de vous effondrer. Tenez le coup, respirez.

— Vous avez raison. Je suis navrée. Je vais bien, maintenant.

Il la lâcha, mais ne la quitta pas du regard. Chaque fois qu’il faisait mention de la maison, elle paniquait. Il devait absolument comprendre pourquoi. Mais pour l’instant elle était fragile, et il était plus urgent de rassembler des informations sur Combs.

— A-t-on trouvé des preuves qui relient Combs à ces deux attaques contre vous ? demanda-t-il.

— Non. Mais personne ne me hait autant que lui. Et il ne s’agit pas de deux attaques, mais de quatre.

Deacon s’adossa à son siège, soudain épuisé.

— Bon Dieu, Faith. Il a essayé de vous tuer quatre fois ? En un seul mois ?

— Oui, dit-elle d’une voix calme, égale. Il a essayé d’entrer dans mon appartement par la fenêtre pendant mon sommeil. C’était le 14 octobre, une semaine après le pont. La dernière fois, c’était dans la nuit de jeudi dernier, quand il a incendié mon immeuble.

Il avait cessé d’être surpris.

— Comme il avait mis le feu à votre bureau. Quelqu’un a été blessé ?

— Non, mais quinze familles ont tout perdu.

— Quinze familles, vous comprise.

— Je n’avais pas grand-chose à perdre. D’ailleurs, je n’étais pas dans mon appartement à ce moment-là. Je n’ai pas vu les informations avant vendredi matin. Quand j’ai appris, je me suis dépêchée de finir les démarches pour changer d’identité. J’avais prévu de partir le samedi matin. Je ne savais pas où j’allais. Cela n’avait aucune importance. Trop de gens avaient déjà souffert parce qu’ils ont eu la malchance de se trouver dans mon entourage.

Il expira lentement, se donnant le temps de faire le tri parmi tous ces nouveaux éléments. Une des déclarations de Faith en particulier avait retenu son attention.

— Soit. Si vous n’étiez pas dans votre appartement, où étiez-vous ?

Pas avec un petit ami, j’espère. Pourvu qu’elle ne dise pas qu’elle était avec son petit ami. L’image de Faith entre les bras d’un autre homme… dans le lit d’un autre homme.

— J’étais descendue dans un hôtel. Avec un bon système de sécurité.

Quelques heures plus tôt, il aurait pu se montrer méfiant en apprenant qu’elle avait pris une chambre d’hôtel, précisément la nuit où son appartement avait été incendié. Maintenant, il supposait simplement qu’elle avait une bonne raison.

— Qu’est-ce qui vous a décidée ?

— La tentative de meurtre numéro trois. Après l’effraction, j’ai eu trop peur de rester dans mon appartement, mais je n’étais pas encore prête à quitter la ville. Comme je l’ai dit, il me restait encore quelques démarches à accomplir. Je ne voulais pas partir en risquant qu’il me retrouve et que tout ce cauchemar recommence.

— Que s’est-il passé la nuit où il a essayé d’entrer chez vous ?

— Il était 3 heures du matin et je dormais. J’ai été réveillée par un bruit et j’ai distingué la silhouette d’un homme grand, costaud, qui passait par la fenêtre. Alors, j’ai attrapé mon arme sous mon oreiller et j’ai tiré.

Elle eut une grimace dégoûtée et expliqua :

— Mais je n’avais pas mes lunettes ni mes lentilles et je l’ai raté. J’ai l’impression de l’avoir touché au bras. Malheureusement, quand les policiers qui avaient répondu à l’appel ont examiné les lieux, ils n’ont pas trouvé la moindre goutte de sang. Il n’y avait pas non plus trace de la balle que j’avais tirée. En fait, il n’y avait pas le moindre indice de son passage.

— Aucun signe d’effraction ?

L’expression de Faith se durcit.

— Si, il y en avait, mais un des flics a dit que je ne pouvais pas prouver que les dégâts avaient été commis cette nuit-là. D’après lui, ça aurait pu se passer des années plus tôt. Je l’ai entendu dire à son partenaire que c’était la cinglée qui pensait que la terre entière lui en voulait. Entrez dans mon délire et je m’en irai contente.

Le sang-froid de Deacon avait atteint son point d’ébullition.

— Il a dit ça à cause des trente plaintes que vous avez déposées.

— Exactement. Nous avons un problème dans ce pays. Lorsque les victimes de harcèlement portent plainte, on les tourne en ridicule. Du coup, la plupart ne le font pas. C’est un cercle vicieux, un véritable déni de justice.

— Je sais.

Il comprenait de mieux en mieux pourquoi Faith détestait les flics.

Deacon dut s’accorder un moment pour refouler sa colère. Il n’ajouta rien sur Combs ou la police, mais se pencha en avant pour scruter le regard de Faith. Ses yeux s’étaient éclaircis et ils étincelaient d’une vertueuse indignation, qui avait chassé toute crainte. Il se perdit dans le vert profond de ses iris, couleur de forêt, d’une teinte uniforme, vierge de toute autre nuance, excepté le noir des prunelles. Aucun signe de lentilles de contact.

— Vous auriez dû dire que vous aviez besoin de vos lunettes, murmura-t-il. J’aurais demandé à un des adjoints du shérif d’aller vous les chercher dans la jeep.

Deacon avait délibérément pénétré la sphère d’intimité de Faith, mais elle n’avait pas reculé. Au lieu de cela, elle était restée posément assise. Seule la palpitation erratique de son pouls au creux de sa gorge indiquait que cette étroite proximité l’affectait.

— Je n’ai plus besoin de lunettes. Dès le lendemain de l’intrusion, j’ai pris rendez-vous pour une opération des yeux au laser. La prochaine fois qu’il s’attaquera à moi de nuit, je serai prête. Je ne le raterai plus.

Une émotion intense faite de respect et de désir mêlés saisit Deacon avec une telle force qu’il en eut le souffle coupé.

— Bien…

Il parvint à reculer sur son siège et à trouver une position plus décente, quoique peu confortable. Mais, pour l’instant, le confort figurait tout en bas de sa liste de préoccupations. L’image de Faith, une expression de satisfaction sur le visage, baissant une arme après avoir débarrassé le monde d’un ignoble prédateur… c’était terriblement sexy.

Et, s’il se laissait aller, il pouvait susciter des visions encore beaucoup plus sensuelles. Si tu te laisses aller ? Qui pensait-il abuser ? Son imagination avait déjà conjuré une collection entière d’images qui, s’il était obligé de se lever dans un avenir proche, lui auraient causé le plus grand des embarras.

Des images qui s’avéraient absolument inappropriées. En tout cas, jusqu’à la fin de cette affaire.

Faith le regardait avec circonspection.

— Bien ? C’est tout ? Pas de « ce n’est pas à vous d’appliquer la loi » ? Pas de « la violence n’est pas une réponse » ? Pas de « laissez les flics faire leur boulot » ?

— Non. Faites le nécessaire pour rester en vie. Et, si vous avez besoin d’aide, appelez-moi. Comment vous débrouillez-vous au tir ?

L’orgueil fit briller le regard de Faith.

— Je touche ce que je vise. Toujours.

— Bien, dit-il encore, toujours aussi dur qu’un morceau de bois.

Concentre-toi, Novak. L’heure tourne. Corinne est toujours quelque part, dehors. La situation désespérée de la jeune femme fut le seau de réalité glaciale dont il avait besoin.

Cet… engouement était inacceptable. Une distraction qu’il ne pouvait se permettre. Faith n’était pas responsable de cet état de fait. C’était sa propre faute. Entièrement. Maintenant, il devait agir comme il aurait déjà dû le faire, lorsqu’ils étaient à la maison O’Bannion. Il devait confier Faith à Bishop.

Il se leva pendant qu’il le pouvait encore en serrant son manteau autour de lui.

— Je dois regagner le central, maintenant. Je vais vous déposer à votre hôtel. Vous avez besoin de dormir un peu.

— Merci. Vous ai-je appris quelque chose d’utile ?

— Je ne sais pas. Si Combs vous a suivie ici, vous m’avez donné vraiment un tas de trucs. Si c’est quelqu’un d’autre, vous m’avez fourni un point de départ. Et, au moins, je peux vous rayer de ma liste, ajouta-t-il avec un petit haussement d’épaules.

Il lui tint la porte ouverte et prit une inspiration lorsqu’elle passa devant lui. Il se permit de ranger le parfum de la chevelure de Faith sur son étagère à souvenirs, parce que ce serait la dernière fois qu’il se permettrait de se trouver aussi près d’elle. Il referma la porte derrière eux.

— J’ai besoin du nom du lieutenant de Miami qui a travaillé sur votre affaire, dit-il en s’efforçant d’adopter un ton impersonnel, voire brusque.

Elle s’arrêta soudain au milieu du couloir.

— Oh ! merde ! Le lieutenant Vega.

— Vega a travaillé sur votre dossier ?

— Non. Elle enquêtait sur le meurtre de Gordon. Mais elle a été la seule à me prêter attention quand j’ai compris que la cible n’était pas Gordon, mais moi. J’ai besoin d’utiliser votre téléphone. Genre, maintenant ?

Il reprit ce ton un peu taquin dont il avait déjà usé, mais c’était loin d’être aussi difficile qu’auparavant.

— Et peut-on savoir pourquoi vous avez besoin de la joindre ? Genre, maintenant ?

Sourcils froncés, elle scruta le visage de Deacon, comme pour comprendre la raison de ce brusque changement d’humeur.

— Parce que cet après-midi elle a appelé ma belle-mère en demandant à me parler.

Il pencha la tête.

— Et vous vous en souvenez seulement maintenant ?

Les joues de Faith s’empourprèrent.

— J’ai été un peu distraite, dit-elle sans masquer son agacement.

Bien. Elle était trop désirable, lorsqu’elle lui faisait confiance. Merde, elle était tout aussi désirable lorsqu’elle était agacée, et cette constatation l’irrita à son tour. Il sortit son téléphone.

— Quel est son numéro ?

— Je ne sais pas. J’avais l’intention de chercher le numéro de la police de Miami en ligne.

— Inutile. J’ai contacté leur central, un peu plus tôt. Le numéro se trouve dans mon journal d’appels.

Il passa l’appel, brancha le haut-parleur et tint l’appareil entre eux.

— Je veux entendre ce qu’elle a à vous dire.

— Très bien. De toute façon, elle ne sera pas là. Il est trop tard, dit Faith pendant que le téléphone sonnait.

— Dans ce cas, vous lui laisserez un message. Donnez-lui mon numéro de mobile.

Faith leva les yeux au ciel.

— J’aurais pu lui donner mon propre numéro si vous m’aviez rendu mon téléph…

— Police de Miami, dit l’opérateur. Qui cherchez-vous à joindre ?

Faith gratifia Deacon d’un regard excédé, puis se pencha plus près de l’appareil.

— La brigade des homicides, je vous prie. Lieutenant Vega.

Elle soupira en entendant le message du répondeur, puis se lança.

— Salut, ici Faith Frye. Si vous cherchez à me joindre à cause de l’incendie, je vais bien et vous n’aurez pas besoin de me rappeler. En revanche, si vous avez trouvé Combs ou si vous savez où il se trouve, merci de me rappeler. Pas chez mon père, mais au numéro qui va vous être communiqué. Donnez-lui votre téléphone, ajouta-t-elle en s’adressant à Deacon.

Deacon s’apprêta à énumérer son propre numéro. Mais la résolution toute fraîche, qu’il venait si facilement d’oublier, lui revint à l’esprit et il donna le numéro de Bishop.

Voilà, c’en était terminé. Il conduisit Faith jusqu’au SUV, leur contact dura le temps de l’aider à prendre place sur le siège.

— Je vous rendrai votre blouson demain, dit-elle d’une voix calme.

— Pas de problème, j’en ai d’autres.

Le pas lourd, il contourna le véhicule et s’assit derrière le volant. Il laissa le silence s’installer entre eux, pesant, presque tangible. Faith était loin d’être stupide, elle avait sans doute remarqué son changement de comportement.

Mais elle n’émit aucun commentaire, gardant le regard fixé droit devant.

— Je suis prête, agent Novak. C’est quand vous voulez.

Il ne dit pas un mot, fit démarrer le moteur. Soudain, son téléphone bourdonna et il accueillit l’appel avec soulagement.

— Ici, Novak.

— Isenberg. Je viens de recevoir un appel du lieutenant Vega.

— Ça a été rapide, dit Deacon, surpris. Le docteur Corcoran vient juste de l’appeler.

Faith se tourna vers lui d’un air intrigué.

— Elle ne retournait pas votre coup de fil, Novak, dit Isenberg. Vous avez contacté Miami en demandant à parler à quelqu’un qui avait travaillé sur les plaintes pour harcèlement déposées par Faith Frye. De son côté, le lieutenant Vega a cherché à joindre Corcoran toute la journée, même si elle ne la connaît que sous le nom de Frye. Je lui ai proposé de rappeler en lui disant que vous pourriez être là dans dix minutes. Elle veut que vous ameniez aussi le docteur Corcoran.

— Je pars immédiatement.

Deacon raccrocha, puis se tourna vers Faith.

— Léger changement de plan.

Sur tes traces
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