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Mireille avait passé la nuit à l’hôtel des Albigeois. Après ce qu’elle avait bu, elle n’était de toute façon pas en état de prendre la route pour retourner à Ussat. Contrairement à ce que Le Bihan avait espéré, elle n’avait pas dormi avec lui. L’historien médita un long moment sur son erreur d’appréciation avant de trouver le sommeil. Le matin, alors qu’il descendait dans la salle de restaurant pour prendre le petit déjeuner, Chenal lui apprit que Mireille avait déjà déserté les lieux. L’historien fit semblant de ne pas s’en préoccuper, mais il ne devait pas être crédible dans le rôle de l’homme éconduit, mais indifférent. En tout cas, dès qu’il le vit, le patron jugea utile de l’informer qu’elle avait pris le bus de sept heures trente pour arriver à l’heure au travail à Ussat. Le Bihan se contenta d’opiner d’un air distrait en commençant à étaler la confiture de fraises sur son morceau de pain.

Une heure plus tard, la 2CV arrivait déjà en vue d’Ussat. L’image d’Otto Rahn ne l’avait pas quitté durant tout le trajet. Quels secrets pouvait bien cacher un homme qui avait aussi bien réussi à dissimuler à l’aide d’un écran de fumée les véritables raisons de sa présence dans la région ? Le Bihan était convaincu de l’importance cruciale de la localisation de l’hôtel des Marronniers. La grotte de Lombrives devait renfermer une clé de l’énigme et, cette fois, il était bien déterminé à retourner la visiter seul. Il décida de ne pas rentrer dans le village et préféra garer sa voiture de manière discrète, en contrebas de la route qui longeait les falaises de pierre. À cette heure, il n’y avait de toute façon pas grand monde dans le coin et il parvint sans encombre jusque dans l’entrée de la grotte.

Il sortit de sa poche le petit papier qui avait été glissé sous son essuie-glace. Il l’avait déjà lu, mais il recommença encore une fois pour s’assurer qu’il n’avait pas rêvé. « Lombrives. Galerie de la Carène. Philippa. » Le jeu de piste continuait et Le Bihan ne trouvait aucune réponse satisfaisante à une nouvelle question. Qui avait déposé ce message sur le pare-brise ? Et surtout quand cela avait-il été fait ? Hier soir, pendant la poursuite dans les bois ? Cette nuit, quand la voiture était devant l’hôtel ? Ce matin, quand Mireille était partie prendre son bus ? Il réfléchit un instant et se dit que cette dernière éventualité lui paraissait la plus probable. Et si cette, étrange Mireille jouait le rôle de Philippa. Mais pourquoi agirait-elle de la sorte ? Et à quoi rimaient tous ces indices alors qu’il suffisait de lui parler directement ?

Le Bihan pénétra dans la grotte. La galerie devait son nom à sa forme de carène de bateau inversée. Parmi les milliers d’inscriptions qui ornaient ses parois, aucune ne remontait à la préhistoire. Selon la version officielle, la plus ancienne remontait à l’époque d’Henri de Navarre et depuis, la tradition des graffitis ne s’était pas démentie. Mais Rahn était convaincu que, trois siècles plus tôt, les Cathares avaient, eux aussi, laissé leur trace dans cette cathédrale minérale. Pourquoi Philippa (à moins que cela ne soit Mireille) lui avait-elle donné rendez-vous dans cet endroit ? Par où devait-il commencer à chercher ? Ne s’agissait-il pas d’un nouveau guet-apens à l’endroit même où il avait failli perdre la vie quelques jours plus tôt ? Tandis que ces pensées lui traversaient l’esprit, son regard fut attiré par un empilement de pierres qui formait un petit monticule avec un bloc plus carré qui surplombait le tout. Le Bihan se dit que ce modèle réduit évoquait irrésistiblement le pog de Montségur surmonté de sa forteresse. Il entreprit d’enlever les pierres les unes après les autres. En démontant le petit édifice, il s’aperçut que le coeur était creux, comme si on avait voulu y cacher quelque chose. Il dirigea le faisceau de sa torche et remarqua une lueur. Il plongea sa main et en retira un petit objet de bronze. Il s’agissait d’une petite colombe attachée à un ruban de cuir. La colombe représentait un des rares symboles qui pouvait être assimilé aux Cathares. Le Bihan l’observa avec attention. Depuis combien de temps pouvait-elle se trouver là ? Et si Philippa (ou Mireille) l’avait cachée sous ces pierres, quel but poursuivait-elle ?

Le Bihan se releva et inclina un bref instant sa torche vers le sol. Ce fut à ce moment-là qu’un coup violent dans le dos le projeta sur le sol. Profitant de l’effet de surprise, l’agresseur lui arracha la colombe, mais l’historien n’était pas prêt à se laisser faire. Il se releva d’un bond et allongea un violent coup de poing dans le ventre du voleur. L’homme était robuste et il ne tomba pas pour autant. Il commença à courir vers l’entrée de la grotte. Le Bihan le prit en chasse et attrapa une manche de sa chemise. L’homme tenta de se dégager et l’historien fut tellement stupéfait par le tatouage qu’il venait de découvrir qu’il en oublia de se défendre. Une fleur de lis sur l’avant-bras. L’homme lui décocha alors un nouveau coup de poing qui le fit tituber. Une fois le bref instant de surprise passé, Le Bihan se releva et se saisit d’un bloc de pierre qu’il jeta à la tête de l’agresseur. Le geste était sûr et l’homme s’effondra sur le sol alors qu’il était sur le point de réussir à quitter la grotte. Le Bihan courut vers la silhouette assommée et commença par lui reprendre la colombe avant de tourner son visage qui se trouvait face contre le sol. N’en croyant pas ses yeux, il s’exclama :

— Papa !