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Le doigt tournait la page de la petite bible reliée de cuir noir quand le Parfait entendit le grincement coutumier de la porte de sa cellule. Il ne devait pas lever la tête pour deviner qui venait lui rendre visite à cette heure tardive où il appréciait de se retrouver seul avec ses livres. Souvent, il puisait ce qu’il appelait son inspiration vitale dans la lecture du Nouveau Testament. Il rejetait en revanche résolument la Genèse et son fatras d’histoires liées à la création et aux histoires de péché originel, d’Ève et d’Adam. Il déniait à ces pages toute légitimité et n’y voyait que le récit de la mauvaise création. Mais l’heure n’était pas à l’examen des questions théologiques.

— Bon Homme, que me vaut le plaisir de ta visite aussi tardive ?

— Pardonne-moi, Parfait, répondit-il. Je sais que tu n’apprécies pas d’être dérangé à cette heure, mais ce que j’ai à te dire revêt la plus haute importance.

— Alors, vas-y, parle.

— Il s’en est sorti, répondit le Bon Homme en sachant que cette courte phrase n’exigeait aucune explication supplémentaire.

Le lecteur ferma sa bible et joignit ses mains en signe de réflexion. Il parut peser chacun de ses mots avant de répondre.

— C’est bien ce que nous souhaitions, non ? C’est typiquement le genre d’homme qui voit dans un tel accident une bonne raison de s’accrocher.

— Rien n’est plus sûr, Parfait. Il est resté à Ussat-les-Bains.

— Nous n’avons donc fait qu’attiser sa curiosité.

— Je le pense, Parfait. Mais je crains aussi que nous ne jouions un jeu dangereux.

Le lecteur se leva et vint poser une main rassurante sur l’épaule de son visiteur.

— Il ne sert à rien de craindre, Bon Homme. Il faut croire. Notre cause est juste et nos succès le prouvent. Rien ne sert de chevaucher trop vite quand on ne doute pas de connaître sa destination. Aie confiance, nous avons déjà traversé suffisamment d’épreuves pour ne pas faiblir à présent.

— Mais, Parfait, s’il découvre ce que nous cherchons ?

— S’il réussit ? répondit-il. Alors, il nous permettra de découvrir ce que nous cherchons jusqu’ici en vain. Je le répète, aie confiance ! Et à présent, laisse-moi seul.

Le visiteur obéit et se retira non sans avoir salué respectueusement son supérieur. Il ferma doucement la porte, laissant le lecteur rouvrir sa bible. Une fois le silence revenu dans la cellule, le Parfait dut patienter de longues minutes avant de trouver la concentration nécessaire et ne plus songer au tour inattendu que prenaient les événements.