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La silhouette massive du castel de Montségur se découpait dans la nuit. À force de vivre à l’ombre d’un pareil géant, les habitants du village lové en contrebas du pog avaient fini par ne plus y prêter attention. Pour eux, ce soir-là augurait d’une nuit comme les autres. Nul n’aurait pu imaginer l’intense activité qui régnait dans la forteresse.

Une vingtaine de frères se relayaient pour porter des rondins de bois le long de la muraille nord-est de la forteresse. Un Bon Homme supervisait la bonne marche des opérations. Cinq autres portaient des hampes et des oriflammes pour les entreposer dans l’étroit couloir qui menait au sanctuaire. Dans celui-ci, le Parfait réglait les derniers détails en s’assurant que tout était prêt. Aucun élément lié au hasard ne pouvait venir s’immiscer dans la renaissance de Montségur. Il fallait frapper les imaginations, marquer une étape décisive dans l’histoire de l’Ordre et se préparer à envisager de nouvelles batailles.

— Voilà, dit un Bon Homme en entrant dans le sanctuaire. C’est terminé !

— Excellente nouvelle, répondit le Parfait. Je t’avoue qu’il s’agissait de mon dernier motif d’inquiétude.

— Nous vous l’avions promis, nous l’avons fait !

Les deux hommes s’engagèrent dans le couloir principal et puis obliquèrent à droite. Une deuxième galerie – plus étroite – s’enfonçait dans la terre. Après quelques pas, il fallait se baisser pour pénétrer dans une grotte naturelle de forme circulaire. Ses dimensions étaient relativement modestes, mais une dizaine d’adultes pouvaient s’y tenir sans problème.

— La roche est très friable et l’humidité très présente, précisa le Bon Homme. Mais l’idée n’était pas d’aménager une chambre de palace.

Le Parfait ne releva pas le bon mot qui lui paraissait davantage relever de l’humour de corps de garde que de l’ironie, mais il ne bouda pas son plaisir pour autant. Tout autour de la grotte avaient été creusées quatre niches, à la manière de quatre alcôves articulées autour d’un axe central. Chacune d’entre elles était fermée par une grille de fer munie d’un imposant cadenas.

— Dans les deux premières, expliqua le Bon Homme, il est parfaitement possible de se tenir debout. Les deux autres sont plus exiguës. Ils n’auront qu’à s’asseoir ou à se coucher comme des chiens dans leur cage.

— Les frères ne se sont aperçus de rien ? s’enquit le Parfait.

— D’absolument rien. Nous avons travaillé en leur absence et dissimulé l’accès au couloir secondaire lorsqu’ils étaient là.

Le Parfait sourit. Il était très satisfait.

— Tant mieux, l’effet de surprise n’en sera que plus total ! Je veux frapper leurs imaginations. Jusqu’ici, nous les tenons par la peur. Après la cérémonie, nous aurons gagné leur respect. Ils deviendront les nouveaux croisés de Montségur !