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Berlin, 1938

Cher Jacques,

Dans les semaines qui suivirent, l’appui de mon cher ami Richard se révéla plus que précieux. J’étais à la fois tributaire du bon vouloir de mes supérieurs et condamné à ne pas pouvoir quitter les frontières du pays. Or, grâce aux dernières informations que j’avais obtenues d’Ussat-les-Bains, je savais que l’objet de ma quête nécessitait d’entreprendre plusieurs voyages à l’étranger. Je décidai donc de mettre totalement mon ami dans la confidence même si j’étais conscient des risques que j’encourrais.

Il faut me comprendre ; jamais encore il ne m’avait été donné de rencontrer un être comme Richard. J’éprouvais la troublante sensation d’être confronté à un homme qui pensait en tout point comme moi jusqu’à pouvoir deviner l’idée qui me traversait l’esprit. Je pensais sincèrement que ce genre d’opportunité n’apparaissait qu’une seule fois dans une vie et qu’il fallait absolument la saisir pour ne pas courir le risque de ne plus jamais y être confronté. Je lui confiai donc l’objet de la première étape de mon périple.

Heureusement pour moi, il s’agissait d’un voyage en Allemagne. J’étais assuré de pouvoir me rendre à Cologne sans encombre malgré les soupçons que nourrissaient envers moi mes supérieurs. Parvenu à ce moment de mon récit, je pense qu’il est temps de te révéler, cher Jacques, l’autre aspect de ma grande découverte. Contrairement à ce que les spécialistes de la question ont toujours affirmé, le catharisme ne s’est pas limité à une aire géographique bien déterminée. Au contraire, l’hérésie a essaimé bien au-delà des frontières du royaume de France.

En Allemagne, Cologne en fut le foyer principal. Dès 1153, des Bons Hommes y prêchèrent la bonne parole. Par la suite, leur croyance se répandit vers d’autres villes comme Bonn et Mayence. Rapidement, le clergé officiel se résolut à lutter contre les déviances de la « vraie Foi ». Hildegard von Bingen prononça même un vibrant discours afin de lutter contre l’hérésie qui dévorait les coeurs purs. Un siècle après la propagation de l’hérésie en Allemagne, des bûchers furent allumés. En Allemagne, comme dans le Languedoc, les hérétiques qui refusaient d’abjurer étaient condamnés à périr par les flammes. Mais ce que beaucoup ignoraient, c’était que les hérétiques bénéficiaient de nombreux appuis dans la population. Et il leur fallait compter sur eux pour mettre leur incroyable projet à exécution !

Tu comprends mieux à présent l’obligation que j’avais d’entreprendre différents voyages à travers l’Europe. Tant que le catharisme était considéré comme un phénomène local, il paraissait simple à extirper comme on le ferait d’une mauvaise herbe dans un massif de fleurs. Mais à partir du moment où je faisais la preuve de son extension géographique en Europe, il redevenait un dangereux ennemi de l’Église officielle. J’avais compris que la menace était toujours bien présente, plusieurs siècles après les persécutions. Les Cathares avaient confié aux générations futures une arme pour reprendre le combat.

Un matin de décembre, je me rendis de bonne heure à la gare afin de prendre le train en direction de Cologne. J’aurais aimé que mon ami Richard puisse m’accompagner, mais son travail à l’Ahnenerbe l’empêchait de quitter Berlin en cette saison. Je lui promis de le tenir au courant de mes recherches et surtout de l’informer de ma découverte. J’étais convaincu que, cette fois, je touchais enfin au but. Alors que je montais à bord de la voiture, deux silhouettes qui marchaient à vive allure sur le quai attirèrent mon attention. Deux hommes en uniforme de la SS arrivèrent bientôt à ma hauteur. Je fis semblant de ne pas les remarquer et j’allais m’engager dans le couloir de la voiture quand l’un d’entre eux posa sa main sur mon épaule... Ils me prièrent de redescendre et de les suivre. J’eus beau leur dire que je faisais partie de la SS et que je partais en mission pour l’Ahnenerbe, ils ne voulurent rien entendre. Je fus d’abord conduit dans une cellule d’un bâtiment de la SS. Nul ne me donna la moindre explication. Deux jours plus tard, je fus envoyé à Buchenwald. Je me retrouvai affecté à la surveillance du Lager. L’enfer commençait.

Ton dévoué,

Otto Rahn