Épilogue

« Ils nous chargèrent de chaînes et de carcans de fer.

Et ils nous emprisonnèrent dans un puits d’une profondeur infinie. »

(SOHRAWARDI,

L’Exil occidental.)

Lieu indéterminé, date indéterminée

Emmanuel s’éveilla, couvert de contusions, le dos et les épaules meurtris. Il ne sentait plus ses membres, et son torse n’était plus qu’une immense douleur. Il tenta de pousser un cri, mais ne put rien articuler. Il voulut bouger la tête, mais son cou ne lui obéissait pas. Cherchant à saisir son épée, il ne put remuer le bras. « En ai-je seulement encore un ? »

Il regarda autour de lui.

« Où suis-je ? »

C’est alors qu’il entendit un bruit de dents s’entrechoquant.

Ouvrant de grands yeux étonnés, il vit l’ancien évêque d’Acre, posé sur une étagère juste au-dessus de lui.

Rufinus claquait des dents. De terreur ou de froid ? En tout cas, un fin filet de buée haché par ses claquements de dents s’échappait de sa bouche.

— Tu te réveilles enfiiin, meugla Rufinus.

Emmanuel essaya de se libérer de l’étau qui le maintenait prisonnier, tenta de nouveau de bouger les bras – en vain. Finalement, au prix d’un effort surhumain, il parvint à articuler d’une voix travestie par les drogues :

— Où sommes-nouuus ? Où suuis-je ?

— Chez les Assaaassiiins, répondit Rufinus.

— Mon Dieuuu ! Diiites-moi que je rêêêve ! Cassiooopée !

La bouche pâteuse, la langue engourdie, il s’exprimait comme Rufinus.

Un sentiment de panique l’envahit.

Il s’efforça de retrouver son calme, s’astreignant à respirer lentement. Puis, ses yeux s’étant enfin accoutumés à l’obscurité, il distingua deux cages métalliques suspendues au plafond, où croupissaient des squelettes. Sur une table à côté de lui, il aperçut une scie. Les sinistres taches rougeâtres qui avaient séché sur sa lame ne laissaient aucun doute quant à l’usage auquel elle était destinée…

— Mais je n’ai jaaamais réclamé ton cooorps ! mugit Rufinus. Je croyaaais, je croyaaais…

— Tu croyais mal, lui répondit une voix accompagnée d’un tintement de grelots.

Emmanuel tourna les yeux vers la droite, et vit Billis s’approcher en claudiquant, un escabeau à la main. L’ayant installé au pied de l’étagère, le nain l’escalada jusqu’à se retrouver nez à nez avec l’ancien évêque d’Acre.

— Avale ! ordonna-t-il en lui fourrant dans la bouche une sorte de petit champignon blanc.

— Qu’eeest-ce que c’eeest ? glapit Rufinus.

— Ah ! Ah ! Ta récompense ! ricana le nain.

Puis il redescendit de son escabeau et s’en alla en boitillant d’un air satisfait. Il y eut un claquement de porte suivi d’un bruit de verrou, conclu par un affreux silence que la voix de Rufinus brisa.

— Mais qu’eeest-ce que c’eeest ? meuglait-il en s’efforçant de recracher le plus de champignon possible.

La vision de Rufinus se modifia brusquement. De grandes taches lumineuses se mirent à danser devant ses yeux, et tout prit un aspect scintillant. Il avait l’impression de voir un dragon s’assembler devant lui. Un grand dragon de lumière, dont les ailes formaient deux soleils éclatants.

— Dracooo fictiooo, mugit-il en pleurant. Dracooo fictiooo.