Cincinnati, Ohio
Mercredi 5 novembre,
18 h 45
D’une pichenette, Deacon manœuvra l’interrupteur extérieur qui commandait une lampe dans la chambre de Greg, seule manière d’attirer l’attention de son frère s’il n’avait pas ses prothèses auditives.
— J’ai pas faim, cria Greg. Laisse-moi tranquille.
Deacon ouvrit la porte.
— Ce n’est que moi. Je ne rapporte pas le dîner, ce soir.
Greg était assis dans son lit, absorbé par un jeu vidéo sur son portable.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il sans lever les yeux.
Au moins, cela voulait dire que son aide auditive était en place.
— J’ai des nouvelles pour toi. C’est important. Regarde-moi, s’il te plaît.
Il attendit d’avoir l’attention de Greg.
— Renzo est mort.
Greg écarquilla les yeux, sous le choc, puis l’inquiétude le saisit.
— Comment ? Quand ? C’est pas moi !
— Je sais que ce n’est pas toi. Personne ne pense une chose pareille. En revanche, j’ai besoin que tu gardes ça pour toi, jusqu’à ce que le commandant Isenberg fasse une déclaration à la presse. Renzo a été tué par l’homme qui poursuit Faith. On dirait qu’il était sur le point de te défier dans un combat au couteau. Mais le tueur l’a repéré, l’a attiré d’une manière ou d’une autre et l’a tué. Ça n’a absolument rien à voir avec toi.
Greg blêmit.
— Bien sûr que si. Si je ne m’étais pas arrangé pour faire croire qu’il avait le sida, il ne serait jamais allé là-bas. Il serait encore vivant. Je voulais démonter sa cote de popularité. Je voulais que les gens le prennent pour un menteur. Je ne voulais pas qu’il meure.
— Je sais, dit encore Deacon. Mais, Greg, ce n’est pas toi qui lui as demandé de venir avec un couteau. Il s’est vanté auprès de ses potes en leur disant qu’il allait te donner une leçon et qu’ensuite il allait aussi s’occuper de Dani. Aucun d’eux n’a voulu l’accompagner, et certains ont expliqué aux agents du FBI qu’ils ont essayé de le dissuader. Je suis désolé qu’il ait été tué mais, pour te dire la vérité, je suis soulagé qu’il ne puisse plus s’attaquer à aucun d’entre vous.
Greg hocha la tête, comme hébété.
— Ouais, mais… Peu importe.
Deacon passa le bras autour des épaules de Greg et le serra contre lui avec force.
— Il faut que j’y aille, maintenant, mais je veux que tu restes ici. S’il te plaît, ne sors pas.
— Mais Renzo est mort. Il ne peut plus me faire de mal.
— Non, mais le type qui l’a tué peut s’en prendre à toi. Il en a fait une affaire personnelle. Je ne veux pas qu’il puisse vous atteindre, Dani et toi. D’accord.
Greg hocha de nouveau la tête, plus convaincu cette fois.
— D’accord. Très bien. Comment va Faith ?
Bien. En sécurité au central. Entourée de flics armés.
— Elle va bien, mais je sais qu’elle sera contente quand tout ça sera terminé. Garde ton téléphone à portée de main. Si tu vois quoi que ce soit qui sorte de l’ordinaire, envoie-moi un SMS. Peu importe si tu as l’impression de virer parano. Je préfère une fausse alerte plutôt que de te perdre. Compris ?
Nouveau hochement de tête.
— Compris.
Le feu aux joues, Deacon hésita.
— Je t’aime, mon vieux. Je ne le dis pas assez, mais c’est vrai.
Greg détourna les yeux et souffla, exaspéré.
— Putain, D… Moi aussi, marmonna-t-il.
Exactement ce que Deacon avait besoin d’entendre.
— Reste ici, dit-il d’un ton farouche. Reste en sécurité.
Deacon trouva Jim dans la cuisine et l’informa de la mort de Renzo. Lorsque Jim et Tammy s’étaient pointés au central, la veille, pour venir chercher le garçon, il avait dû leur parler des problèmes de Greg au lycée.
— Je n’ai pas donné de détails à Greg. Je ne veux pas lui mettre ce genre d’images en tête. Mais ce tueur a encore fait monter les enchères.
Jim hocha la tête d’un air sévère.
— Il tue dans ton ancienne maison, il tue devant ta nouvelle maison. Ce type t’en veut, à toi et aux tiens. Je vais veiller sur Greg. Mais qui va protéger Dani ?
— Je vais demander un détachement de protection pour vous tous.
— Nous n’en avons pas besoin, ici.
Jim tapota son vieux pistolet de service, glissé dans un étui à sa hanche. Deacon songea que son oncle ne se séparait de l’arme que pour prendre une douche, mais il n’en était même pas sûr.
— Je m’occupe de Greg. Toi, fais attention à toi. Ne va pas te faire tuer.
Deacon ne put masquer sa surprise. C’était peut-être la chose la plus chaleureuse que Jim lui ait jamais dite.
— Merci, Jim.
Son oncle lui adressa un regard teigneux, comme s’il le mettait au défi de sourire.
— Ta tante serait triste.
— Personne ne veut ça. Je serai prudent. Merci.
Il regagna la voiture, le cœur un peu plus léger. Maintenant, il rentrait au central. Retrouver Faith.
Après avoir bouclé sa ceinture, il rappela le téléphone d’Isenberg. Il avait déjà tenté de la joindre en rentrant de la scène de crime chez Lazar pour demander un détachement de protection, mais il avait eu sa messagerie. Et maintenant il obtenait le même résultat.
Il appela Bishop, mais elle refusa son appel, après une seule sonnerie. Un SMS lui arriva, quelques secondes plus tard.
Suis à l’hôpital avec frères O’B. Je t’appelle plus tard.
Frustré, il composa le numéro d’Adam, mais une fois de plus il atterrit directement sur la messagerie.
Tanaka était le suivant sur sa liste. A son grand soulagement, Vince décrocha.
— J’étais sur le point de t’appeler, dit Tanaka. Tu veux les bonnes ou les mauvaises nouvelles ?
— D’abord les mauvaises, dit Deacon. Je préfère finir sur un truc positif. Ça me ferait pas de mal en ce moment.
— Que s’est-il passé ?
Tanaka semblait soucieux.
— On a trouvé la planque du tueur près de chez moi, mais il était parti. On a aussi trouvé les restes de mon voisin et ceux de Renzo dans des congélateurs au sous-sol. A toi.
— Sophie a trouvé un cadavre enterré dans la chambre souterraine, nous pensons qu’il s’agit de la mère de Roza. La gamine dormait dans la pièce où sa mère avait été enterrée.
Deacon soupira.
— Et les bonnes nouvelles ?
— C’est tout relatif. Faith nous a donné un coup de main pour trouver un vieux monte-plats qu’il a amélioré pour accueillir une série de plateaux. C’est là que nous avons trouvé sa cache à souvenirs.
— Bien, c’est…
Deacon se figea.
— Faith vous a donné un coup de main ? Elle est là-bas ? Dans cette maison ?
— Heu… Oui, elle est ici. Avec Adam et moi.
Adam. Deacon ferma les yeux, l’image des deux têtes tranchées s’imposa à son esprit avec une clarté terrifiante. La colère jaillit en lui, comme un geyser purifiant et revitalisant. A ce moment, cela lui était plus indispensable que de prendre sa prochaine inspiration. Putain de bordel d’enfoiré. Je lui ai dit de ne pas l’emmener là-bas sans moi.
— Est-ce que le lieutenant Kimble est encore là ? demanda-t-il d’une voix mesurée.
— Hum, oui. Ecoute-moi, si tu veux hurler, ne me hurle pas dessus. Hurle sur Kimble. Mais Faith va bien. Je crois que le fait de nous aider lui a aussi fait du bien.
Deacon fit démarrer sa voiture.
— J’arrive.