Cincinnati, Ohio
Mardi 4 novembre, 12 h 30

MME POHL PRINCIPALE

Deacon regardait la plaque fixée sur la porte en rassemblant son courage. Lui qui avait affronté des tueurs sans sourciller serait sans doute capable de s’en sortir face à une très vieille dame.

— En s’y mettant à deux, on peut l’avoir, murmura Greg d’un ton sarcastique.

Lorsque Deacon était passé le chercher chez Jim et Tammy, l’adolescent était habillé, prêt à partir, prothèses auditives en place et branchées. Deacon avait considéré cela comme un bon présage.

Maintenant, il observait le visage un peu pâle, aux traits tirés, de son frère.

— Je ne sais pas. Elle me flanquait une sacrée trouille à l’époque, alors qu’elle n’était que vice-principale.

Greg écarquilla les yeux.

— Tu la connais déjà ?

— Un peu trop bien, reconnut Deacon. J’ai passé pas mal de temps dans ce bureau. Tu es certain de ne pas vouloir un interprète en langue des signes ? On a encore le temps de faire venir quelqu’un.

— Non. Je vais me débrouiller avec mon appareil. Je ne veux pas que quelqu’un d’autre soit au courant pour cette histoire.

Ça, ce n’était pas un bon présage.

— D’accord.

Deacon ouvrit la porte du bureau de Mme Pohl.

Elle leva la tête et ébaucha un sourire, qui mourut sur ses lèvres.

— Eh bien, eh bien, dit-elle à voix basse. Deacon Novak. Je m’attendais à voir votre sœur.

Elle semblait ne pas avoir changé, songea Deacon. Plus âgée, plus grisonnante, plus ridée qu’elle ne l’était quinze ans plus tôt. Mais il retrouvait chez elle l’expression d’autorité qui lui faisait honte et le forçait à l’obéissance, à l’époque où il n’était pas plus âgé que Greg.

Son frère s’affala dans un des fauteuils qui faisaient face au bureau de Mme Pohl, baissa immédiatement la tête et croisa les bras sur sa poitrine. Pas du tout, du tout, un bon présage.

— Dani travaille, expliqua Deacon. Je crois que cette fois vous allez devoir vous contenter de moi.

— Pas du tout. Regarde-toi, tu es devenu un grand garçon, et agent du FBI, en plus.

Il se redressa instinctivement et elle lui adressa un petit sourire sarcastique.

— J’ai suivi ta carrière pendant toutes ces années, tu sais. Grâce aux journaux, bien sûr, puisque tu n’es pas revenu me voir, souligna-t-elle.

Il grimaça.

— Je me suis dit que vous m’aviez eu assez souvent en colle pour une vie entière.

Elle eut un petit rire.

— Il est vrai que tu étais assez pénible, mais tu t’en es bien sorti. Je te considère comme une réussite. Je dois dire que tu as l’air d’avoir un travail très excitant. Et où est passé ton fameux manteau ?

Les louanges de Mme Pohl allèrent droit au cœur de Deacon. J’imagine que j’ai plutôt bien tourné.

— Vous vous souvenez de mon manteau ?

— Bien sûr. Quand tu le portais à l’époque, tu faisais déjà grosse impression. Et tu l’avais aussi sur toutes les photos que j’ai vues ces dernières années, y compris dans le journal de ce matin. Alors, où est-il passé ?

Deacon se renfrogna.

— J’ai peur qu’il n’ait été réquisitionné comme indice. Je devrais le récupérer. Un jour ou l’autre.

Le regard de Mme Pohl se fit plus perçant, elle jeta un coup d’œil à Greg, avant de revenir à Deacon.

— Seront-ils capables de réparer le trou qu’a laissé la balle ?

Greg leva la tête d’un geste brusque. Il pivota sur son siège pour fixer son frère.

— La balle ? Quelle balle ?

— On m’a tiré dessus la nuit dernière, mais je portais un gilet pare-balles. Je porte toujours un gilet, Greg. Tu n’as pas à t’inquiéter pour moi, dit Deacon en lui pressant l’épaule d’un geste rassurant. Je suis prudent.

— D’accord.

Greg se dégagea et reprit sa position avachie.

— Est-ce qu’on pourrait régler ça rapidement ? reprit-il. Breaking Bad m’attend sur Netflix. Je me suis dit que j’aurais le temps de regarder la saison deux pendant mon expulsion.

— Une meilleure vie grâce à la chimie, lança Mme Pohl d’une voix sarcastique.

Deacon crut voir frémir les lèvres de Greg. Mais son frère reprit si vite son expression de marbre qu’il ne put se faire une opinion.

— J’ai dû bloquer cette série au moins dix fois, dit Deacon. Mais il trouve toujours un moyen de contourner le contrôle parental. Parfois, mon frère choisit d’utiliser le cerveau qui se trouve sous son crâne.

— Ça nous mène où, tout ça ? demanda Greg avec un rictus insolent.

— Au fait que tu as encore été surpris à te battre, Greg, répondit Mme Pohl d’un ton vif. Cette fois, tu as cassé le nez de l’autre étudiant. Et, d’après les témoins, c’est toi qui as commencé la bagarre.

— Et alors ?

Deacon donna un coup sec sur l’accoudoir de bois du fauteuil.

— Un peu de respect, Greg. Assieds-toi correctement, pour commencer.

Mme Pohl pinça fugacement les lèvres, et Deacon aurait juré qu’elle réprimait un sourire. Puis elle considéra Greg d’un air sévère, attendant qu’il se redresse et croise son regard.

— Merci, Greg. Qu’as-tu à dire pour ta défense en dehors de « et alors » ?

— Rien. Vous pouvez me suspendre, si vous voulez. Je reviendrai et je recommencerai. Il vaudrait mieux me renvoyer définitivement. Je peux travailler à la maison. Suivre des cours sur Internet. Je peux même passer mon GED1 tout de suite et en finir, conclut-il en haussant les épaules.

Deacon ouvrit la bouche, prêt à exploser, mais Mme Pohl lui intima le silence d’un seul coup d’œil.

— Evidemment, rien ne t’en empêche, dit-elle. Mais j’espère que tu n’en feras rien. Tu pourras avoir un brillant avenir. Par exemple en piratant les bases de données des gouvernements ennemis. J’espère que tu ne considéreras pas notre propre gouvernement comme un ennemi.

L’ado en resta bouche bée, pendant que Deacon le foudroyait du regard.

— Qu’est-ce que c’est que ce bordel, Greg ?

Mme Pohl adressa à Deacon un regard sévère.

— Deacon Novak, tu es peut-être un adulte et un agent du FBI, mais ça ne signifie pas que je vais tolérer des écarts de langage dans mon bureau, pour autant.

— Désolé, s’excusa Deacon en se tassant dans son fauteuil.

Greg n’avait toujours pas refermé la bouche.

— Comment vous savez ça ? bredouilla-t-il.

— Je sais tout ce qui se passe dans mon école. J’ai des caméras partout et je sais les utiliser. Je sais que tu as démarré une bagarre, il y a quelques semaines, pour permettre à un autre étudiant qui était brutalisé de s’en aller sans dommage. J’espérais que tu viendrais m’en parler, mais tu n’en as rien fait, alors, je n’ai d’autre choix que de te sanctionner.

Greg leva le menton d’un air de défi.

— D’accord. Mais la bagarre d’hier n’a pas eu lieu dans le périmètre de l’école.

Elle pencha la tête comme un petit oiseau.

— Oui, je le sais.

Greg ne battit pas en retraite.

— Donc, techniquement, c’est en dehors de votre juridiction.

— En effet, reconnut Mme Pohl.

Deacon considérait cette vieille petite bonne femme avec stupéfaction et un respect sincère.

— Alors, pourquoi sommes-nous ici ? C’est à cause du piratage ? Et… c’est quoi cette histoire de piratage ?

— Je pourrais appeler la police, dit-elle à Greg, sans prêter attention à Deacon. Le piratage est un crime.

Greg serra les mâchoires. Il s’adossa à son fauteuil avec lassitude.

— Qu’attendez-vous de moi ?

— Je veux que tu cesses d’essayer de pirater mon réseau. Peu importent tes raisons, quand bien même j’aimerais les connaître. Je veux que tu me dises pourquoi tu t’es battu avec ce singe poilu, hier. Et je veux que tu cesses de chercher les problèmes.

— Je veux savoir ce qui se passe, ici, bord… bon sang, exigea Deacon.

— Greg a d’excellents résultats, mais il utilise ses talents pour se fourrer dans les ennuis. Exactement comme toi, Deacon. Il a aussi fait une poussée de croissance, à peu près au moment où tu as fait la tienne. Cette année, il a gagné en taille et en force, comparativement à l’année dernière, et il rattrape le temps perdu. Tout comme tu l’as fait à l’époque.

— Mer… credi, marmonna Deacon. Vous vous régalez, c’est ça ?

— Oh ! oui, affirma-t-elle, le regard étincelant. Depuis que tu m’as donné mes premiers cheveux gris, il y a plus de quinze ans, j’espérais que ce jour viendrait.

— Vous aviez déjà des cheveux gris avant notre rencontre. Ne me blâmez pas pour vos malheurs, d’accord ? dit Deacon en souriant.

Puis il se tourna vers Greg.

— A toi, maintenant. Commençons par cette bagarre. Pourquoi as-tu cassé le nez du singe poilu ?

— Renzo racontait un tas de conneries.

— A quel propos ?

— De moi, répondit l’ado en détournant les yeux. Il dit que je suis une erreur de la nature.

Deacon tressaillit, les paroles d’Adam lui revenaient comme un horrible écho.

— Donc, tu lui as démontré que tu étais exactement comme lui.

Nouveau haussement d’épaules.

— Plus ou moins.

— Mais tu l’as fait à l’extérieur de l’école de manière à t’éviter les ennuis. Pourquoi tu ne m’en as pas parlé ?

Les épaules de Greg se voûtèrent.

— Tu ne m’as pas demandé.

Deacon soupira en se souvenant de leur dispute. De leurs paroles pleines de colère.

— Mais je t’ai interrogé plus tard et tu ne m’as rien dit. Ce n’est pas juste.

Puis il se tourna vers la vieille dame, sourcils froncés, et s’adressa à elle.

— Vous m’avez dit qu’il s’était fourré dans les ennuis à l’école. De quoi s’agit-il ?

— J’ai dit qu’il avait été impliqué dans une bagarre après l’école. J’ai dit qu’une plainte pourrait être déposée, et c’est toujours le cas. Quand je vous ai appelé hier, je n’avais pas encore regardé les images de vidéosurveillance. Maintenant, c’est chose faite. Cette fois, il ne sera pas exclu à cause de la bagarre. Mais, Greg, qu’arrivera-t-il la prochaine fois ? Tu t’es fait un ennemi. Que se passera-t-il quand Renzo et ses copains vont te jeter dans l’escalier ? Tu as créé une situation dangereuse pour mon équipe et les autres étudiants. Si une bagarre se déclenche dans les couloirs, quelqu’un d’autre sera blessé, c’est certain.

— Je suis désolé, fit Greg à voix basse. Je n’ai pas réfléchi à tout ça.

— Je le sais, dit-elle avec gentillesse. Maintenant passons au problème essentiel. Le piratage.

— Comment savez-vous que c’était moi ? demanda Greg, intrigué.

— Je l’ignorais avant que tu m’en parles. Je savais que quelqu’un avait tenté de pénétrer le réseau. Je me suis dit que c’était toi, mais je préférais que tu ne sois plus sur tes gardes avant de te confondre. Hier, j’ai eu l’occasion que j’attendais.

Greg en resta de nouveau bouche bée. Deacon ne put réprimer son amusement.

— Bien joué, madame Pohl.

Elle lui adressa un grand sourire.

— Je trouve aussi, lâcha-t-elle, puis elle se pencha en avant. Alors, Greg, quel était le plan ?

Il baissa les yeux.

— Vous allez me suspendre à cause de ça, pas vrai ?

— Tu peux y compter. Mais nous devrions pouvoir conclure une espèce d’accord. Pourquoi as-tu tenté d’entrer dans la messagerie électronique de mes professeurs ?

— Je voulais changer les notes de Renzo. Je voulais qu’il se plante. Je voulais qu’il s’en aille.

L’expression de Mme Pohl se fit inquiète.

— Pourquoi ? Parce qu’il t’a insulté ?

— C’est pas assez, peut-être ? s’insurgea Greg.

— Non, dit-elle avec calme. Ce n’est pas assez. Et je n’y crois pas, à ton histoire. Tu sais que ce changement de notes ne serait pas passé inaperçu. Quel était ton véritable objectif ?

— Bon d’accord. Je n’ai pas seulement tenté d’accéder au serveur mail. Je l’ai fait.

Greg détourna le regard, les lèvres tremblantes. Deacon se rappela à quel point son frère était jeune.

— Pourquoi, Greg ? dit-il, lui posant gentiment la main sur le dos. Qu’est-ce que tu as fait ?

— J’ai envoyé des messages à tous les profs de Renzo, depuis le compte mail de l’infirmière. Je leur ai dit qu’un de leurs étudiants était atteint d’une maladie. Les élèves qui assistent les profs lisent tous leurs mails. Et ce sont de vraies commères.

— Tu savais que les assistants allaient comparer leurs notes, poursuivit Deacon. De cette façon, ils sauraient quels autres professeurs avaient reçu le même message et finiraient par découvrir l’identité de l’élève qui suivait tous ces cours. Ils auraient balancé Renzo et la rumeur aurait fait le reste. En fait, ce n’était pas un si mauvais plan.

— Deacon Novak ! s’exclama Mme Pohl, manifestement contrariée.

Greg regarda son frère avec attention et Deacon comprit que la manière dont il gérerait les minutes suivantes serait cruciale et conditionnerait leur relation pour le restant de leurs vies.

— Eh bien, c’est vrai, dit-il. Utiliser la désinformation, c’est carrément Mission impossible, non ? Qu’est-ce que tu lui as choisi comme problème de santé ? Une bonne vieille intoxication alimentaire ?

Greg serra les dents.

— Le sida.

Deacon laissa échapper un petit soupir. Mon Dieu.

— Pourquoi ?

La gorge nouée, Greg ne répondit pas immédiatement.

— Parce que Renzo a tout découvert, finit-il par lâcher. Il allait en parler sur Internet. Je ne pouvais pas le laisser faire.

Ses yeux — un bleu et un marron comme ceux de Dani — brillaient de larmes.

Maintenant, Deacon comprenait le problème.

— Non. Moi non plus, je n’aurais pas pu le laisser faire. Comment l’a-t-il découvert ?

— Je ne sais pas. J’en ai parlé à personne, je te jure. Je n’aurais jamais fait ça. Surtout à elle.

— Je sais, répondit Deacon avec calme. Je me disais que, parmi les trucs qu’il t’avait balancés pour te prendre la tête, il aurait pu te révéler comment il l’avait appris.

Un éclair de gratitude traversa le regard de Greg.

— Je voulais lui faire du mal, murmura-t-il. En fait, je voulais surtout qu’il la ferme.

— Je sais, répéta Deacon en frottant le dos de Greg comme il avait réconforté Faith, la nuit précédente. Je comprends.

Pohl les observait, perplexe.

— Moi, je ne comprends rien. Qu’a-t-il découvert ? Et à propos de qui ?

Greg secoua la tête, mais n’en dit pas plus.

— Dani ne voudrait pas que tu aies des ennuis à cause d’elle, intervint Deacon. Dis-le à Mme Pohl. Laisse-la t’aider à garder ta place au lycée. Tu mérites mieux qu’un GED et un boulot qui t’offrira une impasse en guise d’avenir.

Mme Pohl se figea brusquement, et Deacon vit le moment où elle comprit la situation.

— C’est à propos de ta sœur, n’est-ce pas ? Elle a…  ? Dani a le sida ? Comment est-ce arrivé ?

— Ça la regarde, dit sèchement Deacon.

Dani était si jeune à l’époque, à peine plus âgée que ne l’était Greg actuellement. Et elle avait fait confiance au petit ami qui avait prétendu l’aimer et assurait qu’il était sain. Le salopard avait menti sur les deux fronts et l’existence de Dani en avait été bouleversée pour toujours. Mais, tout ça, c’était son putain de problème à elle.

— Madame Pohl, il y a plus important dans cette affaire, reprit-il. On ignore comment, mais Renzo est tombé sur les informations médicales de Dani et il avait l’intention d’utiliser ces renseignements pour lui nuire.

— Ça la regarde, bien évidemment, murmura Mme Pohl. Navrée d’avoir demandé. Il faut dire que c’était tellement inattendu. Oh ! Greg ! Qu’as-tu fait, mon petit ?

— Ce que j’avais à faire. Renzo aurait ruiné la carrière de ma sœur et elle a travaillé trop dur pour devenir médecin. Elle n’a jamais fait de mal à personne, et il se moquait d’elle. Il en parlait à ses amis. Il disait que, pour avoir attrapé le sida, c’était forcément une salope ou une toxico.

Greg baissa les yeux, poings serrés, et continua, d’un ton rageur :

— Une fois, il m’a dit « toxico un jour, toxico toujours ». Et qu’il voulait l’obliger à partager son stock avec lui et que, pour la faire parler, il était prêt à la tabasser jusqu’à ce qu’elle tombe dans les pommes.

Il leva la tête et défia Mme Pohl du regard, à travers ses larmes.

— Vous voyez, madame Pohl, maintenant, tout le monde dit la même chose de Renzo, poursuivit-il avec une sombre satisfaction. Maintenant, quand il raconte des trucs sur Dani ou sur n’importe qui d’autre, il passe pour un bouffon.

Deacon ferma les yeux. Putain, quel bordel.

— Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé, Greg ?

— J’ai cru que tu ne me croirais pas. J’avais déjà causé tellement de problèmes que ça t’avait obligé à quitter ton boulot pour revenir ici.

Le garçon sanglotait maintenant à chaudes larmes, brisant le cœur de Deacon, qui passa le bras autour des épaules tremblantes de son frère.

— Je voulais juste qu’il arrête de faire ça, bredouilla Greg.

— Chuuut. Je comprends.

Deacon chercha le regard de Mme Pohl. Au cours des dernières minutes, elle semblait avoir pris vingt ans de plus.

— Alors, qu’est-ce qu’on fait ? demanda-t-il.

— Je n’en sais rien.

Elle posa le bout de ses doigts contre ses lèvres et réfléchit un long moment avant de reprendre la parole.

— Bon, au moins, ça explique la réaction des autres élèves. Greg a frappé l’autre garçon sur le nez, Renzo s’est mis à saigner et tout le monde s’est sauvé. Greg a fait de Renzo un paria.

— On dirait qu’il ne l’a pas volé, grommela Deacon.

Il mourait d’envie de mettre la main sur le singe poilu et d’avoir une petite conversation musclée avec lui.

— Je n’ai jamais été confrontée à ce genre de situation. Je n’ai pas la moindre idée de la sanction appropriée.

— Renvoyez-moi pour la bagarre, suggéra Greg, s’attirant un regard perspicace de Mme Pohl.

— Mais pas pour le piratage, c’est ça ? Tu ne veux pas que les autres apprennent que tu l’as piégé.

— Non. Je veux qu’il souffre et qu’il paie pour ce qu’il a fait.

— Comment aurions-nous dû réagir, madame Pohl ? demanda Deacon. Ce Renzo a menacé de révéler que Dani, qui n’a jamais fait de mal à personne, est atteinte du VIH, ce qui aurait pu détruire sa carrière. Ensuite, il a menacé de la frapper. Les menaces de violence ne peuvent pas rester impunies.

— Je suis d’accord avec ça, répondit Mme Pohl en se massant les tempes. Ecoutez, Deacon, ramenez votre frère à la maison. Je consulterai les avocats de l’école et je verrai ce qu’ils recommandent de faire.

Deacon scruta le visage juvénile de Greg.

— Si nous parvenons à arranger cette affaire et que tu peux rester dans cette école, est-ce que tu serais d’accord ?

Greg plissa les yeux, sa bouche se durcit.

— Ouais, je veux bien rester ici.

— Ce ne sera peut-être plus possible, Greg, dit Mme Pohl. Je n’aurai peut-être pas d’autre choix que de t’expulser définitivement. Trafiquer des dossiers est un problème de violation de la vie privée. On doit prévenir les autorités. C’est très grave.

Deacon serra la nuque de Greg.

— Il n’a pas trafiqué le vrai dossier médical de qui que ce soit. Il a trafiqué la messagerie. Nous allons engager un avocat. Et nous nous défendrons à la moindre tentative que fera l’école pour l’expulser.

Mme Pohl le fixa avec surprise.

— Mais… vous ne pouvez tout de même pas cautionner ce qu’il a fait.

Greg semblait tout aussi ébahi.

— Nous allons prendre un avocat pour moi ?

— Absolument. Nous allons faire ça. Et, quand Dani apprendra cette histoire, tu verras qu’elle nous aidera à trouver le putain de meilleur avocat de la ville.

Puis, il se tourna vers Mme Pohl.

— Non, madame. Je ne cautionne en aucun cas ce qui s’est passé. Ce que Greg a fait est mal, mais il l’a fait pour de bonnes raisons.

Il se leva et fit signe à Greg de le suivre.

— Viens, mon vieux. Je te ramène à la maison.

Greg hésita à la porte et s’essuya les yeux d’un revers de manche.

— On va chez tante Tammy ?

— Il faut bien. Ta chambre n’est pas prête. Je dois encore terminer la peinture.

— Je n’aurai pas grand-chose à faire pendant quelque temps. Je peux me charger de la peinture. Ne m’oblige pas à y retourner, D., chuchota-t-il en regardant ses chaussures. Tammy va avoir une autre crise cardiaque à cause de cette histoire et ce sera ma faute. Je lui ai déjà causé assez d’ennuis. Laisse-moi rentrer avec toi.

Mais Faith est là-bas. Dans mon lit. En train de prendre un repos plus que mérité. Il songea à ce qu’il préférerait qu’elle fasse avec lui dans ce lit. Ce qui était sans doute fort peu sage.

Même s’il n’en avait rien à faire.

Et c’était justement le problème. Quand il était question de Faith Corcoran, il se fichait tout simplement de ce qui était raisonnable. Il soupira en silence. Avec Greg dans les parages, il tenait peut-être un excellent moyen de dissuasion. La présence de son frère l’empêcherait de franchir un niveau supplémentaire dans cette relation qui allait trop fort et trop vite. Et, au cas où les ennuis poursuivraient Greg jusqu’à la maison, il y aurait au moins des gardes du corps en faction, sur place.

— D’accord. Tu finiras la peinture, dit-il en passant le bras autour des épaules de Greg. Rentrons, maintenant. Madame Pohl, vous nous tiendrez informés de la décision de l’école, s’il vous plaît.

— Dès que je le saurai, promit-elle. Greg, nous allons essayer d’arranger ça, d’une manière ou d’une autre. Et, Deacon, ne te fais plus tirer dessus, d’accord ?

Il se força à sourire.

— Je ferai de mon mieux.

Ils regagnèrent la voiture de Deacon en silence.

— Tu vas le dire à Dani ? demanda Greg, à voix basse.

— Elle a le droit de savoir, tu ne crois pas ? Pas seulement ce que tu as fait, mais ce qui risque de lui tomber dessus. Pas vrai ? Renzo a parlé. Le secret de Dani ne va pas le rester bien longtemps.

Greg tapa un SMS.

— Je lui ai juste demandé de nous rejoindre chez toi.

— Chez nous. Donne-moi une seconde pour me mettre au courant et, ensuite, direction la maison.

Deacon vérifia son téléphone avec lassitude. Pendant qu’il se trouvait dans le bureau de Mme Pohl, des messages vocaux, des SMS et des mails s’étaient accumulés. Les deux oncles de Faith avaient retourné ses appels. Alda Lane avait tenu parole. Jordan paraissait plus sobre et exprimait son inquiétude pour Faith. Quant à Jeremy, le professeur à la faculté de médecine, il semblait beaucoup plus détaché. Tous deux annonçaient qu’ils étaient disponibles pour rencontrer Deacon, à n’importe quel moment de la journée. Tous les deux demandaient des informations sur ce qui se passait dans leur vieille maison.

Deacon décida de les rappeler dès qu’il pourrait répondre à leurs questions sans avoir un ado de quinze ans attentif à ses moindres mots.

Je suis si fatigué. Il survola le reste de ses messages, songeant une fois encore à Faith, endormie dans son lit. Si pour l’instant il aspirait à la rejoindre, c’était pour dormir. Je dois être vraiment crevé, songea-t-il. Au moins, quand il pourrait enfin fermer les yeux, l’odeur de Faith parfumerait ses draps. Ça n’aurait rien à voir avec la vraie chose, mais il devrait s’en contenter, jusqu’à ce que tout soit terminé.

Puis, il trouva le mail qu’elle lui avait envoyé. Prenez soin de vous, Deacon. Je vous attendrai. Tout en lui s’apaisa. Pour une fois, quelqu’un l’attendait. Juste lui. Faith ne resterait peut-être pas très longtemps mais, pour l’instant, il se laissa imprégner par cette sensation.

Sur tes traces
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