Cincinnati, Ohio
Mardi 4 novembre,
23 h 15
— Merde, merde, merde.
Deacon jura dans sa barbe à la fin de ce qu’il espérait être sa dernière communication téléphonique. Depuis leur départ d’Indian Hill, il n’avait pas quitté son mobile. Du coin de l’œil, il voyait les mains de Bishop se crisper de plus en plus sur le volant, à mesure que s’égrenaient les mauvaises nouvelles. A commencer par l’annonce affligeante de la mort de Pope.
Deacon n’arrivait toujours pas à le croire. L’homme, un agent expérimenté du FBI, avait été tué.
Dans mon jardin. A quelques mètres de Greg et Faith.
— J’ai aussi reçu un coup de fil d’Adam. Il emmène Faith à l’hôpital pour voir Arianna. Il veut que tu sois là, si nous pouvons arriver à temps. Au cas où Arianna pourrait témoigner. Il pense qu’elle se sentirait plus à l’aise avec toi.
— Qu’a-t-il dit d’autre ? Il s’est passé quelque chose avec Colby ? Il a craqué ?
— Complètement. Il a essayé de traîner Greg dehors pour lui montrer le corps de Pope, et le mettre face aux conséquences de son petit plan.
— Il a essayé de traîner ton frère hors d’une maison protégée ?
— Je pense qu’à ce moment-là c’était le cadet de ses soucis. Quand je l’ai appelé à propos de Greg et de l’école, je ne me suis pas rendu compte qu’il était aussi perturbé. Je m’étais dit qu’il redéploierait les hommes pour rechercher le gamin qui avait menacé Dani. Je n’aurais jamais imaginé qu’il se retournerait contre Greg.
— Parce que tu n’es pas irrationnel, dit-elle en secouant la tête. Où se trouve Colby pour l’instant ?
Deacon serra les lèvres, tentant de réprimer la colère qui bouillonnait en lui.
— En garde à vue. D’après Adam, Colby a attrapé Faith par son chemisier et l’a soulevée de terre.
Deacon était heureux de ne pas avoir été présent à cet instant. J’aurais pu le tuer.
— Mais Adam est intervenu, c’est ça ? Colby ne lui a pas fait de mal ?
— Elle l’a calmé toute seule, répondit-il, encore incrédule. Ensuite elle lui a préparé une tasse de thé.
L’expression de Bishop s’éclaira.
— J’apprécie cette fille de plus en plus.
Et moi, donc. Qu’elle n’ait pas hésité à se mettre en danger pour sauver Greg n’aurait pas dû l’étonner. C’est ce qu’elle faisait depuis des années pour les jeunes victimes dont elle avait la charge, seul le contexte différait. Bien que terrifié par ce manque d’instinct de conservation, il ne lui en était pas moins reconnaissant d’avoir protégé son frère.
— Et le dernier appel ? demanda Bishop. Celui du « merde, merde, merde » ?
— C’était Vince. Le conseil des médecins de l’Ohio lui a envoyé les empreintes de Jeremy et elles ne collent pas avec celle de la brosse à cheveux, trouvée dans la chambre souterraine. Rien à voir.
— Bon sang, dit Bishop, à mi-voix. De toute façon, ça ne pouvait pas être aussi facile, hein ?
— J’aimerais bien avoir les empreintes de Stone.
— Il était militaire. Ils devraient les avoir. Il faudrait leur demander.
— Si toutefois elles figurent toujours dans leur base de données. Les vétérans peuvent demander que leurs empreintes soient effacées des fichiers. Il est assez malin pour avoir pris cette précaution. Je vais demander à Vince de vérifier.
Et joignant le geste à la parole, il envoya un SMS à Tanaka.
— C’est fait, ajouta-t-il.
— Donc Jeremy n’a pas enterré dix cadavres dans la cave des O’Bannion et il n’a pas tenté de tuer Faith. Mais Stone est toujours suspect pour les deux crimes, même s’il n’a pas tué l’agent Pope. Parle-moi du gamin qui a menacé Greg et Dani.
— Seize ans, souvent fourré dans les problèmes. Plutôt costaud, il joue dans l’équipe de football américain du lycée. En défense.
— Donc il n’a pas le pied particulièrement léger, fit remarquer Bishop. En tout cas, ce n’est pas un sprinteur.
— Sur les images de vidéosurveillance du lycée que j’ai eu l’occasion de voir, il avait l’air plutôt lent. A première vue, il paraît assez apprécié, mais une partie de sa popularité tient à ses facultés d’intimidation. Depuis peu, sa cote a baissé.
— Parce que Greg s’est arrangé pour que tout le monde croie qu’il est séropositif. Ça fout la trouille, Deacon. A la fois que ton frère mette sur pied un truc pareil et qu’il ait les capacités de le mettre en œuvre.
— J’en ai conscience, crois-moi. Mais, pour l’instant, je ne pense pas à Greg. Je pense au fait qu’un agent fédéral entraîné se soit laissé avoir de cette façon par un lycéen.
— Moi aussi, je trouve ça bizarre, admit Bishop, à regret. Sans vouloir manquer de respect à la mémoire de Pope, bien sûr. Mais c’est ce type-là qu’ils ont envoyé assurer la sécurité de Faith ? Waouh.
— J’arriverais à la même conclusion que toi, si je n’avais pas vérifié ses états de service quand il a été affecté à la protection de Faith. Pope appartenait aux forces spéciales avant d’entrer au FBI. Personne n’aurait dû pouvoir prendre le dessus sur lui, encore moins avec un couteau. Et certainement pas ce gosse, insista-t-il. Et si le meurtre de Pope n’était pas une coïncidence cosmique ?
— Tu veux dire que notre type l’aurait tué délibérément ?
Bishop prit un instant pour réfléchir à cette théorie, puis ajouta :
— C’est possible. Où se trouve le gamin, pour l’instant ?
— Dans la nature. Il a séché les cours ces derniers jours et les flics qui sont passés le prendre chez lui ne l’ont pas trouvé là-bas. Ses parents prétendent qu’ils ignorent également où il se trouve. L’agent spécial principal a donné l’ordre de mettre sa maison et celles de ses amis sous surveillance, au cas où il referait surface.
Le chef du bureau local était prêt à retourner toute la ville pour retrouver le gosse qui avait assassiné un de ses hommes de sang-froid. Deacon savait qu’il devrait bien organiser ses arguments avant de proposer une théorie alternative, en ce moment.
— Et le couteau qui a servi à tuer Pope ?
— D’après Adam, il correspond à la description que lui a donnée Greg. La petite brute paradait dans tout le lycée avec ce couteau. Il s’est vanté de l’avoir volé dans une boutique d’équipements sportifs.
— Ce sera facile à vérifier. Si c’est effectivement le couteau du gamin, et pas une coïncidence, comment le tueur aurait-il mis la main dessus ?
— Bonne question. Aucune idée. Je vois peut-être des conspirations là où il n’y en a pas.
Bishop secoua la tête.
— Sauf que Pope était un ancien des forces spéciales et il n’aurait pas dû se faire surprendre. Alors, si c’était notre tueur, comment s’y est-il pris ? Comment a-t-il réussi à descendre Pope ?
— Il lui a peut-être d’abord tiré dessus, comme il l’a fait avec l’adjointe du shérif du comté de Butler. Ou encore il l’a drogué.
Deacon ressortit son téléphone.
— J’envoie un SMS à Washington pour qu’elle procède à une analyse toxicologique sur Pope.
— Ce n’était peut-être pas ce fameux gamin. Nous savons que Stone, Keith et Jeremy sont hors de cause, parce que nous étions avec eux au même moment. Ça nous laisse Combs ou celui qui se trouvait dans la cave des O’Bannion.
— Qui n’était pas Jordan, parce que son alibi tient la route. Ni Jeremy, parce que ses empreintes ne correspondent pas. Mais ça peut toujours être Stone ou Keith, énuméra Deacon en fronçant les sourcils. Ça ressemble à un putain de puzzle.
— Et il y a toujours Herbie Trois. Voire un M. X. Et nous ne pouvons pas oublier la femme qui a rencontré Herbie au faux bureau de Maguire and Sons. Ça peut très bien être une femme qui a tiré sur Faith de la fenêtre du fourgon, sur le pont de Miami. Si notre tueur n’agit pas seul, son complice est peut-être une elle plutôt qu’un lui. Quoi qu’il en soit, nous cherchons quelqu’un qui a squatté la maison depuis des années, qui est un bon bricoleur et un tireur d’élite.
— Et qui est assez costaud pour traîner le type de la compagnie d’électricité sur toute la longueur de la maison des O’Bannion, ajouta Deacon. Il doit aussi être assez qualifié pour pouvoir effectuer des sutures comme un médecin et embaumer comme un entrepreneur de pompes funèbres. Et, par-dessus tout, il doit avoir accès à ce satané testament.