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En cette fin de journée, la fourgonnette roulait à belle allure sur la petite route. Elle avait déjà dépassé Niaux, Capoulet, Cabre et n’était plus à présent très éloignée du célèbre site préhistorique de Vicdessos. Dans la cabine de la Renault Juva 4, les deux hommes ne s’étaient pas adressé la parole depuis leur départ. Ce fut le chauffeur qui rompit le silence.

— Il s’en est fallu de peu cette fois-ci !

— Pas du tout, s’exclama l’autre qui continuait à lire son journal. Nous contrôlons parfaitement la situation.

— Je veux seulement dire que si nous étions arrivés quelques minutes plus tard, il aurait eu le temps de lui parler.

— Et alors ? poursuivit l’autre en pliant sa gazette. Au lieu de tirer une flèche, j’en aurais tiré deux et l’affaire aurait été réglée.

Le chauffeur regretta d’avoir entamé la conversation. Il se dit qu’il valait mieux flatter son compère qui n’admettait jamais la moindre contestation.

— En tout cas, bravo pour ta précision. Comme toujours, tu t’es révélé un redoutable tireur !

— Oui, maugréa-t-il. Tant qu’il nous obligera à utiliser de telles armes, je serai obligé de continuer à jouer les Robin des Bois.

— Tu sais bien que cela fait partie des règles.

— Ouais.

La fourgonnette suivait chaque lacet que faisait la route à travers la montagne. Quand le chemin redevint plus rectiligne, le chauffeur jeta un coup d’oeil sur son compère.

— Tu as l’air préoccupé. Je me trompe ?

— Je ne comprends pas pourquoi il tient absolument à ce que nous le laissions en vie.

— Il a ses raisons. Il veut lui donner le sentiment d’agir de son plein gré alors qu’il ne fera en définitive que suivre le plan que nous avons composé pour lui.

— Eh bien, moi je dis que c’est un plan compliqué qui finira par nous amener des ennuis. Crois-moi, rien ne vaut un bon coup de fusil pour se débarrasser des parasites.

— Je préfère ne rien avoir entendu.

— Tu as peur ?

— Non, mais je pense que tu devrais arrêter de le provoquer. Il est notre chef et si nous avons réussi à survivre jusqu’à présent, c’est parce que nous respectons la hiérarchie. Il ne tolérera pas que tu braves son autorité.

— Ne crains rien pour moi, ce qui nous lie est plus fort que la fraternité. Rien ne pourra jamais entamer ce lien. Attention, on va arriver !

Après avoir dépassé le lieu-dit de Suc, la silhouette massive de la Juva 4 obliqua brusquement sur la droite et s’engagea sur une piste en terre qui mit les amortisseurs à rude épreuve.

— Voilà, dit le compère. Arrête-toi ici.

Le véhicule s’immobilisa et les deux hommes en sortirent. Ils jetèrent un coup d’oeil autour d’eux pour vérifier que personne ne rôdait dans les parages. Une fois assurés de ne pas être observés, ils allèrent ouvrir la porte de la fourgonnette. À l’intérieur se trouvait un gros sac de jute.

— Tu l’as bien lesté ?

— J’y ai mis trente kilos de caillasse, répondit le chauffeur.

— Excellent ! Portons-le.

— Je me demande quelle tête a fait le Normand quand il est revenu et que le corps avait disparu.

— Si cela ne tenait qu’à moi, je t’assure qu’il serait dans ce sac avec l’autre traître !

En portant leur lourde charge, les deux hommes marchèrent environ deux cents mètres sur un sentier qui devenait de plus en plus rocailleux. Ils manquèrent de trébucher, mais ils réussirent à accéder à une grande plaque de bois qui obturait un puits.

— Tu es sûr qu’il est abandonné ? demanda le chauffeur.

— À l’exception de quelques chiens errants, personne ne vient jamais par ici. Notre cher frère jouira d’un repos éternel bien mérité.

Ils posèrent le sac de jute sur le sol et puis entreprirent de faire glisser le couvercle. L’opération se révéla plus ardue que prévu tant le bois était gonflé par l’humidité et rendu glissant par la mousse qui le recouvrait. Mais à force d’efforts, ils finirent par y parvenir. Le compère sortit sa lampe torche et sonda le fond du puits.

— À vue de nez, cela fait plus ou moins vingt mètres. Allez, qu’on en finisse !

Ils soulevèrent le sac contenant le corps et les pierres et le poussèrent sur la margelle du puits. Un dernier effort et ils le précipitèrent dans le grand trou noir. La chute ne dura que quelques secondes et elle se conclut par un bruit sourd semblable à celui d’un gros sac de pommes de terre que l’on jette à terre. En tombant au fond du puits, les pierres contenues dans le sac broyèrent le corps.

La nuit tombait sur la montagne tandis qu’à quelques mètres de là le moteur de la fourgonnette se mettait en marche.