Prologue

Oh ! non. Corinne se recroquevilla en position fœtale, prise d’un brusque accès de nausée. Le vin. Trop de vin. Jamais eu une gueule de bois pareille.

Mais… Une minute. Non. Impossible. Retrouvant un semblant de lucidité, elle secoua la tête, puis ravala un gémissement lorsque la pièce se mit à tanguer. Ça fait deux ans que je n’ai pas bu une goutte.

La grippe. Bon sang ! C’était bien la peine d’avoir fait ce fichu vaccin. Corinne voulut lever les mains pour se frotter les yeux, mais…

Attachées. Non ! Prise de panique, elle tira sur ses poignets. Une douleur fulgurante se propagea jusqu’à ses épaules. Elle avait les mains liées. Dans le dos.

Et l’obscurité qui l’aveuglait ne provenait pas de la pièce. J’ai les yeux bandés. Elle bascula sur le côté. Une chaîne claqua, stoppant abruptement son mouvement.

La terreur la frappa avec la violence d’une lame de fond. Attachée. Enchaînée. Les yeux bandés.

Elle poussa un hurlement déchirant, mais ne parvint à émettre qu’un croassement éraillé. Sa gorge était sèche comme de l’amadou, ses lèvres fendillées. Rien à voir avec la gueule de bois. C’est de la drogue. J’ai été droguée.

Quand ? Comment ? Qui ? Qui aurait pu faire ça ? Elle prit une inspiration, tenta de retrouver son calme. Maîtrisa son souffle. Réfléchis, Corinne. Creuse-toi les méninges.

Une odeur de moisi lui irritait les sinus, un violent éternuement la secoua, auquel succéda un nouveau vertige. Les dents serrées, elle résista à une autre vague de nausée.

Elle tendit l’oreille. En vain. Aucun bruit ne lui parvenait. Pas de vent. Pas de musique. Pas de voix.

Bon. D’accord. C’est la galère. Tu es dans une très sale situation. Calme-toi. Réfléchis. Concentre-toi.

Elle se força à décontracter les muscles de ses bras et sentit la chaîne se relâcher. Puis elle remua les doigts, les orteils, étira sa colonne vertébrale en évitant avec soin tout nouveau geste brusque.

Elle se trouvait sur un lit. Muni d’un matelas. Garni d’un drap. Et d’un oreiller. D’un mouvement lent, elle frotta sa joue contre le tissu. Rêche. Mais il en émanait un parfum frais qui contrastait avec l’odeur de renfermé ambiante.

Corinne se figea, alertée par un craquement soudain. La porte s’ouvrit. Un courant d’air froid chargé d’effluves de citron s’infiltra dans la pièce. Elle perçut aussi l’amorce d’un hurlement, vite amorti, lorsqu’on repoussa prestement le battant.

D’où sortait ce cri ? Qui est là ? A cet instant, quelques détails lui revinrent en mémoire. Hier soir. Elle regagnait la résidence après avoir quitté la bibliothèque. Avec Arianna. Elles rentraient ensemble à cause de l’heure tardive.

Oh ! mon Dieu. Ari est là, elle aussi. C’est elle qui hurle. Quelqu’un la retient et on lui fait du mal. Ils lui font du mal. Après, ils s’en prendront à moi.

— Vous êtes réveillée.

Une voix féminine arracha Corinne à sa panique. La personne paraissait jeune. Pas une fillette. Mais pas une adulte, non plus. Une adolescente, sans doute. Elle semblait… indécise.

— Je me suis inquiétée pour vous, ajouta la voix juvénile.

Corinne perçut le frottement de semelles sur le sol. Allez, compte les pas. Un, deux… quatre, cinq… huit, neuf, dix. La porte est à dix pas.

— Qui êtes-vous ? chuchota Corinne, malgré l’âpre brûlure de sa gorge parcheminée. Pourquoi ?

Le matelas s’enfonça. Légèrement. La fille était menue. Des mains fraîches se posèrent sur le front de Corinne.

— Vous avez eu de la fièvre. Ça va mieux maintenant. Vous avez soif ?

Corinne hocha la tête.

— De l’eau. S’il vous plaît.

— Bien sûr, répondit la jeune fille d’un ton aimable.

Une tasse entra en contact avec les lèvres de Corinne. Un récipient de métal. Pas du verre. Le verre pourrait être brisé, utilisé comme une arme. Mais, là, aucune chance qu’une telle chose se produise.

Un filet d’eau dégoulina le long de sa gorge quand elle avala avec avidité.

— Encore.

La jeune fille reposa gentiment la tête de Corinne sur l’oreiller.

— Plus tard. Vous avez été très malade.

— Qui êtes-vous ? Enlevez-moi le bandeau.

— Je ne peux pas. Désolée.

L’adolescente semblait sincère.

— Pourquoi ? demanda Corinne, essayant de chasser l’affolement de sa voix.

— Je ne peux pas. Je suis autorisée à prendre soin de vous. Mais je ne suis pas autorisée à enlever votre bandeau.

La panique remporta la partie et Corinne se jeta en avant, faisant cliqueter ses chaînes.

— Qui êtes-vous, bon sang ?

Le matelas bougea brusquement, accompagnant le mouvement de la fille qui avait sauté du lit.

— Personne, chuchota-t-elle. Je ne suis personne.

Le bruit des pas traînants : la visiteuse s’en allait.

— Je reviendrai plus tard avec de la soupe.

— Attendez. Je vous en prie. Ne partez pas, je vous en prie. Où sommes-nous, ici ?

La fille marqua une brève hésitation, puis répondit avec résignation.

— On est à la maison.

— Non. Ce n’est pas chez moi. Je vis dans la résidence du campus. A King’s College.

— Je ne connais pas votre université. Mais… ici, c’est la maison. C’est chez moi. Et c’est chez vous, aussi. A partir de maintenant.

A partir de maintenant ? Oh ! mon Dieu.

— Mais où sommes-nous ?

— Je ne sais pas.

La courte phrase, prononcée en toute simplicité, résonnait d’un terrifiant accent de sincérité.

— Pouvez-vous m’aider à m’échapper ?

— Non. Non, je ne peux pas.

Cette fois, une note inébranlable inspirée par la peur avait durci la réponse de l’adolescente.

Corinne avait aussi décelé dans la voix de son interlocutrice l’envie de lui venir en aide. A moins que son désir de percevoir cette nuance n’ait poussé son imagination à faire le reste. En tout cas, il lui fallait faire de cette fille une alliée.

— D’accord, dit Corinne à voix basse. Pouvez-vous me dire votre nom ?

Cette fois, l’hésitation se prolongea, puis :

— Je dois y aller.

La porte s’ouvrit sur les hurlements d’Ari qui vibraient dans l’air, presque tangibles.

— Je vous en prie. Dites-moi ce qu’a mon amie ? Elle s’appelle Arianna. Que se passe-t-il ?

— Il lui apprend.

Cette réponse sereine, énoncée d’un ton morne, semblait si irrévocable qu’une nouvelle vague de terreur saisit Corinne à la gorge.

— Qu’est-ce qu’il lui apprend ?

— Ce qu’elle doit savoir. Je suis vraiment désolée.

La porte se referma. Corinne attendit quelques secondes.

— Hé oh ? Vous êtes là ? Je vous en prie.

La jeune fille était partie, laissant Corinne seule dans l’obscurité.

Sur tes traces
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