Mount Carmel, Ohio
Dimanche 2 novembre, 22 h 15

Arianna Escobar revint à elle avec un hoquet, puis elle retint son souffle, l’oreille tendue. Silence. S’il se trouvait dans la pièce avec elle, alors lui aussi retenait sa respiration. Elle résista tant que possible, puis l’air s’échappa de sa poitrine, accompagné d’un gémissement. Ça faisait trop longtemps qu’elle consacrait toute son énergie à retenir ses plaintes.

Elle avait vite compris combien il aimait l’entendre geindre, mais aussi qu’il appréciait plus encore ses cris de douleur.

Au début, elle était déterminée à ne rien lui accorder de tout cela. A ne lui offrir aucune satisfaction.

Mais le supplice avait été si terrible. Un soupir douloureux passa le barrage de ses lèvres pincées. Les couteaux et… Un nouveau gémissement lui échappa à l’évocation de ces souffrances. Mâchoires serrées, elle s’était mordu la langue jusqu’à ne plus pouvoir supporter la douleur. Puis, elle avait enfin hurlé pour le plus grand délice de son bourreau.

Elle avait crié sans discontinuer, la gorge à vif. Soudain, il s’était arrêté et avait reculé en marmonnant un juron. Puis, il avait quitté la pièce. Elle avait entendu la porte se refermer. Quand était-ce, déjà ? Elle ne savait plus. Une clarté diffuse filtrait sous les bords du bandeau qui lui masquait les yeux. Juste avant que l’homme ne s’arrête en jurant, elle croyait avoir vu des lumières clignoter au-dessus d’eux.

Il va revenir. Il revenait toujours. D’abord, elle avait prié pour que quelqu’un vienne la libérer. Mais personne n’était venu. Maintenant, elle priait pour que la mort la délivre au plus tôt.

Visiblement, il ne comptait pas la tuer tout de suite. L’inconnu avait l’intention de prolonger le plaisir le plus possible. De faire « durer ». Il l’avait dit à plusieurs reprises. Il avait besoin de « faire durer le plaisir ».

Mais le pire était de ne pas savoir s’il avait aussi enlevé Corinne. La dernière chose qu’elle se rappelait était de l’avoir vu pousser son amie à l’arrière du fourgon, mais, depuis son réveil, Arianna n’avait pas entendu d’autres cris que les siens.

Je vous en prie, faites qu’elle s’en soit sortie. Elle doutait que son vœu ait une chance d’avoir été exaucé. Lorsqu’il l’avait jetée dans le compartiment arrière du véhicule, Corinne semblait inconsciente. Comme si elle était déjà morte.

La porte s’ouvrit, puis se referma en douceur, et elle se raidit. Des citrons. Une odeur de citron. La fille était revenue.

— Aidez-moi, supplia Arianna, la voix rauque et cassée. Aidez-moi, je vous en prie.

Une serviette humide tapota ses joues, épongeant un mélange de sueur et de sang. Et de larmes. Arianna avait versé les trois.

— Je suis désolée, chuchota la fille. Vraiment désolée.

Arianna tira sur ses liens.

— Détachez-moi. Je vous aiderai à sortir d’ici. Je le jure.

L’adolescente prit une lente inspiration sans cesser d’éponger le visage d’Arianna.

— Je ne pourrai jamais partir.

— Qui a dit ça ? Je vous emmènerai. Je vous en prie. Vous êtes mon seul espoir.

— Je suis désolée.

La main de la fille se figea et, dans le silence qui suivit, Arianna distingua un bruit de pas.

La porte s’ouvrit. Arianna entendit la respiration de l’adolescente s’accélérer.

— Je… j’étais en train de la… nettoyer, balbutia la fille. Comme vous me l’avez demandé.

Un claquement sonore retentit. Il venait de la gifler.

— Tu lui parlais. Je t’ai déjà dit de ne pas lui parler. Je t’ai dit de ne parler à aucune d’elles, mais tu as osé me désobéir. Va chercher un carton vide dans la cuisine et emballe mes affaires. Et les tiennes aussi.

La petite ne répondit pas. Arianna retint son souffle. Il s’en va ? Pourquoi ?

Mais cela n’avait aucune importance. Ce qui comptait, c’était que, s’il avait l’intention de l’emmener ailleurs, il serait obligé de la libérer de cette table. Ce sera ma chance de m’échapper.

Le pas traînant de la fille s’éloigna à travers la pièce, puis la porte se referma sans bruit. Arianna l’entendit approcher. Elle se doutait qu’il allait la gifler et s’y prépara. Quand le coup arriva, le fait d’être avertie n’atténua pas la douleur. Sa mâchoire l’élançait, sa joue la cuisait. Mais elle ne pleura pas.

— Tu l’as suppliée de t’aider ? susurra-t-il d’une voix veloutée. Tu lui as demandé de te détacher ? Elle ne t’aidera pas, tu sais. De toute façon, elle ne saurait pas s’y prendre. Tu es coincée ici. Pour toujours. Ou jusqu’à ce que je décide de te tuer.

Dents serrées, elle attendit le prochain assaut, mais il s’éloigna. Peu de temps après, elle entendit une série de cliquetis. Des lames, songea-t-elle. Il rassemble ses couteaux, et les range. Un dernier bruit métallique plus sonore, à l’écho mat, retint son attention. Le couvercle de la boîte qu’il venait de refermer ? Oui. Comme une sorte de boîte à outils.

La porte claqua. Il était parti. Arianna laissa l’air s’échapper de ses poumons. Elle ignorait tout de l’événement qui venait d’advenir, ne savait pas ce qui avait poussé l’homme à s’interrompre. En revanche, elle était convaincue qu’une chance venait de lui être offerte. Elle se jura de survivre. Elle se libérerait, retrouverait Corinne. Et elles échapperaient toutes les deux à ce cauchemar.

Sur tes traces
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