Mount Carmel, Ohio
Lundi 3 novembre, 21 h 15

Perchée au bord du siège côté passager, pliée en avant, Faith tremblait comme une feuille.

— Ça suffit, ordonna Deacon. Reculez et laissez-la respirer.

Les paupières plissées, Bishop observait Adam avec méfiance. Scarlett Bishop était un flic à l’esprit aiguisé. Le début de sa collaboration avec Deacon remontait seulement à un petit mois, mais ils avaient réussi à trouver un rythme confortable. Ils étaient déjà capables de communiquer sans se parler, comme s’ils étaient partenaires depuis des années. Ce soir, l’électron libre, c’était Kimble.

Adam se redressa plus lentement, le regard empreint d’un défi direct.

— Elle sait qui est derrière cette histoire. Et, tout ça, c’est du cinéma, conclut-il en indiquant la silhouette tremblante de Faith avec mépris.

Deacon n’était pas du même avis. De toute façon, il ne voulait pas être du même avis. Malheureusement aucun des arguments qu’il pourrait évoquer ne convaincrait Adam. D’ailleurs, le plus important, c’était qu’il devait à Arianna et à Corinne d’acquérir des certitudes.

— Bien sûr, il est toujours possible qu’elle soit au courant. Mais, jusqu’à ce que nous en soyons sûrs, le docteur Corcoran restera un témoin. Et je crois qu’elle a raison au moins sur un point. Si le ravisseur d’Arianna s’était échappé par la route, il ne l’aurait pas laissée vivre. Donc, il doit y avoir une piste quelque part ou quelque chose du même ordre. Nous devons la trouver. Et il faut aussi découvrir si ce serrurier est venu ici, parce qu’une chose est sûre, c’est qu’il n’est pas là. Ni son véhicule. On a donc trop à faire pour perdre du temps à réprimander un témoin, lieutenant Kimble.

— Un témoin dont la victime connaît le nom, marmonna Adam entre ses dents.

Lorsque Faith avait entendu la nouvelle, Deacon avait vu son visage se figer sous le choc. Il était convaincu de la sincérité de sa réaction.

— Précisément. Ce qui en fait une ressource trop précieuse pour l’effrayer à mort.

La tête aux cheveux rouges de Faith se leva. Il croisa son regard et eut l’impression de recevoir un coup de poing dans le ventre. Elle était livide, le visage fermé, et sa colère égalait celle d’Adam, version glacée.

— Très joli discours, agent Novak. Je n’aurais pas fait mieux.

Deacon retint un soupir. Elle s’était peut-être réellement fiée à lui, avant qu’Adam ne gâche tout. Mais désormais il n’était plus question de confiance entre eux.

— Si vous voulez bien nous excuser, docteur Corcoran. Nous revenons dans peu de temps.

Il s’éloigna, les mains enfoncées dans ses poches, sans bien savoir si c’était pour s’empêcher de la toucher ou pour éviter de tabasser son cousin.

Ouvrant la marche, il franchit la grille et avança jusqu’à la porte d’entrée, Adam et Bishop sur les talons. Le trio s’arrêta sous le porche. Adam semblait parvenu à reprendre son calme. Bishop l’observait toujours avec réserve.

— J’ai entendu dire que tu avais été viré de ta brigade parce que tu n’as pas su garder tes nerfs sous contrôle, ce que j’ai refusé de croire, dit-elle. En revanche, je dois dire que ton petit numéro de tout à l’heure m’a entièrement convaincue.

Adam détourna la tête, deux taches rouge sombre marquaient ses pommettes.

— Désolé. J’ai peut-être réagi de manière un peu excessive.

— Ah ouais, tu crois ? C’est le moins qu’on puisse dire, lâcha Deacon, qui s’exprimait peut-être à voix basse, mais ne se souciait pas de cacher sa frustration. Maintenant, on aura de la chance si elle nous dit quoi que ce soit.

— C’est de la comédie, Deacon. Je le sais.

— Alors, dans ce cas, elle est vraiment super douée, rétorqua Deacon. Trop douée pour te révéler quelque chose dont elle ne veut pas parler. Je ne crois pas qu’elle bluffait en menaçant de porter plainte. Tu l’as blessée, Adam. Ça ne te ressemble pas. Mais, putain, c’est quoi, ton problème ?

Adam serra les dents.

— Acceptes-tu au moins de reconnaître qu’elle en sait plus qu’elle ne veut bien nous dire ?

Deacon considéra l’autre bout du jardin, à l’endroit d’où Faith les regardait. Si les regards pouvaient tuer, tous les trois mangeraient déjà les pissenlits par la racine.

— D’accord sur le tas de choses qu’elle ne dit pas. Mais je ne crois pas qu’elle soit derrière cette histoire.

Adam laissa échapper un bref ricanement de dérision.

— Je savais que t’allais dire ça. Elle te mène par le bout du nez, mon vieux. Avec sa jolie petite gueule, il lui suffit de tortiller un peu du cul… Toutes les mêmes. Tu te fais avoir par son petit numéro comme un poisson accroché au bout d’un hameçon. Franchement, c’est un spectacle pitoyable. Cela dit, je veux bien admettre qu’elle sort du lot, elle est plutôt jolie.

Adam observa un bref silence et chercha le regard de Deacon, avant de continuer :

— En tout cas, elle est bien plus jolie que Brandi l’a jamais été, mais j’aurais été prêt à jurer que cette expérience t’avait vacciné pour la vie.

Pendant un instant, Deacon le fixa en silence, incapable de réagir, abasourdi que son cousin ait franchi cette limite. Alors qu’une sourde déflagration de fureur et de chagrin consumait son effarement, il se rendit compte que ses mains étaient devenues des poings. Par bonheur, il les avait gardées dans ses poches, ainsi, personne ne put mesurer l’étendue de sa colère.

Bishop poussa un sifflement bas.

— Messieurs, l’air est si saturé de testostérone que je vais finir asphyxiée si ça continue. Alors baissez d’un ton et réfléchissons plutôt à ce que nous allons faire.

— La priorité est de retrouver l’individu qui a torturé Arianna, dit Deacon. Sachant que ce type a potentiellement tué deux hommes, détient peut-être encore Corinne, et les a tous fait sortir d’ici en passant complètement inaperçu. Adam, ta prochaine mission est de savoir comment il s’y est pris.

Adam lui adressa un bref signe de la tête.

— Oui, chef.

— C’est pas possible !

Deacon se détourna d’Adam d’un geste brusque pour s’adresser à Bishop.

— Toi, tu vas repartir à King’s College et réunir le maximum d’infos sur ces deux filles. Fouille leurs chambres, parle à leurs amis. Isenberg a récupéré les images de la vidéosurveillance du campus. Repère l’endroit où elles ont disparu et sécurise la scène. Appelle-moi si tu as besoin de renforts.

— Et Corcoran ? Qu’est-ce qu’on en fait ?

— C’est un élément déterminant de cette affaire. Mais j’ignore encore son rôle exact. Elle s’est donné beaucoup de mal pour échapper à un ex-détenu, un délinquant sexuel qui la harcelait à Miami. J’ai du mal à croire que la détention d’Arianna dans cette maison, précisément au moment où Corcoran se prépare à y revenir, soit une coïncidence.

Bishop exprima son étonnement d’une simple mimique.

— Tu crois que notre criminel est aussi le type qui la harcèle ?

— C’est une théorie qu’on ne peut pas négliger. Soit elle ment en affirmant ne pas connaître Arianna, soit c’est aussi une victime. Je vais l’emmener aux urgences et puis j’essaierai de l’amener à me parler pendant que nous attendrons qu’elle se fasse examiner. Ensuite, pendant qu’elle recevra ses soins, je passerai quelques coups de fil à la police de Miami pour vérifier cette histoire de harcèlement. Je tâcherai aussi de joindre les deux oncles pour les inviter à un petit entretien.

Deacon revint vers Adam.

— Pendant que tu chercheras par où le criminel est parti, profites-en pour parler aux flics du coin. Essaie de savoir s’il y a des gangs ou des gamins un peu louches du lycée qui traînent par ici. Donne à Tanaka tout ce dont il a besoin pour l’analyse de la cave. Je reviens aussitôt que possible. On est d’accord ?

— Ouais, répondit Adam, à travers des dents si serrées que les muscles de ses mâchoires tressaillaient.

— Je t’appelle du campus, dit Bishop, qui avait observé Faith pendant que Deacon détaillait ses ordres à Adam. Je ne sais pas trop ce qu’il faut penser d’elle, Novak. Sois prudent.

— Compte sur moi. Merci.

Deacon attendit que Bishop se soit éloignée pour s’adresser de nouveau à son cousin. Adam ouvrit la bouche, mais Deacon l’arrêta d’un geste de la main.

— Non. Pour l’instant, ce que tu as à dire ne m’intéresse pas. Et, tout ce que je veux, c’est que tu fasses ton putain de boulot. Tu t’en sens capable, lieutenant ?

Adam déglutit avec peine, visiblement affecté.

— Ouais.

— Bien. Encore une chose. Si jamais tu t’avises de me jeter encore mon passé à la figure, tu vas regretter de m’avoir appris à me battre. Compris ?

Un flot coléreux traversa le regard d’Adam, mais il se contenta de hocher la tête.

— Je n’aurais pas dû te balancer ce que j’ai dit. En tout cas, pas devant Bishop.

— Pas devant Bishop ? Putain, tu n’aurais jamais dû le dire tout court ! Qu’est-ce qui ne va pas chez toi en ce moment ?

Adam ébaucha une réponse, mais fut interrompu par un autre geste péremptoire de Deacon.

— Non. Je ne veux vraiment pas savoir. Alors, reprends-toi ou…

Il s’arrêta de lui-même avant d’aller trop loin.

— Ou ? demanda Adam, bien trop calmement.

— Ou je demanderai que tu sois affecté ailleurs. Une nouvelle fois. Je n’ai pas de temps à perdre à te regarder jouer les divas.

Adam retroussa les lèvres, mais sa mimique n’avait rien d’un sourire amical.

— C’est amusant d’entendre ça sortir de la bouche du roi des divas en personne. Entre tes cheveux et ton manteau, t’es un phénomène de foire, Deacon. Une erreur de la nature.

Deacon accusa le coup. C’est le truc, avec la famille. Ils savent toujours exactement où frapper pour faire le maximum de dégâts. Mais jamais il n’aurait imaginé qu’un jour son cousin tiendrait le poignard.

— C’est un coup bas, Adam, dit-il à voix basse. Fort efficace, malgré tout.

Adam ferma les yeux.

— Désolé. Je n’aurais vraiment pas dû te dire ça. Tu sais que je ne le pense pas.

Gorge serrée, Deacon déglutit avec effort. Cela faisait bien longtemps que les paroles des autres ne l’avaient pas réellement affecté, mais, ce soir, c’était déjà arrivé deux fois. Dommage que le « magnifique » de Faith ne soit pas de taille à contrebalancer le « phénomène de foire » d’Adam. Il dut s’éclaircir la voix avant de pouvoir reprendre la parole.

— Je suis peut-être un phénomène de foire, mais je fais mon boulot. C’est tout ce que j’attends de toi. Juste que tu fasses ton putain de boulot.

Il tourna brusquement les talons et s’éloigna, incapable de rester en présence de son cousin une seconde de plus.

Le visage qui l’attendait dans le SUV n’était pas beaucoup plus avenant que celui d’Adam. Faith Corcoran savait peut-être beaucoup de choses, mais en haut de la liste figurait le mépris qu’elle éprouvait à son égard —  du moins pour l’instant. Deacon avait du mal à l’en blâmer.

Il grimpa dans le SUV et fit démarrer le moteur.

— Bouclez votre ceinture, docteur Corcoran.

Elle ne broncha pas.

— Je croyais que vous alliez trouver quelqu’un pour me conduire aux urgences.

— C’est fait. Je m’en charge. Attachez-vous.

Elle pivota sur son siège et lui tendit ses mains bandées, ses sourcils rouge sombre s’arquant en un défi sarcastique.

— Vous n’allez pas me passer les menottes ?

Deacon poussa un soupir las en fermant les yeux et se laissa aller contre le dossier de son siège.

— Bon sang…

Il se pinça la racine du nez pour atténuer son début de migraine, puis tenta de s’expliquer :

— Je ne vais pas vous menotter, Faith. J’essaie seulement de faire mon job. Maintenant, bouclez cette ceinture, s’il vous plaît.

Il entendit le déclic de l’attache. Lorsqu’il ouvrit les yeux, elle le considérait d’un air incertain, les mains jointes sur ses cuisses. Sa colère semblait avoir reflué.

— Quoi ? demanda-t-il sans faire le moindre effort pour dissimuler son épuisement.

— Ecoutez, je sais que vous avez du travail. Je mesure l’urgence de la situation, il faut retrouver cette fille disparue. Vous êtes occupé. Si occupé que je ne veux pas que vous perdiez votre temps à me materner. N’importe quel agent peut m’emmener à l’hôpital. Je…

Elle s’interrompit, fixa ses mains, un bref instant, puis releva la tête, la mâchoire résolue.

— Je vous promets de ne pas fuir. En conséquence, vous n’êtes pas obligé de me raccompagner en personne.

Les projecteurs illuminaient la moitié de l’habitacle, côté passager. Profitant de la pénombre dans laquelle il était plongé, Deacon observa Faith avec attention. Adam avait-il raison de l’accuser de se laisser influencer par un joli visage et les oscillations d’une paire de fesses ? Car, si Faith n’avait pas tortillé des fesses une seule fois, Deacon n’avait pas manqué de remarquer qu’elles étaient bien rondes et… très jolies. D’autant plus qu’elles avaient été très en vue, au moment où elle avait trébuché en repartant du cimetière.

Cela dit, il avait aussi bien étudié son visage qui, même pansé et maculé de crasse, était joli.

A présent, c’était ses yeux qui capturaient toute son attention. D’un vert profond, comme une forêt en été, ils étaient cependant bien loin de la quiétude sylvestre. Son regard déterminé était traversé de turbulences. Les mains croisées sur ses genoux tremblaient.

— Avez-vous peur de moi, docteur Corcoran ?

Il n’avait aucune envie de lui inspirer de la crainte et cette simple constatation le dérangeait. Si, comme le pensait Adam, Faith avait joué un rôle dans cette affaire, alors c’était une horrible personne. Dans ce cas, plus elle aurait peur de Deacon, plus tôt elle se déciderait à lui parler. Et, si elle était complètement innocente, son bien-être émotionnel devrait rester le cadet des soucis de Deacon.

Mais il se sentait concerné par le sort de Faith et cela l’ennuyait encore plus. Il avait connu des agents qui avaient eu des relations avec des femmes rencontrées au cours d’une enquête. Hormis quelques notables exceptions, ces histoires s’étaient rarement bien terminées. Il avait vraiment besoin de rester concentré. Objectif. Il devait cesser de se préoccuper des sentiments de Faith Corcoran. Cependant, malgré tout ce beau raisonnement, il se surprit à retenir son souffle en attendant sa réponse.

Un léger froncement de sourcils altéra le front lisse de Faith, trahissant son hésitation.

— Je ne sais pas. Je ne vous fais pas confiance, mais je ne crois pas avoir peur de vous. Devrais-je ?

Ce n’était certes pas ce qu’il aurait aimé entendre, mais c’était un pas dans la bonne direction. Il prit un air dégagé, comme si la réponse de Faith n’avait guère d’importance.

— Si vous ne me faites pas confiance, je ne vois pas l’intérêt de répondre à cette question.

— Soit, dit-elle, la gorge serrée. Suis-je suspecte, agent Novak ?

Le léger frémissement de sa voix mal assurée eut l’effet d’un coup de poing dans l’estomac de Deacon. Si Adam avait raison et qu’elle jouait la comédie, elle était si bonne que c’en était effrayant.

— Je ne veux pas que vous pensiez ça, dit-il en toute sincérité.

— Alors… Comment me considérez-vous ?

Il pesa sa réponse avec soin avant de reprendre la parole.

— Je crois que vous avez un lien avec cette affaire, ce qui ne signifie pas forcément que vous y êtes impliquée. Je pense que vous avez dit la vérité, mais je ne crois pas que vous ayez dit toute la vérité.

— Soit, dit-elle, semblant aussi épuisée qu’il l’était. Que voulez-vous savoir exactement ?

Il baissa lentement ses paupières, essayant de masquer sa surprise.

— Je ne sais pas très bien. Je ne m’attendais pas à cette proposition.

— Et, de mon côté, je ne m’attendais pas à ce qu’Arianna Escobar connaisse mon nom. Je crois que j’ai un lien avec cette affaire. Ne serait-ce que parce que cette maudite maison est à moi, jeta-t-elle, comme si elle avait presque craché les derniers mots. Je vous aiderai autant que je peux, mais j’aimerais que vous me promettiez une chose.

— Ça dépend de ce que c’est.

— Si je deviens suspecte, j’aimerais que vous me le disiez, pour que je puisse prendre un avocat et me protéger.

Il secoua la tête, frappé par l’intensité du regret qu’il éprouvait.

— Je ne peux pas vous faire cette promesse. Si vous devenez suspecte, ma responsabilité devra aller aux victimes. Pas à vous.

Elle baissa les yeux sur ses mains et laissa échapper un petit soupir.

— Soit, dit-elle encore, à voix très basse. Pouvez-vous au moins me recommander un avocat de la défense correct ?

Il grinça des dents de déception. Elle avait demandé un avocat. Maintenant, il lui faudrait encore des heures pour découvrir ce qu’elle savait, des heures que Corinne Longstreet n’avait peut-être pas à sa disposition. Mais Deacon ne pouvait se résoudre à en vouloir à Faith. Elle avait été vicieusement agressée par un de ses patients, qui par la suite l’avait calomniée au cours du procès en l’accusant d’avoir couché avec lui. Par ailleurs, si elle disait la vérité, le même patient l’avait harcelée, et trente plaintes déposées auprès des autorités n’avaient pas réussi à la protéger.

A sa place, moi aussi, je prendrais un avocat, songea Deacon. En tout cas, s’il s’agissait de sa sœur, il l’aurait pressée d’agir de même.

— Mon affectation est assez récente, je ne connais donc pas beaucoup d’avocats de la défense dans la région. Mais je connais un bon professionnel à Baltimore. Je peux lui demander de me recommander quelqu’un d’ici.

— Merci. Bon, alors, allons-y. Plus tôt je serai raccommodée, plus vite je répondrai à vos questions. Ensuite, je rentrerai à mon hôtel pour prendre une bonne douche, enfiler des vêtements propres et avoir une nuit de sommeil décente. J’espère seulement que je vous apprendrai quelque chose d’utile.

Il fronça les sourcils. En réalité, il n’était pas certain d’avoir compris toute la phrase, car son cerveau s’était figé sur l’image inattendue de Faith sous la douche. Inattendue, mais pas aussi inopportune qu’elle l’aurait dû. Il s’efforça de rassembler ses esprits.

— Je ne crois pas que vous trouverez un avocat local aussi vite.

— Je sais. Je vous parlerai sans être représentée.

Cette fois, Deacon fut incapable de masquer sa surprise.

— Pourquoi ?

— Parce que Arianna n’a rien fait pour être agressée. Je ne peux pas effacer son traumatisme. D’ailleurs, je n’ai réussi avec aucune des femmes qui ont défilé dans mon bureau, au long de toutes ces années. Mais, si je peux vous être utile pour trouver l’autre fille, je tiens à vous aider. En revanche, je ne suis pas impliquée dans cette affaire. Ça, je le sais. Donc, à défaut de me fier à vous, je vais devoir faire confiance au système.

Il sembla à Deacon que sa poitrine allait éclater sous la pression des émotions qui s’y bousculaient. Respect. Fierté. Et un irrésistible besoin de protéger Faith de ce système auquel elle se fiait plus qu’à lui.

Adam avait peut-être raison. Elle se servait peut-être de lui, lui mentait pour sauver sa peau. Mais Deacon n’y croyait pas. Il était aussi joliment certain qu’il devrait s’abstenir de dire les paroles qu’il s’apprêtait à prononcer. Mais, si elle était sincère, elle méritait amplement ce minimum qu’il pouvait lui garantir.

— Je ne peux pas vous promettre ma protection si vous devenez suspecte. En revanche, je m’engage à écouter ce que vous avez à dire et à ne pas faire de suppositions en me fondant simplement sur vos antécédents.

Elle eut un demi-sourire dénué d’amusement.

— Voilà un bien beau discours, agent Novak, mais nous faisons tous des suppositions. C’est une caractéristique partagée par tous les êtres humains. Il ne me reste qu’à espérer que je ne suis pas en train de commettre une grosse erreur.

Il partageait sincèrement cet espoir.

— Et si c’était le cas ?

Inopinément, elle déboucla sa ceinture et se pencha en avant, elle tendit le bras en grimaçant pour allumer le plafonnier. Puis elle s’inclina par-dessus le vide-poches central et leva la tête vers lui.

— Regardez-moi, s’il vous plaît.

— Pourquoi ?

Les insinuations malveillantes d’Adam résonnèrent à ses oreilles.

— Parce que j’aime à voir les yeux des gens qui me font une promesse.

Deacon s’obligea à garder une expression impassible en attendant qu’elle fléchisse. Mais il ne nota aucun fléchissement. Au contraire, elle le scrutait avec un singulier mélange de discernement affûté et de vulnérabilité. Finalement, elle s’adossa, continuant à l’observer en silence.

Elle utilisait cette pause pour créer un vide censé le mettre assez mal à l’aise pour le pousser à rompre le silence. S’il reconnaissait la manœuvre, c’était parce que lui-même usait souvent de cet artifice. Malgré tout, l’astuce fonctionna. Il haussa les sourcils, dans une interprétation forcée de la nonchalance qu’il feignait si aisément d’habitude.

— Alors, doc, quel est le verdict ?

Le regard de Faith ne faillit pas, mais s’aiguisa, comme si elle avait détecté le masque qu’il avait adopté.

— Je ne voudrais pas non plus faire de suppositions en me fondant simplement sur vos antécédents.

— Ce qui signifie ?

— Ce qui signifie que je ne vous fais toujours pas confiance. Cela dit, je suis prête à me dire que jouer très bien les bons flics ne vous empêche pas d’en être un.

— Et si vous vous trompez ?

Elle eut un petit haussement d’épaules.

— Eh bien, ce ne serait pas la première fois que je prendrais un risque pour finir par m’en mordre les doigts. Emmenez-moi aux urgences, agent Novak, vous pourrez me demander ce que vous voudrez en route.

Il se dégagea de la file de véhicules qui stationnaient maintenant devant la maison, soudain irrité contre lui-même. D’ordinaire, il tirait une certaine fierté de sa capacité à déchiffrer les gens, mais cette fois il avait affaire à une psy et c’était un élément non négligeable. En matière d’analyse des comportements et de manipulation, ils étaient sur un pied d’égalité.

— Pas sur la route. J’attendrai que nous soyons arrivés à destination pour vous interroger.

— Pourquoi donc ? Je croyais que vous étiez pressé, dit-elle avec une perplexité qui paraissait sincère. L’horloge tourne et l’amie d’Arianna est toujours introuvable.

— C’est vrai, mais j’aime à voir les yeux des gens que j’interroge, répondit-il en paraphrasant volontairement la remarque de Faith.

En lui jetant un regard à la dérobée, il eut le temps de saisir un léger tressaillement, mais il s’interdit d’éprouver la moindre once de pitié. Si elle était impliquée dans cette affaire, il devait absolument le savoir. Elle devrait payer. Et, si ce n’était pas le cas, les sentiments froissés de Faith pourraient être considérés comme un dommage collatéral acceptable.

— Soit, murmura-t-elle.

La voiture cahota sur un nid-de-poule et elle étouffa une exclamation de douleur, rappelant à Deacon que, complice ou pas, elle avait été blessée et devait souffrir.

Il baissa un interrupteur sur le tableau de bord.

— J’ai branché le chauffage de votre siège, ça vous soulagera peut-être. Les routes ne sont pas très bonnes, par ici, mais je m’arrangerai pour que le trajet ne soit pas trop pénible.

Elle ferma lentement les yeux.

— Merci, agent Novak.

Sur tes traces
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