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Berlin, 1938

Cher Jacques,

Tu le sais, j’ai toujours exécré les archéologues pédants et rationalistes butés qui refusent d’envisager les choses autrement qu’à travers le prisme de leurs arrogantes certitudes. Dieu merci, celui que j’appelais affectueusement le Maître du Graal n‘était pas de ceux-là. Antonin Gadal n’avait pas ménagé ses efforts pour venir à bout de certains secrets qui avaient réussi à demeurer irrésolus au fil des siècles.

Il m’avait fait découvrir l’extraordinaire grotte de Lombrives dont l’entrée dominait majestueusement la petite ville d’Ussat-les-Bains. Celle-ci n’était pas parée de peintures préhistoriques, mais elle comptait d’autres trésors. Mon guide y avait découvert de nombreux ossements humains. Il possédait aussi la preuve que, jadis, des messes noires y avaient été célébrées et il avait recensé les multiples inscriptions laissées par les pauvres fugitifs qui s’y étaient cachés au fil des siècles. Il faut pénétrer dans ce couloir de roches et être confronté à la cascade pétrifiée pour comprendre le miracle de la nature qui fascine les hommes depuis les temps les plus primitifs. Il me fit aussi découvrir la salle aux mille colonnes, l’impressionnante cathédrale minérale et me confia avoir trouvé de nombreux objets dans la grotte qu’il avait ramenés dans son musée personnel.

Selon mes propres conclusions, il ne faisait aucun doute que la grotte de Lombrives avait accueilli jadis les Cathares en fuite qui tentaient d’échapper à leurs bourreaux. Ces hommes épris de paix et de justice abhorraient la violence et ne possédaient que l’ardeur de leur foi pour lutter contre leurs ennemis. Gadal aimait partager sa passion, mais il lui arrivait aussi de savoir rester secret quand il jugeait que cela était nécessaire. Il ne me donna que peu de renseignements concernant les objets qu’il avait découverts dans la grotte et il éclata de rire lorsque je prononçai le mot fatidique de « trésor ». Il me répondit qu’un trésor existait bel et bien, mais que tout dépendait de la signification que nous voulions accorder au mot trésor.

Le jour où nous eûmes cette discussion, en sortant de la grotte, j’étais à la fois excité et frustré. J’avais la nette impression que, malgré notre complicité, il ne me disait pas tout ce qu’il savait. Je ne pourrais dès lors compter que sur moi-même pour révéler la vérité profonde de l’héritage cathare. Alors que nous redescendions vers la route, mon regard fut attiré par une vaste bâtisse blanche donnant sur la nationale. Je lui demandai qui y habitait. Il me répondit qu’il s’agissait d’un hôtel, mais qu’il était pour l’instant inoccupé. J’avais remarqué que l’accès aux grottes était garanti de manière discrète depuis le jardin situé à l’arrière de l’hôtel. Je décidai alors de me renseigner sur cette affaire.

Ton dévoué,

Otto Rahn