42.

« Il soigne son honneur ? Moi le mien ! Il cherche sa gloire ? Moi la mienne !

Il veut à tout prix se battre ? Eh bien, moi, cent fois plus ! »

(CHRÉTIEN DE TROYES,

Lancelot ou le Chevalier à la Charrette.)

« Saleté de tête coupée », se répéta Simon pour la millième fois. Sans elle, sans ses paroles imbéciles, il serait peut-être encore en train de regarder Saladin entrer dans le bimaristan, et tout serait pour le mieux. Mais, maintenant, il devait fuir. À l’heure qu’il était, on avait probablement découvert Rufinus. Et la nouvelle de sa mort devait être en train de se propager dans la ville… Il n’y avait pas un instant à perdre.

Mais où aller ? « Là où les Francs résistent encore. À Tyr. À Tripoli ! »

Caché derrière un pilier, dans un couloir réservé au personnel soignant, Simon guettait le passage d’un individu isolé – pour l’assommer ou le tuer, et lui voler ses vêtements. Afin de tromper son attente, il s’amusait à imaginer ce qu’il ferait à Emmanuel s’ils venaient à se retrouver en tête à tête. « Et d’abord, comment se fait-il qu’il ne soit pas mort ? Car si je me rappelle bien, c’est lui que j’ai vu à el-Khef, quand j’étais chez les Templiers blancs et que je travaillais avec les Assassins… »

Simon était en effet le mystérieux Templier blanc qu’Emmanuel avait poursuivi, après l’attaque du convoi des Hospitaliers. D’ailleurs, Simon se souvenait maintenant parfaitement de l’avoir vu tomber dans les eaux de l’al-Assi, où son cheval et lui avaient disparu dans une floraison d’écume. « Il est allé en Enfer, et a passé un pacte avec Satan pour en revenir », se dit Simon.

— En tout cas, s’il cherche la bagarre, il va l’avoir, chuchota-t-il entre ses dents.

C’est alors qu’une porte s’ouvrit.

Un jeune homme, la tête enveloppée d’un turban, s’avança dans le couloir. Seul. « Une proie facile », observa Simon en constatant l’aspect chétif de sa victime. Dès qu’il fut à sa hauteur, Simon lui sauta dessus et lui passa un bras autour du cou. Malheureusement, le jeune homme se défendit avec la vigueur d’un tigre. Et, après s’être libéré de l’étreinte de son agresseur, il le fit basculer par-dessus son épaule et le plaqua à terre, prêt à le frapper entre les yeux.

— Le diable blanc ! s’exclama l’infirmier, reconnaissant celui après qui tous couraient.

Pour toute réponse, Simon chercha à lui balancer un coup de pied – mais l’infirmier l’esquiva.

— Arrête, dit-il. Je peux t’aider ! Sans moi, tu ne sortiras jamais d’ici. Toutes les issues sont gardées, et les mamelouks fouillent tout le monde.

Méfiant, Simon demanda :

— Pourquoi ferais-tu ça ?

— Parce que nous poursuivons un même but.

L’infirmier compta trois battements de cœur avant de s’expliquer, pour que Simon comprenne bien ce qu’il allait lui apprendre :

— Je suis un Assassin.

— Et alors ? Tu n’es pas mon allié pour autant !

De l’autre côté de la porte, un bruit leur fit tourner la tête – et l’infirmier dit sur un ton pressant :

— Veux-tu que nous en débattions ici ? Ou préfères-tu en parler plus tard, dans un endroit sûr ?

— Va pour l’endroit sûr, dit Simon. Mais méfie-toi, si jamais tu m’as tendu un piège…

— Ne crois-tu pas que je t’aurais déjà tué ?

Simon ne fit aucun commentaire, et attrapa la main que l’infirmier lui tendait pour l’aider à se relever.

— Et maintenant ? demanda Simon.

— Suis-moi.