Mount Carmel, Ohio
Lundi 3 novembre,
14 h 15
Allongée sur la table, les dents serrées, contractant chaque muscle de son corps à l’extrême, Arianna attendait l’incision suivante. L’homme était revenu en sifflotant. Gai comme un putain de pinson. Il s’était absenté pendant des heures, mais il avait fini par rentrer, de fort bonne humeur. L’événement qui l’avait perturbé au point d’ordonner à la fille de faire leurs bagages ne représentait sans doute plus une menace. Manifestement, le départ n’était plus d’actualité. Fin de ses projets d’évasion.
Il avait déballé ses couteaux en sifflotant et continué sur la même note guillerette, pendant qu’il s’en servait. Sur elle. Aucune des estafilades n’était assez profonde pour tuer. Toutes l’étaient assez pour lui faire un mal de tous les diables. Et chaque entaille la dépouillait d’une parcelle d’espoir. Je vais mourir ici. Seule.
Puis, abruptement, il se figea en lâchant un juron. A la lisière du bandeau, Arianna distingua la lumière clignotante, comme la première fois. Et, comme la première fois, il devint complètement dingue.
— Bordel, ronchonna-t-il. Ça ne peut pas être elle. Le téléphone n’a pas bipé. Il aurait dû biper. Pourquoi je ne suis pas resté là-bas à la surveiller ?
Arianna entendit son pas lourd, puis le cliquetis d’un clavier d’ordinateur, auquel succéda un autre juron chargé de malveillance.
— Merde ! Qu’elle aille se faire foutre !
Arianna retrouva l’espoir. Quelqu’un venait.
Il se précipita vers la porte et l’ouvrit brutalement.
— Roza ! tonna-t-il. Viens ici. Tout de suite !
Des pas traînants.
— Oui ?
— Soigne-la. Je veux pas qu’elle mette du sang partout. Quand tu auras fini, prends la javel et pulvérise-moi cette pièce.
Super ! En fin de compte, on va partir ! Arianna avait envie de chanter. Il était de nouveau effrayé par quelqu’un. Quand il me déplacera, il sera bien forcé de me détacher. Ce sera ma seule chance. Elle fit discrètement jouer ses doigts en espérant qu’il ne remarque rien. Cela faisait si longtemps qu’elle était ligotée que l’ankylose avait gagné tous ses muscles. Mais elle était plus résistante qu’elle n’en avait l’air. Je peux l’avoir. Il le faut.
Elle entendit des récipients en verre s’entrechoquer.
Bien sûr, il allait revenir. Eh bien, je serai prête. Même s’il avait dit à la fille de l’obliger à tout avaler, elle recracherait la boisson. Elle ne laisserait pas échapper cette occasion de lui filer entre les doigts.
— Commence par lui donner ça, ordonna-t-il. Remplis le verre jusqu’à cette ligne. Pas plus. Pas moins. Assure-toi qu’elle boit tout, jusqu’à la dernière goutte. Quand ce sera fait, tu donneras la même quantité à l’autre. Si tu foires ce coup-là, quand j’aurai fini de te cogner dessus, tu te retrouveras aveugle. Je reviens tout de suite.