Mount Carmel, Ohio
Lundi 3 novembre,
14 h 48
Il grimpa l’escalier quatre à quatre, sa bonne humeur s’était évaporée. La compagnie d’électricité. Faith avait appelé cette foutue compagnie d’électricité. Un abruti de préposé relevait le compteur derrière la maison.
Il jaillit du sous-sol, puis ralentit le pas et traversa la cuisine. Puis, il déverrouilla et ouvrit la porte extérieure, satisfait de constater que le battant pivotait sans émettre le moindre craquement. S’il gardait les gonds bien huilés, c’était pour une bonne raison.
Plus d’une fois, il avait dû se glisser dehors pour surprendre un intrus. Ils n’avaient jamais la moindre idée de ce qui leur tombait dessus. Cet importun allait connaître les mêmes désagréments. Pistolet en main, il s’accroupit en atteignant le coin arrière de la maison, puis se pencha légèrement en avant pour observer le gêneur.
Le nom du type, « Ken Beatty », était clairement lisible sur son badge. Debout devant le compteur, Ken examinait le cadran d’un air intrigué. Evidemment, il a remarqué. Il aurait fallu que le mec soit aveugle pour ne pas voir la différence entre le chiffre affiché et celui qui figurait dans les fichiers de la compagnie.
Oui, ça faisait un bon moment qu’il détournait de l’électricité. Et bien sûr, s’il n’intervenait pas tout de suite, Ken s’empresserait de signaler l’incident. Il visa donc la jambe de l’homme. Alarmé, le préposé tourna brusquement la tête vers lui, le regard inquiet.
Bordel. Ken partit en courant, gêné par sa bedaine de buveur de bière, mais aussi par une claudication prononcée.
Heureusement, je n’ai rien de tout ça. Il piqua un sprint, et rattrapa l’homme au moment où celui-ci s’apprêtait à contourner le coin de la bâtisse. Il tira une fois et Ken s’écroula avec un cri de douleur, une main crispée sur la cuisse.
— D’accord, d’accord, bafouilla l’homme. Bon, vous volez du courant. Rien de grave. Je n’en parlerai à personne, c’est juré. Je dirai que je ne suis pas venu ici.
— Trop tard. J’ai vu que tu avais passé un appel à ton arrivée. J’en déduis que l’idée était d’informer ton patron de l’endroit où tu étais.
Ignorant les appels à la pitié de Ken, il lui abattit la crosse de son pistolet sur le crâne, puis allongea le corps inerte sur le sol.
Bon, passons au plus dur. Après avoir glissé son arme dans sa ceinture, il agrippa la veste de l’homme à pleines mains, puis entreprit de tirer le corps vers la maison à coups de puissantes secousses. Dès qu’il aurait caché Ken au sous-sol, il prendrait le téléphone du gars et enverrait un SMS au patron de la boîte. Ken annoncerait son départ pour le rendez-vous suivant, après avoir rebranché le compteur ici. Ensuite, il ne lui resterait plus qu’à rentrer en ville avec la camionnette de Ken et à l’abandonner près d’un bar. Tout le monde penserait que M. Bedaine à Bière s’était arrêté pour boire un petit coup ou deux.
A mi-chemin de la bâtisse, il éprouva le besoin de reprendre son souffle et lâcha la veste de l’homme, dont le corps flasque s’étala sur le sol. Puis il s’étira le dos, le souffle laborieux.
Bon sang, ce que ce type était lourd ! Maintenant, je me souviens pourquoi je me cantonne aux femmes. Elles ne font que la moitié du poids de ce mec. Bien sûr, il y avait aussi le petit bonus, songea-t-il avec un sourire narquois. Le sexe. Il tendit les bras vers le ciel et fit jouer sa nuque jusqu’à entendre le léger craquement de vertèbres qui lui procura un peu de soulagement.
Il se penchait pour saisir de nouveau la veste de l’homme, lorsqu’il capta un mouvement furtif du coin de l’œil. La main de Ken émergeait de sa poche, serrée autour d’une bombe aérosol noire.
Il comprit une fraction de seconde trop tard.
— Non !
Il tenta de faire sauter la bombe de la main de Ken, mais le gaz lacrymogène s’était déjà diffusé et lui enflammait les yeux, la bouche et le nez.
— Espèce d’enfoiré !
Il poussa un cri strident, irrépressible. La douleur était insoutenable. Des tisonniers chauffés à blanc plantés dans mes yeux.
— Espèce de putain d’enfoiré !
Il recula en vacillant, des larmes sillonnaient ses joues. Quel supplice !
Ce salopard n’était pas du tout dans les vapes. Il faisait le mort, il gagnait du temps en attendant l’occasion de me flanquer son foutu gaz dans la gueule. Il suffoquait, incapable d’absorber suffisamment d’air. L’œdème avait envahi ses tissus pulmonaires et réduisait sa capacité respiratoire. Il suffoquait comme une truite hors de l’eau, sans pouvoir remplir ses poumons.
Il fallait absolument descendre ce salopard de préposé avant que ce connard ait le temps de se barrer.
La vision troublée par un flot de larmes, il distinguait à peine la silhouette de l’homme. Il bouge. Il est à genoux. Cet enfoiré se traînait à quatre pattes… Il vient vers moi. Cet abruti n’a même pas l’intelligence de se sauver.
Il recula de quelques pas, saisit le pistolet à sa ceinture et cilla rapidement pour tenter d’éclaircir sa vision. Sans crier gare, Ken se jeta en avant. Des bras musculeux se refermèrent autour de ses jambes et il tomba à la renverse. Sa tête heurta le sol avec une telle rudesse qu’il faillit ne pas se rendre compte qu’il avait été touché à la jambe. Quelque chose comme une piqûre d’abeille, mais en plus douloureux. D’une claque, il délogea un objet en plastique planté dans sa cuisse.
Il plaça l’objet près de ses yeux encore cuisants. Ce n’est pas une seringue. C’est une fléchette.
— Tu m’as planté une fléchette dans la jambe ? T’es dingue, ou quoi ? T’as déjà vu quelqu’un se trimballer avec des fléchettes ?
— Moi, je suis dingue ? Non, c’est toi, le cinglé. T’es complètement frappé, mon vieux !
Puis Ken roula sur lui-même, se tortilla pour se remettre à quatre pattes et tenta de s’éloigner. Voilà, c’était maintenant que ce crétin se décidait à ramper pour essayer de se sauver.
Ça, il ne pouvait pas le permettre. Une fois debout, il avança d’un pas mal assuré vers le gros tas qui progressait tout de même à une vitesse alarmante. Il visa la forme floue et tira. La masse s’immobilisa enfin, à quelques centimètres du coin de la maison.