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À quelle raison devait-il imputer ce succès ? Au lapin aux olives mijoté par Chenal ? À ce petit Corbières qu’il n’avait pas eu la volonté de refuser malgré le travail qui l’attendait ? À cette longue nuit partagée entre la contemplation des étoiles et l’examen du document de Betty ? Toujours est-il qu’à quatre heures cinquante-sept minutes du matin très précises, Le Bihan fut convaincu qu’il venait de percer le mystère contre lequel il se cassait les dents depuis plusieurs jours. Pour être précis, ce fut le dessin du damier associé aux armes de la ville de León qui lui ouvrit la voie de la résolution du problème. Et si cette grille n’était pas le damier auquel il songeait ? Il pouvait tout aussi bien s’agir d’un gril ! L’historien fit alors appel à ses souvenirs de catéchisme ainsi qu’à son cours d’iconographie chrétienne à la faculté. Le gril désignait le martyre de Saint-Laurent et ce saint renommé pour sa générosité possédait une église importante dans la capitale de la province de León. Or, le gril et le lion étaient justement associés sur l’écu. Son raisonnement se tenait plutôt bien, mais il restait à voir si c’était le cas pour les autres dessins. Il entreprit d’identifier les trois autres symboles et de les associer à une église des trois villes correspondantes. L’épée était liée au martyre de Sainte-Lucie, la croix renversée renvoyait à la crucifixion de Saint-Pierre tandis que la barque à la coque quadrillée lui donna plus de fil à retordre. Elle faisait référence au martyre de Saint-Jacques qui fut décapité et dont le corps fut placé dans une barque de pierre sans gouvernail et poussée par un ange. L’esquif miraculeux traversa la Méditerranée et accosta sur les rivages du Finistère.

Le Bihan avait non seulement confirmé les blasons des quatre villes découvertes par Otto Rahn, mais il avait aussi trouvé les lieux dans lesquels il lui faudrait chercher. Très content de lui, il résuma ses recherches en écrivant quatre lignes, en apparence courtes et simples, mais qui lui ouvraient un nouvel horizon :

— Italie/Crémone/épée/Sainte-Lucie

— Belgique/Bruges/barque de pierre/Saint-Jacques

— Allemagne/Cologne/croix renversée/Saint-Pierre

— Espagne/León/gril/Saint-Laurent

Le Bihan était allé au bureau de poste le matin. Son fidèle ami Joyeux avait tenu parole et le mandat était bien arrivé. Il possédait assez d’argent pour entamer les voyages qu’il avait projetés. Malgré l’heure tardive ou matinale – c’est selon –, Le Bihan n’avait pas encore sommeil. Il se dit qu’il ne lui restait plus qu’à faire sa valise. Il se baissait pour la ramasser quand un carreau de la vitre se brisa. Le Bihan sursauta et crut d’abord au tir d’une arme à feu. Il se précipita à la fenêtre et ne vit rien d’anormal devant l’hôtel. Il chercha alors le projectile qui avait pu briser la fenêtre de la sorte. Il trouva un gros caillou enveloppé d’une feuille de papier qui avait roulé sous le lit. Le Bihan le déplia et découvrit un message rédigé d’une écriture régulière :

« Vous n’êtes pas mort.
Karl von Graf non plus.
Sous le donjon de Montségur, il prépare le retour des Cathares.
Surtout, ne parlez de ce message à personne. »

Karl von Graf ? Ce nom ne lui était pas inconnu. Ne s’agissait-il pas de cet officier de la SS que Léon affirmait avoir tué dans un attentat ? Le Bihan relut ces lignes. Elles devaient être écrites par quelqu’un qui avait été au courant de l’épisode de l’église de Mirepoix. Il pensa ensuite au donjon de Montségur. La tentation était grande d’y aller dès la première heure du jour, mais il avait réservé son train pour demain. Il décida de ne pas tenir compte de ce message tout de suite et même de ne pas en parler à Chenal. Pour la fenêtre, il n’aurait qu’à inventer une maladresse. C’était d’autant plus plausible qu’elle s’ouvrait de l’intérieur et que les débris de verre se trouvaient dans sa chambre.