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Les six hommes pénétrèrent dans la cour de la forteresse. Celle-ci était vide, comme souvent à cette heure, mais ils prirent néanmoins la précaution de jeter un coup d’oeil aux alentours pour s’assurer qu’ils étaient bien seuls. Le plus grand des hommes posa un grand sac sur le sol avec un soupir de soulagement.

— Bon Homme ! lui intima son compère qui ouvrait la marche. Je ne t’ai pas autorisé à le déposer à terre. Depuis quand agis-tu sans attendre mes ordres ?

— Pardonne-moi, répondit l’homme en reprenant le sac sur son épaule. Il était très lourd et comme nous sommes parvenus au sommet, je me suis dit que...

— Contente-toi d’agir, coupa l’autre. À moi de réfléchir. Tu sais parfaitement que nous ne devons laisser aucune trace suspecte sur le sol. Va le poser sur le muret de pierres, là-bas. Ensuite, nous commencerons le travail.

Un autre homme, doté d’une silhouette plus replète, se mêla à la conversation. De toute évidence, il cherchait ses mots pour ne pas indisposer le chef de la bande.

— Parfait. Vous pensez que nous devrons continuer longtemps à agir seuls ? Pourquoi ne faisons-nous plus appel aux frères ?

— Nous ne pouvons pas leur faire confiance pour le moment, lui répondit-il avec agacement. Nous venons de faire face à une défection. Un tel accident doit nous inspirer d’agir avec davantage de prudence à l’avenir.

— Mais ils ne peuvent pas nous trahir, poursuivit le Bon Homme. Il en va de leur propre intérêt.

— En théorie, répondit son compère, tu as raison. Mais les hommes agissent souvent sans réfléchir. Plus que jamais, il nous revient de faire peser le poids des menaces pour être sûrs de notre pouvoir.

— Et les fuites ?

— Tant que nous les maîtrisons, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Et si les choses allaient trop loin, nous y mettrions facilement bon ordre. En d’autres temps, nous avons eu l’occasion de prouver notre efficacité.

Sentant que le Parfait était en veine de confidences, le Bon Homme se hasarda à poser une question délicate.

— Et le Normand ? Que comptez-vous en faire ?

— Il me déçoit, répondit-il avec froideur. Je pensais qu’il aurait été plus perspicace. J’ai l’impression qu’il s’est égaré dans ses recherches comme un chien de chasse dont le flair aurait été perturbé par des odeurs parasites.

— Mais vous lui demandez de percer un secret qui nous échappe depuis treize ans ! insista le Bon Homme. Pourquoi se montrerait-il plus intelligent que nous ?

— Pas plus intelligent, corrigea le Parfait. Le Bihan possède certains atouts qui lui sont propres et qui peuvent nous être utiles. Il est historien, il a été confronté à notre organisation par le passé, il est susceptible de recueillir de précieuses informations et surtout, il est animé par une forte volonté de revanche. Je suis intimement convaincu que ce sentiment est le meilleur moteur d’un homme pour lui permettre de dépasser ses limites.

Soudain, un Bon Homme tourna la tête, croyant que quelqu’un avait pénétré dans la cour du château. Il fut soulagé de constater que l’intrus n’était qu’un gros corbeau occupé à se battre avec un trognon de pomme séché. Le Parfait estima que le moment était opportun pour motiver ses troupes. Il ouvrit le sac et en sortit deux pelles et une pioche qu’il distribua à ses compagnons.

— Tenez ! dit-il avec conviction. À présent, mettons-nous au travail. Nous nous relaierons pour savoir si quelqu’un arrive. Toi, tu prends le premier tour de garde. Vous trois, vous creusez la galerie d’accès et, toi, tu continues à ramener du bois mort. Bon travail et n’oubliez jamais que c’est la foi des Bons Hommes qui leur a permis de gravir les montagnes et de supporter l’épreuve du feu !