Mount Carmel, Ohio
Dimanche 2 novembre, 17 h 45

— C’est juste une vieille baraque.

Les mains agrippées au volant de sa jeep, le docteur Faith Corcoran ralentit jusqu’à rouler au pas et s’intima l’ordre de regarder ladite maison.

— Allons, ce ne sont que quatre murs et un plancher !

Les yeux obstinément braqués droit devant, elle dépassa sa destination. Nul besoin de regarder l’endroit pour savoir à quoi il ressemblait. La bâtisse, avec ses deux étages de brique grise et de pierre taillée, lui était familière. Tout comme les cinquante-deux fenêtres et la tour centrale carrée qui pointait droit vers le ciel. Le vestibule avait un sol de marbre italien, une élégante balustrade en acajou s’incurvait le long du grand escalier et le lustre de la salle à manger brillait de mille feux. Elle connaissait la maison de la cave au grenier.

Elle savait aussi que ce n’était pas tant ses quatre murs et son plancher qui l’effrayaient, mais ce qu’ils cachaient. Douze marches et une cave.

Faith fit demi-tour et gara le véhicule devant la maison. Son cœur battait plus vite. Simple observation clinique.

— C’est une réaction physiologique normale. Le stress. Ça passera.

En s’entendant prononcer ces paroles, elle se demanda qui elle tentait de convaincre. Son voyage avait duré deux jours et, à chaque kilomètre parcouru, l’angoisse s’était ancrée de plus en plus solidement dans son esprit. Au moment où elle avait traversé le fleuve pour entrer dans Cincinnati, son appréhension s’était matérialisée en une pression douloureuse au creux de sa poitrine. Une demi-heure plus tard, elle se retrouvait désormais à deux doigts de l’hyperventilation : une situation non seulement ridicule, mais inacceptable.

— Grandis un peu, nom d’un chien ! dit-elle d’un ton sec.

Après avoir coupé le moteur et arraché la clé du contact, elle sauta de la voiture, agacée de constater que ses genoux flageolaient. Agacée de constater que, même après tout ce temps, le simple fait de penser à cette maison la renvoyait à l’époque de ses neuf ans.

Tu n’as plus neuf ans. Tu es une adulte de trente-deux ans qui a déjà échappé à plusieurs tentatives d’assassinat. Tu ne vas quand même pas avoir peur d’une vieille baraque.

Faith utilisa son exaspération comme un levier et trouva le courage de lever les yeux. Pour la première fois depuis vingt-trois ans, elle regardait directement la maison. L’endroit avait l’air… Pas si différent, songea-t-elle. Sa respiration se fit plus légère. Vieille et massive. Oppressante. Malgré son aspect plutôt décrépit, la bâtisse restait imposante.

La maison paraissait ancienne pour une bonne raison. Depuis plus de cent cinquante ans, elle dominait les terres des O’Bannion, témoignage d’un mode de vie qui n’avait pas survécu au passage du temps. Une aura sombre et solennelle émanait des deux étages de pierre et de brique. La tour semblait exiger de tous les visiteurs l’hommage d’un regard.

Bien sûr, Faith céda à l’injonction. Enfant, elle n’avait jamais été capable d’y résister. Ça n’avait pas changé. La tour non plus, d’ailleurs. L’édifice avait conservé sa dignité solitaire, même avec ses ouvertures condamnées.

Les cinquante-deux fenêtres étaient en effet barricadées, sans exception. La maison O’Bannion avait été abandonnée vingt-trois ans plus tôt, et ça se voyait.

La brique avait résisté, érodée mais intacte. En revanche, les boiseries qu’elle avait tant aimées s’étaient lézardées et le temps avait terni leur chaude couleur pain d’épice. Le porche s’affaissait et la vitre de la porte d’entrée disparaissait sous l’épaisse couche de crasse qui s’y était accumulée au fil des années.

D’un pas circonspect, Faith foula la pelouse pelée jusqu’au portail en fer forgé. Une barrière d’un style désuet, bâtie pour durer, à l’image de la maison. Malgré les gonds rouillés, la grille s’ouvrit. Les mauvaises herbes prospéraient, profitant de chaque fissure du revêtement craquelé de l’allée.

Faith marqua un temps d’arrêt pour tenter de calmer les battements effrénés de son cœur avant d’affronter la première marche qui menait au porche.

Non. Pas au porche, à la galerie. Sa grand-mère l’avait toujours appelée « la galerie », car la terrasse encerclait la maison. Gran et elle s’y installaient souvent pour déguster une citronnade. Et maman aussi. C’était avant, bien sûr. Car après… il n’y avait plus eu de citronnade.

Il n’y avait plus eu quoi que ce soit. Pendant longtemps, il n’y avait eu absolument rien.

Faith déglutit difficilement, ravalant le goût âcre qui avait rempli sa bouche, mais le souvenir de sa mère s’attarda. N’y pense pas. Souviens-toi de Gran et de l’amour qu’elle portait à cette vieille baraque. Elle serait si triste de la voir dans cet état.

Mais, bien sûr, Gran ne reverrait plus la maison, elle était morte. C’est d’ailleurs pour ça que je suis ici. La maison et son contenu appartenaient maintenant à Faith. Qu’elle le veuille ou non !

— Tu n’es pas obligée de vivre ici, se dit-elle tout haut. Rien ne t’empêche de vendre et de partir.

Pour aller où ? Un retour à Miami était absolument exclu. C’était sûr et certain. Tu viens juste de t’enfuir de là-bas.

Ben, ouais. Et comment ! Elle s’était sauvée, évidemment. N’importe quelle personne saine d’esprit aurait agi de même après avoir passé un an à se faire harceler par un ex-détenu condamné pour meurtre et qui avait déjà tenté de la tuer. On lui avait dit qu’elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même, que prendre en thérapie des criminels sexuels, véritables rebuts de l’humanité, c’était s’exposer aux ennuis à coup sûr. On avait même soutenu qu’elle s’intéressait plus aux criminels qu’aux victimes.

Ils avaient tort. Personne ne savait ce qu’elle avait fait pour empêcher ces délinquants de continuer à nuire. Ils n’avaient pas la moindre idée des risques qu’elle avait courus.

Quatre ans plus tôt, convaincu qu’elle avait « balancé » à son officier de probation ses absences aux séances de thérapie, Peter Combs l’avait agressée, ce qui avait reconduit ses fesses de récidiviste tout droit en prison. Faith frissonna en imaginant la réaction de Combs s’il avait su la vérité à l’époque. Le rôle qu’elle avait joué dans sa réincarcération allait bien au-delà du simple signalement de ses absences.

Enfin, à en juger par la manière dont il avait joué au chat et à la souris avec elle pendant l’année qui avait suivi sa libération, et par l’escalade du harcèlement qui avait abouti à des tentatives de meurtre — quatre, à ce jour —, Combs savait peut-être la vérité. Ou l’avait devinée.

Faith glissa la main dans une poche de sa veste et ses doigts effleurèrent le canon froid du Walther PK 380 qui s’y trouvait. Depuis près de quatre ans, elle ne quittait plus son appartement de Miami sans son arme. Le MPD1n’ayant été d’aucun secours, elle avait pris sa propre sécurité en charge.

Elle était prudente. Organisée. Mais toujours aussi terrifiée. Et elle en avait marre de vivre dans la peur.

Soudain, prenant conscience qu’elle avait baissé la tête, elle releva le menton et défia la maison du regard. Ouais, d’accord, elle avait fui. Pour se précipiter vers le seul endroit qu’elle craignait presque autant. Le projet lui semblait aussi fou maintenant que deux jours plus tôt, lorsqu’elle avait laissé Miami. Mais elle n’avait pas eu le choix. Personne d’autre ne mourra à cause de moi.

Elle avait chargé dans la jeep toutes les affaires que le véhicule avait bien voulu contenir, et avait abandonné le reste, y compris sa carrière de thérapeute en psychiatrie criminelle et son identité. Un changement de nom légal, scellé par la Cour pour en conserver la confidentialité, avait entériné la disparition de Faith Frye.

Grâce à Faith Corcoran, elle avait fait table rase, s’était octroyé un nouveau départ. Parmi ceux qu’elle avait laissés à Miami — amis ou adversaires —, personne ne connaissait l’existence de cette maison. Personne ne savait que sa grand-mère était morte, donc personne ne pourrait en parler à Peter Combs. Il ne penserait jamais à venir la chercher ici.

Elle avait même un nouveau boulot — un poste à responsabilité dans le département des ressources humaines d’une banque, située au centre-ville de Cincinnati. Ses futurs collègues porteraient des costumes classiques et analyseraient des feuilles de calcul. Quant à elle, pour la toute première fois, elle recevrait un salaire décent et bénéficierait d’avantages sociaux. Mais, à ses yeux, le plus précieux des atouts était le dispositif de sécurité de la banque, juste au cas où ses efforts pour faire disparaître Faith Frye n’auraient pas été assez efficaces.

Elle effleura sa gorge. Si la blessure était guérie depuis longtemps, il restait la cicatrice, illustration permanente de ce dont l’homme qui la traquait était capable. Au moins, elle avait survécu. Gordon n’avait pas eu cette chance.

La culpabilité et le chagrin s’unirent pour lui serrer la gorge, jusqu’à l’étouffer. Je suis désolée, Gordon. L’ancien patron de Faith avait eu la malchance de se tenir près d’elle lorsque les balles avaient commencé à pleuvoir. Maintenant, sa femme était veuve et ses enfants avaient perdu leur père.

Elle n’avait pas le pouvoir de ramener Gordon à la vie. En revanche, elle pouvait s’assurer par tous les moyens que cela ne se reproduirait pas. Combs ne devait pas la retrouver. Ainsi, il ne s’attaquerait ni à elle ni à personne d’autre. Le décès de sa grand-mère lui fournissait un refuge à point nommé.

La maison était un cadeau. Elle était aussi son plus ancien cauchemar, ce qui ne l’empêcherait pas de l’accepter. Faith se remit en mouvement avec effort pour gravir les deux dernières marches, puis elle sortit la clé de sa poche et la glissa dans la serrure.

Le verrou résista. A la troisième tentative, elle finit par comprendre que le problème venait de la clé. L’avocat de sa grand-mère s’était trompé.

Même si elle en avait eu envie, elle ne pouvait pas pénétrer dans la maison. En tout cas, pas aujourd’hui. Le soulagement qui jaillit en elle tel un geyser s’accompagna d’un léger sentiment de honte. Quelle trouillarde !

Elle fit appel à sa raison. Il ne s’agissait que d’un simple jour de retard. Demain, elle récupérerait la bonne clé, mais cet empêchement momentané stimula son courage.

A travers la vitre crasseuse de la porte d’entrée, elle discerna des meubles protégés par des draps. En quittant la maison pour s’installer en ville, vingt-trois ans plus tôt, sa grand-mère n’avait emporté que ses quelques pièces de mobilier préférées, et lui avait laissé tout le reste.

Pour la première fois depuis bien longtemps, Faith ressentit une étincelle d’excitation à la perspective de dévoiler les meubles. Nombre d’entre eux étaient dignes de figurer dans un musée. Du moins, c’est ce que lui avait raconté sa mère, à maintes reprises. Un jour tout cela m’appartiendra, Faith, et à ma mort ce sera à toi. Alors, prends-en bien soin. C’est ton héritage, il est temps que tu apprennes à en apprécier la valeur.

L’évocation de la voix de sa mère doucha son enthousiasme. Le souvenir de la peur qui l’avait envahie en entendant ces paroles était aussi vif que si elles avaient été prononcées la veille. Mais je n’en veux pas de mon héritage, avait-elle répondu. Pas si ça doit te faire mourir.

Sa mère avait tiré sur sa natte d’un geste affectueux. Ne dis pas de bêtises, je suis encore là pour de très longues années. Quand cette maison te reviendra, tu auras au moins l’âge de Gran.

Aux yeux de la gamine de huit ans qu’elle était, Gran semblait déjà bien vieille. Faith se souvenait d’avoir masqué son soulagement en levant les yeux au ciel. Alors, il me reste plein de temps pour apprendre à apprécier mon héritage, pas vrai ? Il faut dire qu’à l’époque elle était plus intéressée par le labrador du fils de la cuisinière que par la théière en argent qu’on lui tendait. Je peux aller jouer dehors, s’il te plaît ? Oh ! alleeeeez ?

Un soupir exaspéré avait fusé des lèvres de sa mère. D’accord. Mais fais attention à ne pas te salir. Ton père ne va pas tarder à arriver avec la voiture et on va rentrer à la maison. Mais nous sommes bien d’accord, jeune fille ? A notre prochaine visite… Théières, leçon no 1. Sa mère avait souligné son avertissement d’un petit geste de l’index, tempéré d’un sourire.

Mais, lorsque Faith était revenue dans cette maison, il n’avait pas été question de théières, ni de sujets plus agréables, d’ailleurs. Sa mère était morte et son existence avait subi un bouleversement irrévocable.

Elle chassa résolument ces souvenirs. Continuer à ressasser le passé finirait par la rendre folle. Ses problèmes actuels étaient bien assez préoccupants sans qu’elle ait besoin d’exhumer les chagrins d’un temps révolu.

Sauf que cette ancienne peine méritait d’être réveillée. Faith devait s’en purger. C’était la première fois qu’elle revenait dans la maison depuis cette horrible journée. Elle n’avait jamais raconté la profondeur de sa colère. Elle n’en avait jamais parlé à personne. Après avoir enfoui sa rage, sa douleur, elle était allée de l’avant. Du moins, c’était ce dont elle avait voulu se convaincre. Force était de constater que vingt-trois ans plus tard elle se retrouvait au même point. Le chagrin était toujours aussi lancinant. La colère, toujours aussi intense. La peur, toujours aussi suffocante.

Il est temps de régler ça, Faith. Tout de suite. Avant de changer d’avis, elle entreprit de contourner la bâtisse d’un pas résolu. L’air se rua hors de ses poumons et elle se rendit compte à cet instant qu’elle retenait son souffle depuis bien trop longtemps.

Voilà, c’était là, derrière, dans un coin éloigné du jardin. A une distance respectable de la maison, comme avait coutume de dire Gran. Durant tout ce temps, quelqu’un s’était chargé de l’entretien, avait arraché les mauvaises herbes, taillé le gazon autour de la grille de fer forgé, dont le motif suranné reprenait le style de la clôture extérieure. Faith se souvint alors de la Société historique. L’avocat de Gran lui avait expliqué que l’association locale se chargeait de l’entretien, puisque le cimetière O’Bannion était considéré comme un monument historique.

L’endroit abritait les sépultures de sa famille. Le premier à y avoir été enterré était Zeke O’Bannion, tué à la bataille de Siloh en 1862. Faith connaissait les noms de tous ceux qui reposaient ici, se souvenait de toutes leurs aventures, qu’elle trouvait captivantes, contrairement aux théières en argent. Il s’agissait de personnes réelles, d’histoires vraies. Dès que sa mère visitait les tombes, elle la suivait comme un chien fidèle, l’aidant à désherber, suspendue à ses lèvres chaque fois qu’elle évoquait leurs ancêtres.

Faith poussa le portillon, puis fronça les sourcils en constatant que le battant refusait de pivoter. D’un coup d’œil, elle comprit le problème — un cadenas. Impossible d’ouvrir, l’avocat de sa grand-mère ne lui avait remis qu’une seule clé. Elle dut donc se contenter de longer la grille et arriva à proximité des pierres tombales les plus récentes, taillées dans du marbre noir.

Elle examina une double stèle. L’inscription de la partie gauche s’était érodée en vingt-trois ans. Tobias William O’Bannion. Faith se souvenait de son grand-père comme d’un homme grave, austère, qui n’avait jamais manqué la messe quotidienne. Sans doute pour confesser le nombre de fois où il avait cédé à la colère, songea-t-elle avec un sourire sarcastique. Et il avait un sale caractère !

Sur la partie droite, les contours nets de l’inscription indiquaient une épitaphe fraîchement gravée. Barbara Agnes Corcoran O’Bannion. Epouse, mère, grand-mère bien-aimée. Philanthrope.

La plupart de ces mentions reflétaient la vérité. Gran avait solidement soutenu nombre d’œuvres de charité. Tobias l’avait aimée à sa façon. Moi, je l’aimais. Assez, en fait, pour avoir pris son nom.

Pour la plupart, les enfants de sa grand-mère avaient eu de l’affection pour elle. Jordan, le plus jeune frère de sa mère, avait pris soin de Gran sans se plaindre jusqu’à ce qu’elle rende son dernier souffle. La mère de Faith lui avait été dévouée, même si Faith n’était pas certaine de la proportion d’amour qui entrait dans cette vénération. Quant à Jeremy, le dernier enfant vivant de sa grand-mère, le jury ne se prononçait pas. Il avait été… banni.

Conformément à ses dernières volontés, la grand-mère de Faith avait été paisiblement placée près de son époux au cours d’une cérémonie très intime, célébrée par son propre prêtre, à laquelle n’avait assisté que Jordan. C’était sans doute dû au fait que les funérailles de Tobias avaient été le théâtre des amères confrontations qui avaient scellé l’éclatement de la famille O’Bannion.

Ainsi que celui de sa propre petite cellule familiale, songea-t-elle, alors qu’elle passait en revue les cinq stèles suivantes, qui signalaient les sépultures des enfants de Barbara et Tobias morts avant d’avoir atteint l’âge adulte. Elle s’arrêta devant la sixième. Le modèle était semblable à celui de la tombe de ses grands-parents, l’inscription était aussi érodée que celle de Tobias. Rien de surprenant, puisqu’elles avaient été gravées en même temps.

Par bonheur, un des côtés, celui qui était réservé à son père, était vierge. L’autre portait un terrible mensonge.

MARGARET O’BANNION SULLIVAN, ÉPOUSE ET MÈRE BIEN-AIMÉE.

— Salut, mère, murmura Faith. Ça faisait longtemps.

Comme en réponse, un hurlement aigu flotta dans l’air. Surprise, Faith fit un tour sur elle-même, cherchant à en localiser l’origine, mais elle ne remarqua rien de particulier. Personne ne l’avait suivie, elle s’en était assurée. Pour apprendre la prudence à une femme, rien de tel que de la harceler sur une période suffisamment longue.

Personne. Faith était seule avec la maison et les vingt hectares de terres agricoles en jachère, qui constituaient l’unique vestige des possessions de la famille O’Bannion. Elle tapota la poche de sa veste, cherchant un peu d’assurance au contact de son arme.

— Ce n’est qu’un chien qui hurlait, voilà tout, dit-elle avec fermeté.

Ou bien son esprit lui jouait des tours, réveillant l’écho du cri déchirant de ses cauchemars. Douze marches et un sous-sol. Parfois, elle se réveillait du cauchemar en s’époumonant — ce qui flanquait une trouille bleue à son ex-mari. Faith reconnaissait volontiers que le degré de satisfaction qu’elle éprouvait en ces circonstances trahissait une certaine immaturité. Mais, compte tenu de ce qu’il avait fait, l’agent de police Charlie Frye méritait un châtiment autrement plus sévère qu’un petit réveil en sursaut au milieu de la nuit.

Le traitement que sa mère avait infligé à son père était bien pire.

— Papa méritait foutrement mieux que ce que tu lui as fait subir. Et moi aussi je méritais mieux. D’ailleurs, c’est toujours vrai.

Faith hésita un bref instant avant de cracher ce qu’elle avait sur le cœur.

— Je t’ai haïe pendant vingt-trois ans. J’ai menti pour toi. J’ai menti à papa pour qu’il n’apprenne jamais ce que tu avais fait. Alors, si tu avais l’intention de le faire souffrir, c’est raté. Mais si c’est moi que tu visais, eh bien, félicitations. Tu as mis en plein dans le mille.

Soudain, une idée lui traversa l’esprit. La meilleure revanche qu’elle puisse prendre sur sa mère était peut-être de vivre l’existence à laquelle celle-ci aspirait. Faith pourrait devenir la maîtresse du manoir. Cette perspective faillit lui arracher un sourire, mais elle se remémora l’accablement qui avait saisi son père, et sa colère se ranima.

En pensant à lui, elle se rappela aussi ce qu’elle lui avait promis. A contrecœur, elle prit une photo de la stèle de Margaret et la lui envoya. Il avait coutume de se rendre en pèlerinage sur la tombe tous les deux ou trois ans mais, depuis quelque temps, il restait cloué chez lui après une crise cardiaque. Faith s’était engagée à lui envoyer cette photo, afin qu’il s’assure que tout allait bien.

Bien arrivée. Tout va bien. La tombe de maman est…

Son doigt s’immobilisa au-dessus du clavier alors qu’elle cherchait les mots justes, rejetant ceux qu’elle savait susceptibles de faire souffrir son père, qui croyait encore à la sincérité de l’épitaphe. Elle décida que « bien entretenue » était honnête, elle tapa donc l’expression, puis conclut le message :

Je t’appellerai de l’hôtel.

Elle n’osait pas lui téléphoner en cet instant. Devant la tombe de sa mère, elle craignait de ne pouvoir empêcher son amertume de transparaître. La gorge serrée, elle tapa la touche envoi, puis soupira et repartit vers sa jeep. Puisqu’elle ne pouvait pas pénétrer dans la maison, inutile de traîner dans le coin. Après avoir acheté des produits d’entretien au Walmart qui se trouvait près de son hôtel, elle irait se coucher de bonne heure. La journée du lendemain s’annonçait chargée.

Sur tes traces
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