Cincinnati, Ohio
Mercredi 5 novembre,
9 h 45
Assise au bureau de Deacon, Faith regardait dans le vide. La situation était donc si épineuse qu’il avait ressenti le besoin de vérifier qu’un cadeau de son oncle n’était pas un cheval de Troie destiné à la prendre au piège ?
Epineuse, c’était bien le mot. Que dire d’autre, alors que deux photos dans la colonne des suspects du tableau d’affichage représentaient des gens de sa propre famille ?
Et Combs ? Où se trouvait-il ? De quelle manière s’intégrait-il à cette affaire ?
Elle baissa les yeux sur son ordinateur, posé sur le bureau. Et pourquoi n’avait-elle pas encore eu de nouvelles de son nouveau patron ? D’un geste résolu, elle décrocha le combiné de la ligne fixe et composa le numéro de la banque.
— Monsieur Burns ? Ici Faith Corcoran.
Elle avait rempli tous ses papiers professionnels sous son nouveau nom, leur indiquant que son changement d’identité était lié à son divorce.
— Je vous ai envoyé un mail, hier, pour vous prévenir que j’avais eu un accident de voiture, qui m’a empêchée de venir au bureau. L’avez-vous reçu ?
— Oui, docteur Corcoran, je l’ai eu.
Mauvais signe, songea-t-elle en constatant qu’il n’ajoutait rien.
— J’espérais que la situation serait déjà réglée, mais ce n’est pas le cas. Quelle est la politique de la compagnie dans des situations comme celles-ci ?
Un silence gêné se prolongea à l’autre bout du fil, puis Burns finit par répondre.
— Nous avons reconsidéré votre embauche. Je suis désolé de vous dire que nous avons choisi de nous séparer de vous.
Cette fois, le silence s’établit aux deux bouts de la ligne. Encore plus crispé côté Burns, mais bouillant de colère chez Faith.
Elle avait beau avoir pris l’enquête sauvage de Kimble du bon côté lorsqu’elle en avait discuté avec Deacon, en réalité, elle ne voulait vraiment pas perdre son boulot. Au moins, j’ai une maison, songea-t-elle sarcastiquement.
— Et sur quel élément avez-vous précisément fondé votre décision ?
— Sur l’appel que nous avons reçu hier. C’était un lieutenant de la criminelle qui vous citait comme suspecte dans une enquête pour meurtre.
Je ne suis pas la suspecte, espèce de sale enfoiré. Je suis la putain de cible.
— J’ai bien peur qu’on vous ait donné des informations erronées. Je ne suis pas une suspecte. Avez-vous simplement envisagé que ça puisse être faux ?
— Nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de prendre ce genre de risques. Nous sommes une vieille institution, nous avons des actionnaires à protéger et aucun d’entre eux n’accepterait d’être éclaboussé par cette affaire.
Eclaboussé ?
— Très bien. J’aimerais que vous me signifiiez votre décision par écrit.
Burns observa une pause circonspecte.
— Pour quel usage ?
— Pour mes dossiers personnels, bien sûr. Et aussi parce que la plupart des journalistes veulent de la documentation.
— Des journalistes ?
— Oui. Au revoir, monsieur Burns.
Faith raccrocha et fixa un long moment le combiné.
Curieusement, elle ne tremblait pas. Elle n’avait pas l’estomac barbouillé. Elle ne redoutait pas d’être incapable de payer ses factures. Hormis un léger agacement en songeant à l’intervention de Kimble et une colère noire, après avoir été confrontée à l’attitude égocentrique de la banque, elle n’était pas réellement bouleversée.
Elle ne se faisait pas de souci. Ne se tracassait pas. En réalité, c’était libérateur. Quand ce cauchemar serait terminé, elle envisageait de recommencer à pratiquer ce qu’elle faisait si bien — s’occuper des victimes.
Elle possédait une vingtaine d’hectares de très bonnes terres. En les vendant, elle aurait de quoi vivre dans l’aisance. Et, si la réputation du domaine décourageait les acheteurs, elle attendrait que les choses se calment.
En tout cas, elle ne céderait pas l’ensemble de la propriété. Elle pourrait garder une certaine superficie autour de la maison, comme un mémorial dédié aux dix femmes qui y étaient mortes.
Après une brève recherche sur son ordinateur, elle choisit une agence immobilière locale, court-circuitant l’agence recommandée par Me Henson senior. L’ensemble de la situation avec Maguire and Sons démontrait bien que, dans le meilleur des cas, il était aveugle aux transactions de son cabinet, en particulier celles qui impliquaient son petit-fils. Dans le pire des cas, il était malhonnête. De toute façon, dorénavant, elle choisirait ses propres fournisseurs de services.
En temps normal, elle aurait ajouté la nouvelle agence immobilière au répertoire de son téléphone, ou aurait enregistré un mémo vocal sur son téléphone.
— Quand une femme moderne se retrouve obligée d’avoir recours au papier et au crayon, on peut dire que c’est une triste journée, marmonna-t-elle, sans songer à utiliser son ordinateur.
Le bureau de Deacon était complètement vide.
En revanche, sur celui de Bishop trônait un mug aux armes des Cincinnati Bearcats, rempli de crayons. Faith en emprunta un, puis chercha une feuille. La seule autre chose posée sur le bureau était un épais dossier, maintenu fermé par un élastique. Un post-it était collé sur la couverture : Lt Bishop, comme vous l’avez demandé, voilà une copie des documents trouvés dans la chambre de C. Longstreet.
Faith chercha une feuille vierge autour du dossier en essayant de ne pas être trop indiscrète, mais un des documents attira son attention. Le haut d’une feuille au format légal dépassait de la liasse et le logo de l’expéditeur, à peine visible, lui semblait cependant très familier.
Elle se pencha pour mieux voir et sut immédiatement d’où lui venait ce sentiment de familiarité. Elle l’avait vu la veille, lorsqu’elle avait sorti le testament de sa grand-mère de son coffre, à l’hôtel, pour le remettre à Deacon. Il s’agissait du logo du cabinet de l’avocat de sa grand-mère, Henson and Henson.
Pourquoi une étudiante de fac posséderait-elle de la correspondance émanant d’un cabinet juridique dont les plus jeunes clients étaient septuagénaires ? Un cabinet dont un des associés figurait sur le tableau d’affichage de l’équipe, côté suspects.
Elle tendit machinalement la main, mais l’enleva tout aussi instinctivement. C’était le dossier de Bishop. Ces documents faisaient partie d’une enquête. Qui est centrée sur ma putain de maison, après tout !
Elle fit glisser la feuille hors du dossier avec soin. Il s’agissait d’un courrier, daté de deux ans, adressé à Corinne Longstreet, l’avisant que, compte tenu de la qualité de sa lettre de motivation et en témoignage de gratitude pour avoir servi dans l’armée des Etats-Unis, elle bénéficiait d’une bourse d’études.
Faith regarda la signature, son sang se mit à battre sourdement à ses oreilles. Ses genoux se dérobèrent et elle se laissa tomber dans le fauteuil de Bishop. Non, non, non. C’était impossible. Mais le paraphe, inscrit noir sur blanc, lui disait le contraire.
— C’est donc ainsi que tout est relié, murmura-t-elle.
Elle se leva avec effort, ignorant ses genoux flageolants, marcha jusqu’à la salle de conférences et frappa à la porte.
— Pardon de vous déranger, mais je dois vous montrer quelque chose. C’est important.
Deacon se tenait devant le tableau d’affichage, où il venait d’épingler la lettre que Jordan venait de leur apporter. Il s’empressa de lui proposer une chaise.
— Assieds-toi, tu es blanche comme un linge.
Faith prit place et posa le document qu’elle avait trouvé sur la table.
— J’ai vu ça sur votre bureau, lieutenant Bishop. J’ai reconnu le logo de l’en-tête et… Je l’ai pris dans le dossier des papiers de Corinne. Vous pourrez me crier dessus plus tard, si vous voulez, ajouta-t-elle en voyant Bishop ouvrir la bouche, probablement dans cette intention. Il s’agit d’une lettre envoyée par Herbert Henson senior à Corinne, qui l’informe qu’elle bénéficie d’une bourse d’études. La lettre est signée par Barbara O’Bannion. Ma grand-mère.
Elle laissa échapper un soupir silencieux.