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Cela faisait déjà quatre jours que Le Bihan avait investi les lieux. En retrouvant sa chambre de l’hôtel de la Source ce soir-là, il éprouva l’étrange sensation d’être chez lui. Comme d’habitude, il jeta un coup d’oeil sur la gravure de la jeune femme en costume folklorique portant son seau d’eau et sa seule présence le rassura comme on est content de retrouver une compagne après une journée de travail. Son regard avait, lui aussi, développé des automatismes qui lui étaient propres. Après la jeune porteuse d’eau, il se porta sur la table de bois et sur son exemplaire de Croisade contre le Graal, le premier livre d’Otto Rahn qu’il avait bien laissé en évidence. Quelque chose avait changé... Plus précisément, quelque chose avait été ajouté. Un morceau de papier dépassait du volume. Le Bihan sentit son coeur commencer à battre plus fort. Il ouvrit le livre et en sortit la feuille. Il lut les quelques mots rédigés dans une écriture régulière selon les règles de la calligraphie :

Comment pourrai-je jamais vous remercier d’avoir répondu à mon appel à l’aide ? Soyez conscient que vous êtes désormais, vous aussi, en danger. Notre combat pour le Bien est légitime et il est désormais le vôtre.

Philippa

Le Bihan tâta la lettre comme s’il voulait mieux s’imprégner de la mystérieuse Philippa. Ce n’est qu’après quelques minutes et surtout après avoir relu une bonne dizaine de fois les trois courtes phrases qu’il se demanda comment cette lettre avait pu arriver dans sa chambre. Qui pouvait y avoir accès ? Le personnel de l’hôtel bien sûr, mais aussi des clients ou d’autres visiteurs puisqu’il avait décidé de la laisser ouverte. Les pensées s’agitaient et s’entrechoquaient dans l’esprit de Le Bihan qui se posait décidément davantage de questions qu’il ne trouvait de réponses. Il songea qu’il lui restait deux jours à passer à Ussat-les-Bains et qu’il n’avait encore rien découvert de bien tangible. Il éprouvait pourtant la sensation confuse de commencer à rassembler les pièces d’un puzzle complexe : une croix gammée tracée sur un mur, un accident trop précis pour être fortuit, une lettre venue du passé et puis surtout ce mur de silence patiemment élevé par toute une population. Il avait quarante-huit heures pour tirer tout cela au clair. Autant dire que le défi lui paraissait complètement impossible ! Il chassa ces sombres pensées de son esprit et se coucha sur son lit, la lettre de Philippa en main.

« Notre combat pour le Bien est légitime. »

Un mot le frappait particulièrement, au point de le prononcer à haute voix : « Bien ». Un mot apparemment simple, mais doté d’une majuscule et qui ne lui était pas étranger. Le jeune homme était convaincu d’avoir lu récemment une note à ce propos. Tout d’un coup, le souvenir d’une couverture lui revint. D’un bond, il se leva et prit le livre consacré à la religion cathare qu’il avait emprunté au collège. Quand il releva le nombre d’annotations au crayon qu’il y avait déjà faites dans les marges, il se dit qu’il devrait bientôt affronter les foudres du proviseur qui ne supportait pas, selon ses propres mots, que l’on porte atteinte au bien commun. Le Bihan souriait en se disant qu’il était encore question de « bien » lorsqu’il trouva la référence qu’il cherchait. Pour les Cathares, le mot occitan lo ben désignait l’Église cathare. Le Fils Majeur, coadjuteur de l’évêque cathare Jean de Lugio, avait précisément décrit cette notion dans son Livre des deux Principes. L’historien était satisfait. Voilà une nouvelle pièce du puzzle qui se révélait intéressante. Le Bihan se dit qu’il avait intérêt à examiner chaque mot que Philippa lui adresserait comme un archéologue brosse le moindre fragment d’un relief de marbre avec un fin pinceau pour en dévoiler tous les détails. Car il n’en doutait pas une seconde, Philippa lui transmettrait bientôt d’autres messages.