Mount Carmel, Ohio
Lundi 3 novembre, 18 h 40

Deacon combattit le désir soudain de regarder par-dessus son épaule. Il savait que Faith Corcoran était entre de bonnes mains avec le secouriste. Mais il éprouvait une singulière réticence à la laisser seule.

Ce qui était ridicule. Elle était entourée de flics armés. Non seulement aucun danger ne la menaçait, mais elle était capable de se défendre. Elle avait grimpé un versant escarpé et rocailleux pour sauver une inconnue et avait monté la garde auprès de cette fille, arme en main.

Une arme qu’elle portait parce qu’elle redoutait quelque chose. Ou quelqu’un.

— Et le Bon Samaritain ? demanda Adam. Qu’est-ce qu’elle t’a raconté ?

Magnifiques. Elle avait dit que ses yeux étaient magnifiques. Il pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où cela lui était arrivé. Lorsqu’elle l’avait chuchoté, le mot l’avait touché au plus profond et laissé momentanément sans voix.

Deacon était rodé aux diverses réactions qu’il éveillait chez les autres. Les grimaces. L’avide curiosité clinique. Parfois, ça allait jusqu’à la méfiance. Au fil des années, il avait appris soit à ignorer les gens, soit à manipuler leur surprise initiale pour servir ses propres objectifs.

Mais Faith avait dit qu’il était « magnifique ».

Adam le gratifia d’une bourrade sur le bras.

— Hé. Mais qu’est-ce qui te prend ?

Deacon s’éclaircit la gorge et passa en revue les dernières secondes pour retrouver la question d’Adam.

— Elle a dit qu’elle allait chez elle quand la fille a bondi devant sa voiture.

— Et ? insista Adam. Ce n’est pas tout, n’est-ce pas ? Je le vois bien à ta tête. Alors, que se passe-t-il ?

— Elle cache quelque chose. En tout cas, elle a peur.

— De quoi ?

— Je n’en sais rien. Elle n’a pas voulu m’en parler. Tout ce que j’ai pu en tirer, c’est qu’elle trimballe un pistolet dans sa poche, pour l’avoir à portée de main au cas où. Mais elle ne s’en est pas prise à Arianna Escobar.

— Et… tu la crois ? demanda Adam avec circonspection.

Deacon s’apprêtait à répondre oui, mais fronça soudain les sourcils. Etait-ce vraiment le cas ? Faith Corcoran avait suffisamment éveillé ses soupçons pour qu’il demande à sa chef de vérifier ses antécédents. Mais c’était avant qu’elle n’utilise le mot « magnifique » en parlant de lui.

Avait-il été aussi facile à distraire ? C’est bien possible. A vrai dire, c’était déjà un peu humiliant d’avoir à l’envisager. Par ailleurs, l’insistance d’Adam l’intriguait.

— Pourquoi ? Tu as trouvé quelque chose ? Une trace de Corinne Longstreet ?

— Non, mais j’ai remonté la piste de la fille Escobar jusqu’à un pick-up encastré dans un arbre, après le prochain virage. Drôle de coïncidence, non ?

De plus en plus préoccupé, Deacon réfléchissait en regardant défiler les arbres. L’accident de cet autre véhicule était le fruit d’une coïncidence, Faith Corcoran était réellement une vaillante protectrice. Telle était la vérité qu’il voudrait découvrir. Mais ce qu’il désirait n’avait rien à voir dans cette affaire. Ce qui importait était de retrouver l’agresseur d’Arianna — et de déterminer ce qui était arrivé à Corinne Longstreet.

Adam gara la voiture sur le bas-côté et Deacon jura. Une camionnette au capot cabossé avait échoué au bas d’une légère pente, le pneu avant droit était à une quinzaine de centimètres du sol. Le véhicule avait heurté un jeune arbre, l’avait sectionné et se trouvait maintenant empalé sur le tronc brisé. Sur le flanc, un aristocrate de dessin animé se tenait en équilibre sur la pointe de son pied botté, qui reposait sur un éclair.

— « Earl1 Power and Light », murmura Deacon. C’est ici que s’arrête la piste d’Arianna ?

Adam hocha la tête.

— Oui. Le siège du conducteur est imbibé de sang. Ça n’a pas encore complètement séché. Le technicien de Tanaka est sur place, il prélève des échantillons. Il a aussi trouvé des empreintes sanglantes féminines sur la porte et de l’autre côté du pick-up. D’après les premières analyses, ce serait le même sang que sur la route. Il a aussi trouvé un cheveu de la même longueur et de la même couleur que ceux d’Arianna. Mais aucun indice ne colle avec la description de l’autre fille.

— Bon. Arianna conduisait la camionnette. Nous devons imaginer qu’elle l’a utilisée pour fuir celui qui l’a enlevée et agressée. Avez-vous appelé la compagnie d’électricité ?

Nouveau signe d’assentiment.

— Ils ont envoyé un de leurs gars rétablir le courant dans une vieille maison au bout de la route. Devine qui a fait la demande.

— Faith Corcoran.

— Ouaip. Les gens d’Earl Power ont déclaré qu’ils ont reçu les dernières nouvelles de leur technicien un peu après 15 heures. Il leur a envoyé un SMS en expliquant qu’il avait rebranché l’électricité, mais qu’il était malade et rentrait chez lui plus tôt. Il n’est pas dans la camionnette ni nulle part aux alentours.

— Et il n’est jamais arrivé chez lui ?

— On n’a pas encore de nouvelles de ce côté-là. Son patron a essayé de le joindre sur son portable pendant que j’attendais. L’appel a abouti directement sur la messagerie. J’ai fait quelques vérifications, mais le type est un employé sans problème. Ken Beatty est un bon père de famille. Toujours ponctuel et consciencieux. Le fait qu’il ait envoyé un SMS pour dire qu’il était malade sort déjà de l’ordinaire.

— Corcoran a dit qu’elle se rendait à la maison dont elle a hérité de sa grand-mère, morte le mois dernier. Une vieille et grande demeure abandonnée avec un cimetière derrière. Elle peut avoir appelé la compagnie d’électricité pour des raisons tout à fait innocentes. Comme faire rétablir le courant, par exemple. En tout cas, ça se tient.

Adam chercha son regard.

— N’empêche que j’aime toujours pas la coïncidence.

— Moi non plus, murmura Deacon. Il n’y a pas d’autre baraque à des kilomètres alentour, cette maison a été abandonnée pendant vingt-trois ans et elle ne figure pas sur les cartes.

La mine d’Adam s’assombrit.

— L’endroit parfait où se planquer pour torturer quelques ados, pas vrai ?

— C’est bien ce que je pense. Ramène-moi là-bas. Je vais découvrir ce que Faith Corcoran sait sur le type de la compagnie d’électricité et la camionnette. Je vais aussi lui demander l’autorisation de fouiller la maison. En attendant, prends un des adjoints du shérif, et explorez le terrain autour de la maison, tous les deux. Avant ça, vois avec le shérif Palmer pour coordonner les recherches. Lui et ses hommes ont une meilleure connaissance du secteur que nous.

Adam reprit le volant du break et fit demi-tour.

— Alors, que penses-tu d’elle, maintenant ?

— Je ne crois toujours pas qu’elle ait fait du mal à Arianna. Elle a appelé le 911, elle a attendu les secours. Si elle était associée à une activité criminelle, cette attitude n’aurait aucun sens. Mais je continue à croire qu’elle cache quelque chose de très grave.

Ils étaient à mi-chemin lorsque le téléphone de Deacon bourdonna.

— Novak, j’écoute.

— Ici, Crandall. Isenberg m’a dit que tu voulais faire vérifier les antécédents de cette Corcoran.

La boule d’anxiété qui pesait sur l’estomac de Deacon s’enrichit d’une nouvelle couche. Il enclencha le haut-parleur pour permettre à Adam de suivre la conversation.

— Ouais. Et qu’est-ce qu’il y a dans son casier ?

— Elle n’en a pas. Aucune amende pour excès de vitesse, même pas une contravention pour stationnement interdit. Rien. Comme dans rien de rien. La demande pour son permis date de moins d’une semaine et l’adresse qu’elle a indiquée est celle d’un cabinet d’avocats. Je n’ai trouvé aucun parcours professionnel, ni même un simple numéro de téléphone. C’est comme si elle était sortie d’un putain de néant.

— Merde.

Deacon se pinça l’arête du nez. Il sentait pointer une bonne migraine.

— Tu avais vu juste, souligna Adam. Elle nous cache effectivement quelque chose. C’est comme si elle avait cherché à disparaître, à changer d’identité.

— Ce qui pourrait expliquer sa nervosité.

Enfin, j’espère.

— Ecoute, Crandall, reprit Deacon. Appelle Tanaka et demande-lui le numéro de série de l’arme. Préviens-moi s’il figure dans d’autres affaires. Je ne veux pas la laisser partir tant que nous n’aurons pas le fin mot de cette histoire, mais pour l’instant rien ne me permet de la retenir.

— Je suis dessus. Je te tiens au courant dès que j’ai quelque chose.

Ils arrivaient près de l’ambulance. Faith était toujours assise à l’arrière, et ses mains portaient désormais de gros bandages.

— Ne perds pas de temps, ajouta Deacon, à l’adresse de Crandall. Le secouriste l’a raccommodée. Sa prochaine escale, ce sera le service des urgences, et ensuite il faudra la laisser partir dans la nature.

Sur tes traces
titlepage.xhtml
part0000.html
part0001.html
part0002_split_000.html
part0002_split_001.html
part0002_split_002.html
part0002_split_003.html
part0002_split_004.html
part0002_split_005.html
part0003_split_000.html
part0003_split_001.html
part0003_split_002.html
part0003_split_003.html
part0003_split_004.html
part0003_split_005.html
part0004_split_000.html
part0004_split_001.html
part0004_split_002.html
part0004_split_003.html
part0004_split_004.html
part0005_split_000.html
part0005_split_001.html
part0005_split_002.html
part0006_split_000.html
part0006_split_001.html
part0006_split_002.html
part0007_split_000.html
part0007_split_001.html
part0007_split_002.html
part0007_split_003.html
part0007_split_004.html
part0007_split_005.html
part0008_split_000.html
part0008_split_001.html
part0008_split_002.html
part0009_split_000.html
part0009_split_001.html
part0009_split_002.html
part0009_split_003.html
part0010_split_000.html
part0010_split_001.html
part0010_split_002.html
part0011_split_000.html
part0011_split_001.html
part0011_split_002.html
part0011_split_003.html
part0011_split_004.html
part0012_split_000.html
part0012_split_001.html
part0012_split_002.html
part0012_split_003.html
part0012_split_004.html
part0013_split_000.html
part0013_split_001.html
part0013_split_002.html
part0013_split_003.html
part0013_split_004.html
part0013_split_005.html
part0013_split_006.html
part0014_split_000.html
part0014_split_001.html
part0014_split_002.html
part0014_split_003.html
part0015_split_000.html
part0015_split_001.html
part0015_split_002.html
part0015_split_003.html
part0015_split_004.html
part0015_split_005.html
part0016_split_000.html
part0016_split_001.html
part0016_split_002.html
part0017_split_000.html
part0017_split_001.html
part0017_split_002.html
part0017_split_003.html
part0017_split_004.html
part0018_split_000.html
part0018_split_001.html
part0018_split_002.html
part0018_split_003.html
part0019_split_000.html
part0019_split_001.html
part0019_split_002.html
part0019_split_003.html
part0019_split_004.html
part0020_split_000.html
part0020_split_001.html
part0020_split_002.html
part0020_split_003.html
part0021_split_000.html
part0021_split_001.html
part0021_split_002.html
part0021_split_003.html
part0021_split_004.html
part0022_split_000.html
part0022_split_001.html
part0022_split_002.html
part0022_split_003.html
part0023_split_000.html
part0023_split_001.html
part0023_split_002.html
part0023_split_003.html
part0023_split_004.html
part0023_split_005.html
part0023_split_006.html
part0023_split_007.html
part0024_split_000.html
part0024_split_001.html
part0024_split_002.html
part0024_split_003.html
part0025_split_000.html
part0025_split_001.html
part0025_split_002.html
part0025_split_003.html
part0025_split_004.html
part0026_split_000.html
part0026_split_001.html
part0027_split_000.html
part0027_split_001.html
part0027_split_002.html
part0027_split_003.html
part0028_split_000.html
part0028_split_001.html
part0028_split_002.html
part0028_split_003.html
part0028_split_004.html
part0028_split_005.html
part0029_split_000.html
part0029_split_001.html
part0029_split_002.html
part0029_split_003.html
part0029_split_004.html
part0029_split_005.html
part0029_split_006.html
part0029_split_007.html
part0030_split_000.html
part0030_split_001.html
part0030_split_002.html
part0030_split_003.html
part0030_split_004.html
part0031_split_000.html
part0031_split_001.html
part0031_split_002.html
part0031_split_003.html
part0032_split_000.html
part0032_split_001.html
part0032_split_002.html
part0032_split_003.html
part0032_split_004.html
part0033_split_000.html
part0033_split_001.html
part0033_split_002.html
part0033_split_003.html
part0033_split_004.html
part0033_split_005.html
part0033_split_006.html
part0033_split_007.html
part0034_split_000.html
part0034_split_001.html
part0034_split_002.html
part0034_split_003.html
part0034_split_004.html
part0035_split_000.html
part0035_split_001.html
part0035_split_002.html
part0035_split_003.html
part0036_split_000.html
part0036_split_001.html
part0036_split_002.html
part0036_split_003.html
part0036_split_004.html
part0036_split_005.html
part0037_split_000.html
part0037_split_001.html
part0037_split_002.html
part0037_split_003.html
part0037_split_004.html
part0037_split_005.html
part0037_split_006.html
part0037_split_007.html
part0037_split_008.html
part0037_split_009.html
part0038.html
part0039.html