Cincinnati, Ohio
Mardi 4 novembre, 0 h 55

C’était comme s’il avait actionné un interrupteur interne, songea Faith, pendant que Novak remplissait le registre de l’accueil de la police de Cincinnati. A l’hôpital, il avait manifesté un incontestable intérêt à son égard. Lorsqu’il s’était penché pour chercher son regard, il avait été assez proche… pour l’embrasser. Et c’était exactement ce qu’elle avait envisagé de faire. Une réaction insensée, à ce moment-là — et qui l’était encore. Elle ne le connaissait même pas.

Mais elle en avait envie. Il s’inquiétait pour elle. Elle l’avait bien vu. Et il s’inquiétait pour les victimes. Pour Arianna, pour Corinne et pour une gamine de douze ans, victime d’agression sexuelle, qu’il n’avait jamais rencontrée.

Et pour moi. Il s’inquiète pour moi. Il prenait en compte la terreur et le chagrin qu’elle éprouvait. Et il la croyait, il comprenait les raisons qui l’avaient poussée à agir comme elle l’avait fait. Ce qui représentait encore plus à ses yeux.

L’espace d’un instant, il avait été plus que concerné. Lorsqu’il s’était penché vers elle, cherchant à lire son regard… Il avait éprouvé du désir. Et en cet instant, si mal choisi, elle avait partagé le même élan. Elle avait eu envie de tendre la main et de lui caresser le visage. De découvrir s’il était aussi chaud qu’il paraissait. Si le bouc qui encadrait cette belle bouche était soyeux ou rêche.

Elle avait dû rassembler chaque parcelle de contrôle en sa possession pour rester sur sa chaise, pour garder ses mains croisées et sur la table. Mais manifestement, à partir de maintenant, ce problème ne serait plus un sujet d’inquiétude. Novak avait décidé de battre en retraite et ça convenait tout à fait à Faith. Absolument.

Mieux valait écarter ce souvenir un peu trop électrique.

— Que venons-nous faire ici ?

Novak quitta des yeux le registre dans lequel il inscrivait le nom de Faith.

— Mon commandant nous l’a demandé.

— Non, je veux savoir pourquoi nous sommes au quartier général de la police de Cincinnati. Vous faites partie du FBI. Pourquoi ne sommes-nous pas à l’antenne locale du Bureau ? Et pourquoi devons-nous rencontrer votre commandant ? Vous n’avez pas d’agent principal ici ?

— Je fais partie d’une unité conjointe, dit-il d’un ton léger en lui tendant un badge de visiteur. MCES. La brigade des crimes majeurs. Je suis l’offrande symbolique du FBI.

Elle fixa le badge au revers du blouson du FBI qu’il lui avait prêté.

— Qui suis-je ?

Il désigna le badge.

— C’est écrit « visiteur ».

Il se mit en mouvement, s’attendant clairement à ce qu’elle le suive.

Mais elle ne bougea pas.

— Novak… agent Novak ? insista-t-elle, comme il continuait à marcher. Deacon. S’il vous plaît.

Il s’arrêta, mais ne se retourna pas.

— Oui, docteur Corcoran ?

Appelez-moi encore Faith. Je vous en prie.

— Etais-je obligée de venir ici, ce soir ?

Il se raidit, puis se retourna pour croiser son regard, le visage grave ; toute moquerie s’était dissipée.

— Non. Voulez-vous partir ? Je peux vous ramener à votre hôtel.

— Non. Je tiens à discuter avec Vega. Je voulais juste m’assurer que je serai autorisée à partir ensuite.

Il approcha lentement, comme s’il avait soudain les pieds lestés de plomb. Quand les richelieus au cuir étincelant furent à moins de cinq centimètres de ses vieilles baskets, il courba ses larges épaules et plia les genoux jusqu’à ce que leurs yeux soient au même niveau.

— Avez-vous fait autre chose dont je devrais avoir connaissance ? chuchota-t-il.

Un bref instant, Faith eut le souffle coupé. Impossible de détourner les yeux. Deacon avait de nouveau appuyé sur l’interrupteur, elle retrouvait ce charme ensorcelant. Elle secoua lentement la tête en signe de dénégation. Le cèdre imprégnait ses sens et elle se demandait confusément si la senteur venait du cuir ou de la peau.

— Non.

— Alors ça devrait aller.

Il se redressa, après avoir repris son expression de Novak narquois, et ajouta :

— Je ne travaille pas depuis très longtemps avec le commandant Isenberg, mais je sais qu’elle est plutôt à cheval sur la ponctualité. Allons-y.

Faith le suivit dans l’ascenseur, mais attendit la fermeture des portes et qu’ils se retrouvent seuls pour reprendre la parole.

— Vous n’êtes pas obligé de faire ça. Pas avec moi.

Il garda le regard fixé sur le tableau de la cabine.

— Qu’est-ce que je ne suis pas obligé de faire, docteur Corcoran ?

— Inutile de faire semblant. Si vous voulez garder vos distances, très bien, déclara-t-elle, sans tenir compte de la petite voix intérieure qui lui affirmait le contraire. Mais vous n’avez pas besoin de ce… masque. Pas avec moi.

Il lui lança un coup d’œil amusé.

— Comment savez-vous qu’il s’agit d’un masque ?

— Parce que votre sœur a dit que vous êtes un homme bon et elle parlait du fond du cœur.

Il haussa les épaules avec un peu de condescendance.

— Dani voit la bonté chez tout le monde.

— Vous dites ça comme si c’était une mauvaise chose.

— C’est parfois le cas… Ah, voici notre étage.

Les portes s’ouvrirent et, d’un geste, il l’invita à quitter la cabine.

Ils arrivèrent dans une salle d’interrogatoire. Assise derrière la table, une femme les attendait avec une impatience évidente. Elle ne se leva pas à leur arrivée, se contentant de désigner deux chaises vides. En s’asseyant, Faith remarqua un miroir sans tain à sa gauche, puis évalua la femme du regard, à son tour.

— Docteur Corcoran, je vous présente le commandant Isenberg, qui dirige la brigade.

La femme avait une quarantaine d’années. Voire une cinquantaine. Aucune ride ne marquait sa peau légèrement bronzée — le sourire n’était manifestement pas une expression habituelle chez elle. Ses courts cheveux gris fer étaient hérissés comme si elle venait d’y passer les doigts.

Juste comme ceux de Novak, bien que Faith ne l’ait pas vu les toucher une seule fois depuis qu’elle l’avait rencontré.

Isenberg s’adossa à son siège.

— Vous êtes la tristement célèbre docteur Corcoran. Eh bien, vous n’avez pas chômé, aujourd’hui.

— Ouais. On peut dire ça. Savez-vous pourquoi Vega voulait me parler, lieutenant ?

— Ouaip. Elle vous a appelé toute la journée. Qu’est-ce qui ne va pas avec votre téléphone ?

Faith soupira. Encore un flic qui ignorait ses demandes parfaitement raisonnables pour lui balancer ses propres questions.

— Vous me demandez pourquoi je n’ai pas répondu à ses appels ?

— Non, d’abord, je me demande pourquoi ils n’apparaissent pas sur votre téléphone.

Isenberg se pencha en avant et posa un sachet à indices sur le bord de la table pour que Faith puisse le voir. Il contenait son nouveau portable prépayé.

— Pas trace de Vega dans le journal d’appels. D’ailleurs, ce n’est même pas le bon numéro.

— C’est un nouvel appareil. Je l’ai eu seulement aujourd’hui. Ce n’est pas un crime.

En constatant qu’ils avaient consulté son journal d’appels sans commission rogatoire, Faith n’avait pu réprimer une bouffée d’agacement.

— Sans compter que je ne suis pas une suspecte. Du moins, c’est ce qui m’a été dit.

— Vous avez acheté un téléphone prépayé, intraçable, dit Isenberg. Et ça, juste le jour où vous avez découvert une femme gisant sur la route, laquelle s’était échappée du sous-sol de votre maison, où elle a été torturée. De plus, l’amie de cette femme, qui est toujours portée disparue, a été menottée à un mur de cette même cave.

Faith combattit la panique qui était devenue un réflexe à chaque mention de cette satanée cave.

— Y a-t-il une question, quelque part dans ce que vous avez dit, commandant ?

— Oui. Pourquoi le nouveau téléphone, docteur ?

— Je ne voulais pas qu’on puisse me pister. J’ai enlevé la carte SIM de mon ancien portable.

— Est-il possible de savoir qui se cache derrière ce « on » ? voulut savoir Isenberg.

— Peter Combs, un homme qui me harcèle. Et les flics de Miami. Je n’avais pas les meilleures relations avec eux, à l’exception du lieutenant Vega. On pourrait l’appeler, d’ailleurs.

— Faisons donc ça.

Le lieutenant composa le numéro, puis brancha le haut-parleur. Vega décrocha.

— Ici Isenberg, dit le lieutenant. L’agent spécial Novak du FBI et Faith Corcoran sont avec moi.

— Faith Corcoran ? demanda Vega, visiblement un peu perdue. Vous voulez dire Faith Frye ?

— Je suis ici, lieutenant, intervint Faith. En vie, mais pas vraiment en bon état.

Vega poussa un soupir de soulagement.

— En vie, c’est mieux que ce que j’ai imaginé pendant toute la journée. Ça n’a pas été facile de retrouver votre piste, docteur Frye.

Au moins, j’ai réussi à faire quelque chose correctement, songea Faith.

— De quoi vouliez-vous me parler ?

— Qu’est-ce que vous fabriquez en Ohio ? demanda Vega.

Mais répondez à ma putain de question ! eut envie de hurler Faith, mais elle se contrôla.

— Pourquoi m’appelez-vous, Vega ? reprit-elle avec plus d’insistance. Que s’est-il passé ?

— Avez-vous tenté de vous enfuir ? demanda Vega après un bref temps de silence.

Les épaules de Faith retombèrent avec lassitude.

— Pouvez-vous me le reprocher ?

— Non, j’imagine que non. J’ai appris que vous avez vécu une journée fertile en événements, alors j’irai droit au but. Votre ancienne Prius a été impliquée dans un grave accident. Maintenant, ce n’est plus qu’un tas de ferraille tordue.

Faith fixa le haut-parleur, essayant de comprendre la signification des paroles de Vega. Pourquoi lui disait-elle une chose pareille ? Ce n’est même plus ma voiture et…

Et Faith comprit. Sous le choc, son souffle s’échappa en sifflant de ses poumons.

— Vous voulez dire qu’elle a été sabotée ? chuchota-t-elle sans vouloir entendre la réponse.

— Sans l’ombre d’un doute. Les câbles de frein et de direction ont été sectionnés. Nous avons besoin de votre aide.

Faith pressa le bout des doigts contre ses tempes. Il continue. Il ne s’arrêtera jamais.

Elle leva la tête et croisa le regard d’Isenberg, qui l’observait avec circonspection.

— Que s’est-il passé ? Quand ?

Elle s’obligea à écarter l’image de son immeuble incendié, avant de se forcer à formuler la question qui restait coincée dans sa gorge.

— Est-ce que quelqu’un a été blessé ?

— Quand avez-vous vendu la voiture, Faith ? s’enquit Vega.

Une bouffée d’exaspération saisit Faith, balayant toute retenue.

— Répondez à ma question, bon sang !

Elle s’apprêtait à frapper du poing sur la table quand Novak arrêta son geste d’une poigne douce mais ferme.

— Ne vous faites pas mal, murmura-t-il avant de la lâcher. Lieutenant Vega, y a-t-il eu des victimes ?

Pendant le long, très long silence qui suivit, Faith sentit ses entrailles se nouer. Finalement Vega poussa un soupir.

— Oui. La conductrice a été tuée sur le coup. Plusieurs autres personnes ont été gravement blessées, y compris des enfants.

Une nouvelle pause, ponctuée d’un soupir. Puis Vega apporta une dernière précision.

— Un des enfants est mort. Plus tard. A l’hôpital.

La pièce se mit à tanguer, un jet de bile acide brûla la gorge de Faith.

— Non, chuchota-t-elle.

Elle serra les bras autour de son corps, combattant l’envie de se balancer sur place.

— Ça ne peut pas être vrai. J’ai tout fait pour que ça cesse.

— Je le sais, Faith, souffla doucement Vega. Je veux que vous restiez calme pour moi. Soyez forte, d’accord ?

Les larmes montaient. Irrépressibles. L’opinion d’Isenberg lui importait peu. Pas plus que celle de Novak.

— Quel âge, lieutenant ? demanda-t-elle, d’une voix rauque qui lui était étrangère.

— Faith, vous n’avez aucun besoin…

— Merde alors ! hurla Faith. Ne vous avisez pas de me dire ce que j’ai besoin de savoir ou pas. Quel âge avait cet enfant, Vega ?

Elle sentit une paume chaude contre son dos. Novak. Il ne lui tapotait pas le dos. Il ne le frottait pas. Il se contentait d’exercer une douce pression. D’établir une connexion humaine. Soudain submergée, elle ravala un sanglot, mais s’obstina :

— S’il vous plaît. J’ai besoin de savoir.

— Dites-lui, lieutenant, fit Novak d’une voix calme.

Vega s’éclaircit la gorge.

— Treize ans. Les deux enfants qui voyageaient sur la banquette arrière n’ont reçu que des blessures légères, ils s’en remettront.

Faith ferma les yeux. Ils s’en remettront ? Non ! Certainement pas. Leur mère est morte. Ils ne s’en remettront pas. Non, c’est impossible, ça n’a pas pu arriver. Malheureusement, c’était bel et bien la réalité. Une mère et son enfant étaient morts. A cause de moi.

Une lamentation lugubre s’éleva, et elle ne se rendit compte que le son sortait de sa bouche qu’au moment où Novak se mit à lui caresser les cheveux. Là encore, il ne dit rien, lui laissant le temps de recouvrer ses esprits. Mais c’était au-dessus de ses forces. Recroquevillée sur elle-même, elle se balançait en rythme, laissant libre cours à ses sanglots. Il continua à lui caresser les cheveux en silence jusqu’à ce que ses larmes s’apaisent. Finalement, la vague reflua et elle put reprendre son souffle en hoquetant.

La main de Novak rompit le contact et elle eut envie de le supplier de revenir, mais elle n’en fit rien. Pas en présence d’Isenberg et de son œil d’aigle. Quelques secondes plus tard, une boîte de mouchoirs fut placée sur la table devant elle. Elle leva la tête, Novak l’observait, lui aussi. Le regard d’Isenberg était comme une hachette. Celui de Novak, comme une couette.

— Ça aurait dû être moi, lâcha-t-elle.

Les yeux de Novak étincelaient, le bleu et le marron virant presque au noir.

— Certainement pas, dit-il. Mais rassemblez vos esprits, nous devons nous assurer que personne d’autre ne sera blessé.

Elle hocha la tête, puis s’essuya le visage avec un mouchoir.

— Que vouliez-vous me demander, lieutenant Vega ?

— Pour commencer, j’aimerais savoir quand vous avez vendu la voiture et à qui.

— Je l’ai cédée samedi matin à Garcia Motors, un vendeur de véhicules d’occasion de Hialeh.

— C’était une des étapes de votre liste pour disparaître ? voulut savoir Novak.

Faith hocha la tête d’un air malheureux.

— Il a suivi ma voiture. Je n’ai jamais imaginé qu’il puisse nuire à ceux qui l’achèteraient après, mais j’aurais dû y penser. C’est ce qui s’est passé avec l’incendie.

Isenberg haussa les sourcils.

— Quel incendie ?

Novak répondit :

— Son harceleur, Peter Combs, avait mis le feu à son immeuble, deux jours plus tôt. Elle était absente, mais des familles ont perdu tout ce qu’elles possédaient.

— J’ai passé un mauvais quart d’heure ce matin, avoua Vega. Je suis passée vous voir parce que je cherchais à savoir comment la victime s’était retrouvée dans votre ancienne voiture. C’est à cette occasion que j’ai appris pour l’incendie de votre immeuble et j’ai eu peur que vous ayez été prise au piège. Votre concierge m’a affirmé que vous n’y étiez pas, mais je vous ai cherchée toute la journée.

— Désolée, dit Faith. Je n’ai pas pensé que vous pouviez vous inquiéter. J’aurais dû. J’aurais dû réfléchir à tout ça. J’aurais dû comprendre que Combs n’abandonnerait pas la partie aussi facilement, qu’il se ficherait de ceux qu’il risquait de blesser au passage. Pourquoi ça ne m’est pas venu à l’esprit  ?

— Vous avez fait ce qu’il fallait, mais tout le monde continuait à vous dire que vous imaginiez des choses, répliqua Vega d’un ton tranchant. Laissez tomber la culpabilité, docteur Frye. Vous n’y avez pas pensé avant, soit. Mais maintenant j’ai besoin que vous réfléchissiez. Pourquoi Garcia Motors ? C’est une toute petite boîte, j’ai vérifié. Vous auriez pu vendre votre Prius au prix du marché, sans problème. Pourquoi n’avez-vous pas choisi un vendeur plus important ?

— Parce que je voulais garder l’anonymat, d’accord ? dit Faith en songeant que cela semblait terriblement égoïste. Je n’ai obtenu que la moitié du prix de l’argus, mais ça valait le coup pour éviter la paperasse.

Elle déglutit avec effort, la gorge nouée, puis continua :

— Si j’avais choisi un vendeur plus important, ils auraient fait une révision approfondie et auraient remarqué que le câble de frein avait été abîmé. Cette mère et son fils seraient encore en vie.

Attends un peu. Faith fronça les sourcils. Soudain quelque chose ne semblait pas coller.

— Une minute. J’ai vendu la Prius samedi matin. Quand a eu lieu l’accident ?

— Dimanche matin, répondit Vega.

Faith se pencha vers le haut-parleur, concentrée.

— S’il avait coupé les câbles avant samedi matin, j’aurais dû ressentir quelque chose en conduisant, non ? Du jeu dans la direction ou le freinage… Enfin, quelque chose.

— Tout à fait, répondit Vega. Notre labo estime que les câbles ont été trafiqués dimanche matin, pendant que la victime était à l’épicerie. Elle a acheté la voiture samedi après-midi et a parcouru assez de kilomètres pour que les câbles lâchent avant d’arriver chez elle.

— Elle n’est pas restée bien longtemps chez Garcia Motors, murmura Faith.

Il y avait un élément important dans ces informations, mais Faith ne parvenait pas à mettre la main dessus.

— Les Prius sont très recherchées et la vôtre était bien entretenue, fit remarquer Vega. En plus, au prix où Garcia vous l’a achetée, il a fait un bon bénéfice, même s’il l’a revendue pas très cher.

La tête penchée sur le côté, Novak écoutait la conversation avec attention en caressant du pouce et de l’index le poil blanc éclatant de son bouc.

— Comment Combs a-t-il fait pour trouver la Prius dimanche matin, lieutenant ? S’il avait suivi le docteur Corcoran chez le vendeur d’occasions, il aurait su qu’elle avait cédé la Prius et il se serait attaqué à la jeep. Dans ce cas, nous n’aurions pas cette conversation, parce que le docteur Corcoran ne serait plus de ce monde. C’est absurde qu’il ait saboté la Prius après qu’elle a changé de mains. Que nous cachez-vous, lieutenant ?

Faith lui adressa un regard reconnaissant. En réponse, il arqua un sourcil et eut un haussement d’épaules négligent, comme si cela n’avait pas d’importance. Mais, tout au contraire, il avait mis le doigt sur le détail qui lui échappait.

Vega soupira une fois de plus.

— Nous avons trouvé un mouchard collé sous le garde-boue d’une des roues avant.

Faith s’adossa à son siège, sonnée.

— Il me pistait ?

Elle regarda alternativement Novak et Isenberg. Tous deux semblaient perplexes.

— Pourquoi pistait-il ma voiture puisqu’il avait déjà piraté mon téléphone ? Il avait déjà la possibilité de me localiser en permanence.

— Il n’a peut-être pas piraté votre téléphone, après tout, dit Novak, sourcils froncés.

Faith se leva d’un bond et marcha autour de la table, les muscles gourds de ses jambes lui donnant une démarche mécanique. Elle souffrait, mais se sentait incapable de rester assise.

— Mais il a dû avoir accès à mon agenda. La plupart du temps, il apparaissait là où j’étais, il aurait donc pu me suivre. Mais la dernière fois, c’était différent, sa voiture était garée près de la mienne.

— Devant la pharmacie, dit Novak.

Elle hocha la tête.

— Je dînais dans un restaurant voisin de la pharmacie. Le médecin de sa petite amie avait transmis la prescription par téléphone à la même pharmacie, des heures avant. Il devait avoir su en amont que j’allais me trouver là.

— Vous avez raison, dit Novak en lui adressant un ferme signe de tête approbateur. Dans ce cas, pourquoi aurait-il placé ce traceur ?

— Peut-être parce que vous étiez devenue trop prudente, à ce moment-là, Faith, suggéra Vega à travers le haut-parleur. La scientifique pense qu’il l’a posé tout de suite après l’incendie de votre immeuble.

Faith s’affala sur son siège.

— Parce qu’il savait qu’il ne m’avait pas tuée dans l’incendie. Il a posé le traceur en se disant que, tôt ou tard, je reviendrais chercher la voiture.

— Pourquoi n’étiez-vous pas dans votre appartement, ce soir-là ? voulut savoir Isenberg.

— J’étais dans un hôtel. Quinze jours avant, il avait essayé de s’introduire par la fenêtre de ma chambre et je m’étais installée dans un endroit plus sûr. En plus, je venais de me faire opérer les deux yeux au laser. Je ne voulais pas être vulnérable.

Isenberg inclina la tête.

— Sage décision. Quand avez-vous repris votre voiture ?

— Samedi matin. La semaine précédente, plus exactement le matin qui a suivi l’intrusion, j’ai pris un taxi de l’appartement à mon hôtel parce que je le soupçonnais de suivre ma voiture. J’ai aussi pris un taxi de mon hôtel au parking de l’appartement, samedi matin. La zone n’était plus sécurisée par la police. Je suis montée en voiture et j’ai conduit tout droit chez le vendeur d’occasions.

— Et comment avez-vous acheté la jeep ? demanda Isenberg.

— Une petite annonce. J’ai payé en liquide. Ils n’ont pas posé de questions.

Mais quelque chose sonnait toujours faux. Faith se frotta le front, essayant d’éclaircir ses idées. Son regard atterrit sur la carte épinglée au mur et elle comprit.

— Votre théorie selon laquelle Combs m’aurait suivie ici ne tient pas debout sur le plan logistique, dit Faith. Il ne peut pas avoir saboté la Prius dimanche matin et être revenu à la maison de ma grand-mère à 17 heures le même soir. C’est un voyage de seize heures en voiture, et sans arrêt. Cela voudrait dire qu’il aurait dû quitter Miami samedi, avant minuit.

— Comment savez-vous qu’il était dans la maison à 17 heures dimanche ? demanda Isenberg.

— Parce que j’ai entendu un cri, répondit Faith, qui ferma les yeux en se souvenant de ce moment et en regrettant une fois encore de ne pas avoir réagi. Je pensais l’avoir imaginé, mais c’était sans doute Arianna.

— D’après vos déclarations, vous êtes arrivée à 17 h 30, dit Novak, à la fois incisif et perplexe.

— C’est à peu près ça. Et il se trouvait à Cincinnati vendredi soir à 23 heures, parce que c’est le moment où il a enlevé Arianna et son amie, dit Faith en regardant Novak. Ça ferait trente-deux heures de trajet sur une période de quarante-huit heures. Plus le temps de localiser la voiture et de la saboter. Et il a bien fallu dormir à un moment. Ça risque de mettre votre théorie à mal.

— A moins qu’il n’ait pris l’avion, souligna Novak, mâchoires serrées.

— J’imagine que c’est possible, dit Faith, peu convaincue.

— Et vous êtes vraiment persuadé que Combs est derrière vos enlèvements, agent Novak ? demanda Vega, sans cacher ses doutes.

Faith regarda Novak échanger un long regard avec le lieutenant, qui lui adressa un petit hochement de tête.

— Nous ne savons pas, dit Novak. Mais quelqu’un ne veut pas que le docteur Corcoran prenne possession de cette maison. Ça peut être Combs, ou quelqu’un d’autre. Si vous pouvez localiser Combs, ça nous permettra de l’éliminer. Qu’est-ce que vous avez fait pour le retrouver ?

— Bon Dieu. Demandez-moi plutôt ce que je n’ai pas fait.

A entendre Vega, elle était passée du scepticisme à la frustration. Elle continua :

— Il fait profil bas. Personne ne l’a vu ou n’a eu de ses nouvelles depuis des semaines. Sa petite amie pense qu’il est reparti chez son ex. Mais son ancienne compagne et la fille de celle-ci ont prétendu qu’elles n’ont pas vu Combs depuis son arrestation.

— J’ai émis un avis de recherche pour la voiture de sa petite amie actuelle, annonça Novak.

— Je sais où se trouve ce véhicule, répliqua Vega. Combs ne peut pas s’en servir.

— Comment pouvez-vous être certaine qu’il n’y a plus accès ? voulut savoir Isenberg.

— Parce que c’est nous qui l’avons. J’ai obtenu une commission rogatoire pour la voiture après l’intrusion de Combs dans la chambre du docteur Frye.

Faith fixa le téléphone.

— Je ne savais pas cela. Je n’étais même pas certaine que vous m’aviez crue.

— Je vous avais crue, mais je ne pouvais pas le prouver. Aucun élément pour incriminer Combs. Pas la moindre indication de l’endroit où il pourrait se trouver. Mais nous avons trouvé un demi-kilo de coke sous le siège. J’ai arrêté la petite amie pour possession et trafic de stupéfiants avant de saisir la voiture.

— Vous pensez que l’accusation tiendra ? demanda Faith. La fille était incluse dans la commission rogatoire.

— Non, et un avocat de haut vol va sans doute torpiller l’arrestation, mais pour l’instant la petite amie de Combs est à pied. Et Combs aussi.

Novak pencha abruptement la tête comme s’il venait d’avoir une illumination.

— Vega, pouvez-vous m’envoyer les analyses balistiques du meurtre de l’ancien patron de Faith ? Nous avons récupéré une balle dans la maison de Faith. Si les résultats des deux analyses correspondent, nous pourrons relier ces crimes.

Il conclut en donnant son adresse mail et, à l’autre bout du fil, le clavier de Vega cliqueta.

— Voilà, je viens de vous envoyer le dossier complet, les gars.

— Merci, dit Isenberg. Quand vous avez vu Combs, était-il toujours dans la voiture de sa petite amie, docteur Corcoran ?

— Oui. Hormis une seule fois. Quand il a tenté de me balancer du pont. Là, il conduisait un fourgon blanc. J’en ai donné une description à l’officier qui a pris ma déclaration. C’est dans le rapport de police.

— Je vous envoie ça aussi, Novak, dit Vega. Et aussi le dossier de l’affaire du harceleur de Frye. Faith, le fourgon que vous décrivez était blanc, sans fenêtres, et il y avait un soleil sur les plaques d’immatriculation.

— Le problème, c’est qu’on trouve des soleils sur les plaques d’un tas d’Etats, fit remarquer Faith. Je n’ai vu aucun des numéros ni aucun autre détail.

— Quand l’appel sera fini, nous devrions être en mesure de réduire la liste, dit Novak. Y a-t-il autre chose, Vega ?

— Il me reste à vous demander de me tenir informée de ce que vous trouvez. J’ai trois homicides non résolus imputés à Combs. Je vais continuer à le chercher ici, au cas où il ne serait pas impliqué dans votre affaire, et je vais interroger de nouveau la petite amie sur l’endroit où il pourrait se trouver.

— On vous tiendra au courant de nos progrès, promit Novak. A condition que vous nous rendiez la pareille.

— Bien. Il faut que j’y aille, maintenant. Bonne nuit. Et, Faith, soyez très prudente.

Le silence revint sur la ligne. Faith chercha le regard d’Isenberg.

— Suis-je libre de partir, lieutenant ?

— Bien sûr, répondit doucement Isenberg. Vous considérez-vous comme une suspecte ?

— Je n’en étais pas sûre.

La bouche d’Isenberg s’incurva légèrement. Ce n’était pas un sourire à proprement parler, mais cela suffit pour adoucir son expression sévère.

— Moi non plus, je n’en suis pas vraiment sûre, mais j’aimerais vous accorder, ainsi qu’à l’instinct de Novak, le bénéfice du doute.

Isenberg se leva et ajouta :

— Je vais demander un traitement prioritaire pour l’analyse balistique des balles qui ont été trouvées sur la scène de crime. Novak, essayez de réduire les possibilités pour cette plaque d’immatriculation. Quant à vous, docteur Corcoran, ne sortez pas seule. Quelqu’un est déterminé à vous faire disparaître.

Sur tes traces
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