Cincinnati, Ohio
Mercredi 5 novembre, 1 h 50

Deacon se précipita pour rattraper Faith qui s’effondrait, mais il n’arriva pas à temps. Ses genoux heurtèrent le sol avec un bruit mat à soulever le cœur. Mais elle ne sembla pas s’en rendre compte, le regard fixé sur la photo qu’elle serrait entre ses mains tremblantes.

Gentiment, il l’aida à se relever et la ramena à sa chaise. Puis, il mit un genou en terre et observa son visage dévasté.

— Va te faire voir, espèce de salopard, chuchota-t-elle, d’une voix hachée, les yeux toujours rivés sur la photo. Elle allait mieux. Elle était en train de s’en sortir. Et maintenant elle est morte. A cause de moi.

Deacon lui prit la photo des mains et la rendit à Isenberg, qui semblait aussi désemparée que lui. Les mains vides, Faith croisa les bras autour de sa propre taille et se balança sur place. Elle ne pleurait pas. Ses yeux étaient complètement secs. Mais vides.

Ce qui était d’une certaine manière pire que des sanglots déchirants. Inquiet, Deacon lui frottait le dos avec douceur.

— Non, elle n’est pas morte à cause de vous.

— A cause de qui, alors ? chuchota-t-elle.

Lentement, elle tourna la tête pour croiser son regard, elle semblait totalement perdue.

— A cause de qui, Deacon ? répéta-t-elle. Si ce n’est pas moi, alors, qui ?

Elle avait les yeux secs, mais ceux de Deacon le picotaient.

— C’est le mal, Faith. Vous savez que le mal existe.

— A quel moment ça va s’arrêter ? Comment puis-je l’arrêter ?

— Ce n’est pas à vous de le faire, c’est à nous.

Elle secoua la tête comme s’il n’avait rien dit.

— Combien d’autres gens doivent encore mourir ? Je devrais peut-être tout simplement…

Elle s’interrompit un bref instant et ferma les yeux.

— Je ne veux pas mourir. Mais je ne peux pas vivre avec ça.

Une peur glaciale tenailla le cœur de Deacon.

— Pas question. Vous n’irez pas vous livrer.

— Je sais. Mais je veux seulement qu’il arrête.

Elle ouvrit les yeux, toujours secs, mais maintenant hagards.

— Comment a-t-il su que c’était une des miennes ?

— C’est une sacrée bonne question, dit-il.

Bishop s’agenouilla de l’autre côté du siège de Faith.

— Qui était-elle ? Comment ça, une des vôtres ?

— Quand elle est venue me voir, elle avait dix-sept ans et elle était terriblement courageuse. Son père l’avait molestée pendant quatre ans. Sa mère l’avait accusée de mentir et l’avait menacée de la jeter dehors, si elle en parlait à quelqu’un d’autre. Roxie devait partir pour la fac en laissant sa jeune sœur de onze ans à la maison. Elle ne pouvait pas se résoudre à laisser son père s’attaquer à la petite, alors elle a fini par porter plainte. Son père a été condamné, mais pas emprisonné comme elle l’avait espéré. Parce que c’était son premier délit, ajouta Faith avec amertume.

Deacon eut un soupir las.

— Il a eu une peine avec sursis. Et la Cour l’a condamné à suivre une thérapie avec vous.

— Oui. Roxie était anéantie. Sa sœur n’était pas encore hors de danger. Le père patientait tranquillement en attendant que Roxie ait quitté la maison. Quant à la mère, elle s’enfonçait dans le déni… Elle reprochait à Roxie l’absence du père, qui n’était pas autorisé à vivre avec elles pendant la thérapie.

— Comment avez-vous réagi, Faith ? demanda doucement Bishop.

— Je lui ai donné une caméra équipée d’un micro. Je lui ai conseillé de placer l’appareil dans la chambre de sa sœur, puis de prétendre qu’elle passait la nuit chez une amie. Mais, au lieu de ça, elle devait se cacher dans le placard de sa sœur. Dès que son père entrerait dans la chambre de la petite, Roxie devait m’envoyer un SMS puis appeler le 911. Le plan prévoyait qu’elle sorte du placard pour l’arrêter en gardant l’opératrice en ligne pour lui faire entendre ce qui se passait.

— Où étiez-vous ? demanda Isenberg.

— Dans ma voiture, de l’autre côté de la rue, juste en face de la maison avec un appareil-photo équipé d’un téléobjectif. Et mon arme. Roxie a fait tout ce que je lui ai dit, mais son père a attrapé son téléphone, a coupé la communication avec le 911 et s’est enfui. J’ai pris une photo de lui pendant qu’il sortait par la porte d’entrée en refermant sa braguette. Quand les flics sont venus le chercher, il a prétendu que les filles mentaient. Mais Roxie avait la vidéo de la caméra cachée. Mon amie Deb a procédé à l’arrestation. Je lui ai envoyé la photo du père, quittant la maison. L’envoi était anonyme, mais elle a deviné ce que j’avais fait. C’est la première affaire sur laquelle nous avons travaillé ensemble. Il a été condamné à trois ans.

— Et quand il est sorti ? demanda Isenberg.

— L’épouse est toujours dans le déni. La fille cadette dort avec un couteau de boucher sous son oreiller. Première nuit à la maison, papa se glisse dans sa chambre et termine mort.

Au long du récit, les yeux de Faith s’étaient remplis de larmes.

— Roxie a eu de nombreuses séquelles. Alcoolisme, vagabondage sexuel. Petits vols à l’étalage. Mais elle y travaillait en thérapie.

— Elle était votre patiente ? demanda Bishop.

— Je la suivais avant que son père aille en prison. Mais, par la suite, elle a travaillé avec une conseillère au lycée. J’étais simplement son amie. Elle m’appelait toujours lorsqu’elle avait des problèmes et je payais sa caution.

— C’était vous qui régliez sa caution ? dit Adam, incrédule. Avec votre propre argent ?

Deacon cilla, surpris. Il avait complètement oublié la présence de son cousin.

Faith haussa les épaules.

— J’utilisais ma pension alimentaire. Et puis, je savais que ça ferait enrager Charlie. Double bonus.

Son mariage ! Encore une chose que Deacon avait complètement oubliée. Quel genre d’homme pouvait bien être son ex pour l’avoir laissée partir ? Par bonheur, Charlie Frye était apparemment idiot.

Puis il lui vint une idée qui lui donna un haut-le-cœur. Roxanne Dupree venait d’être relâchée de prison quand elle avait disparu.

— Quand l’avez-vous sortie de prison pour la dernière fois, Faith ?

— Le lendemain du jour où le fourgon blanc a tenté de me pousser du pont, il y a donc quatre semaines.

Bishop ferma les yeux, puis soupira.

— Où l’avez-vous déposée ?

Les mains de Faith se figèrent, puis se posèrent lentement sur ses genoux. Dans ses yeux écarquillés, on lisait une horreur renouvelée.

— Non. Non, dit-elle en secouant la tête. Dites-moi que je ne l’ai pas conduit à elle. Dites-le-moi.

Un silence prolongé lui répondit. Un spasme de pure souffrance déforma son visage, puis elle baissa la tête et pleura en silence.

Brisant le cœur de Deacon. Il se releva lentement, avec l’impression d’avoir un demi-siècle. Il lui caressait les cheveux tout en parcourant la pièce du regard. Il lut de la compréhension sur les visages de l’équipe. Maintenant, ils savaient ce qu’elle avait fait. Et pourquoi.

Dans les yeux de son cousin, il discernait aussi de la honte. Et du respect.

— Vous avez travaillé des deux côtés de la barrière, c’est ça ? dit posément Adam. Vous avez aidé à mettre Combs à l’ombre. C’est pour cette raison qu’il vous hait tant.

— Si elle l’a fait, elle pourrait perdre sa licence, souligna Deacon d’un ton tranchant.

Adam secoua la tête.

— Ne t’inquiète pas. Je ne dirai rien.

Isenberg poussa un soupir étranglé.

— Rien de tout ça ne quittera cette pièce.

Tanaka cilla plusieurs fois.

— Rien de quoi, Lynda ?

Isenberg hocha la tête.

— Emmenez-la hors d’ici, Deacon. Et trouvez qui est derrière cette histoire avant qu’elle ne fasse quelque chose de stupide, comme se rendre à ce type.

— Comptez sur moi, promit Deacon.

Isenberg prit une profonde inspiration et quitta la salle de conférences.

Il n’avait pas cessé de caresser les cheveux de Faith. Elle continuait à pleurer en silence.

Adam s’attarda après le départ des autres.

— Quand t’en a-t-elle parlé, D. ?

— Tard, la nuit dernière, pendant que je l’emmenais aux urgences.

— Mais, d’une certaine manière, tu le savais plus tôt. Je suis désolé, Deacon.

Puis il se tourna vers Faith et lui posa gentiment la main sur l’épaule.

— Et, Faith, je… Pardonnez-moi. Je ne savais pas, ajouta-t-il.

Elle ne releva pas la tête, mais parvint à hocher légèrement la tête.

Adam ramassa la sacoche de l’ordinateur de Faith et son nécessaire, ainsi que le carton qu’il avait apporté.

— J’ai un endroit sûr où elle pourra rester. Je t’enverrai l’adresse et on se retrouvera là-bas.

Deacon regarda son cousin dans les yeux, le mettant au défi de dire qu’il avait l’intention de passer la nuit avec eux. Adam arqua un de ses sourcils noirs.

— Je te retrouverai là-bas pour te donner la clé et te montrer le système de sécurité, précisa-t-il.

— Merci, dit Deacon.

Une fois seul avec Faith, il la releva, la prit dans ses bras et la serra contre lui, pendant qu’elle pleurait sur une jeune femme qui n’avait échappé à un monstre que pour succomber à la cruauté d’un autre.

Sur tes traces
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