3

Berlin, 1938

Cher Jacques,

Depuis la parution de mes deux livres qui ont considérablement éclairé nos contemporains sur des questions trop longuement enfouies, les circonstances ont beaucoup évolué. Ceux qui avaient intérêt à taire la vérité au cours des siècles avaient un instant relâché leur garde, mais ils sont à nouveau en mesure de me museler. Les ennemis ont changé de nom, mais leur but reste le même.

Aujourd’hui, il ne m’est plus possible de trouver un éditeur en Allemagne. C’est la raison pour laquelle je m’adresse à toi. Depuis notre première rencontre, j’ai toujours pu compter sur ton amitié discrète ainsi que sur ton aide précieuse.

Je ne sais pas de quoi l’avenir sera fait, mais je tiens à ce que mes découvertes soient connues de tous. C’est ce qui m’a donné l’idée d’écrire mon nouveau livre par voie épistolaire. J’y consignerai à la fois mes dernières découvertes, mais aussi le long sentier, parsemé de pièges et d’embûches, qui m’a mené jusqu’à la lumière.

Je me remémore souvent ce que me disait ma mère. « Il ne faut pas buter contre un problème, il faut seulement chercher sa solution. » Ma mère était une femme de caractère perdue dans un monde d’hommes. Des leçons de bravoure et de courage, elle n’avait eu besoin d’en recevoir de personne. Personnellement, j’ai toujours beaucoup douté de ma bravoure et encore plus des choix que j’ai faits. J’ai également regretté certains de mes actes, surtout ceux qui m’ont éloigné des exigences scientifiques qui ont pourtant toujours été les miennes.

Pour une raison élémentaire de sécurité, j’adresserai toutes les lettres à cette adresse de poste restante. Le courrier vers la France fait l’objet d’une surveillance particulière. Je t’en prie, collecte les lettres régulièrement et conserve-les dans un endroit sûr. Crois-moi, je n’exagère pas le danger. Plus je me rapproche de la vérité, plus je sens tout ce que je risque. Je t’enverrai mes lettres à intervalles réguliers. Si tu devais être sans nouvelles de moi pendant plus d’une semaine, tu seras en droit de t’inquiéter, à moins que la poste ne subisse de sérieux retards. Je compte sur toi pour t’acquitter de la lourde mission que je te confie. Ne m’en veux pas, mais tu es la seule personne en qui je puisse encore avoir confiance.

Ton dévoué,

Otto Rahn