14.
« Bien souvent, on ne peut pas connaître à l’héritier qui fut son père. »
(CHRÉTIEN DE TROYES,
Guillaume d’Angleterre.)
Cassiopée et Simon se firent remettre deux chevaux munis de sacoches de selle, deux arbalètes avec leurs carquois de carreaux, puis demandèrent qu’on leur ouvre les portes de la cité. Ayant franchi le pont-levis dans un tonnerre de sabots, ils abordèrent une vaste étendue de sable où leurs montures trottèrent avec plaisir.
Cassiopée était enchantée à l’idée de revoir son oncle, Saladin. Elle était si contente qu’elle n’entendit pas tout de suite Simon se plaindre. Mais bientôt, comme celui-ci n’arrêtait pas de se tourner en tout sens sur sa selle, elle lui demanda :
— Qu’y a-t-il ?
— Ils m’ont donné une jument !
Elle étouffa un petit rire, trouvant amusant qu’il soit uniquement préoccupé du sexe de sa monture alors qu’ils couraient droit chez l’ennemi.
— Tu devrais te réjouir, au moins tu n’es pas à pied.
— Je n’ai jamais monté que des étalons. Qui sait comment se comportera cette pouliche au moment du combat ?
— Ils auraient pu te donner une mule, ou rien du tout. Songe à leur situation. Ils ont besoin de tous les destriers possibles.
Simon se rembrunit, et baissa le regard.
— Attention, murmura Cassiopée.
Levant les mains pour indiquer qu’ils venaient en paix, Cassiopée expliqua en arabe aux mamelouks qui les menaçaient de leurs lances qu’elle avait un sauf-conduit, marqué du sceau de Saladin lui-même.
— Montre-le-moi, répliqua l’un d’eux.
Lentement, elle abaissa la main droite vers son aumônière, et en sortit le fameux sésame. Tandis que le mamelouk l’examinait, elle lui dit :
— Va dire à ton sultan que sa nièce a hâte de le serrer dans ses bras.
Comme il rechignait à obéir, Rufinus – que Cassiopée avait en partie enfoui dans un sac de selle – lui lança :
— Hâââte-toi, où je te change en moooi !
Les sentinelles détalèrent, et coururent prévenir les mamelouks postés devant la tente de Saladin qu’une jeune fille – prétendument sa nièce – souhaitait saluer le sultan.
— Porte-t-elle un voile ? s’enquit Saladin.
— Non, Excellence, bafouilla l’une des sentinelles en mettant un genou en terre.
— Alors c’est Cassiopée ! Qu’elle vienne, par Allah !
Un verset du Coran plus tard, oncle et nièce tombaient dans les bras l’un de l’autre. La serrant sur son cœur avec effusion, Saladin dit à sa nièce :
— Tu as tenu parole ! Tu es revenue chercher Morgennes.
— Et Taqi, oncle très estimé.
En entendant le nom de son neveu, Saladin ne put s’empêcher d’arborer un étrange sourire, des plus énigmatiques.
— Ces derniers temps, continua Saladin, j’ai beaucoup prié pour lui. Ainsi que pour Morgennes.
Cassiopée se demandait si elle devait lui dire que Morgennes était son père, mais préféra s’abstenir pour l’instant. « Il sera bien temps de le lui apprendre le moment venu », pensa-t-elle en regardant son oncle, qui paraissait fort troublé. Il n’arrêtait pas de se frotter la barbe – signe qu’il avait une importante décision à prendre, ou quelque pénible nouvelle à annoncer.
— Vois-tu, comme il est dit dans la soixante-dix-huitième sourate du Très Saint Coran, ceux qui sont tombés en Enfer « y demeureront des siècles sans goûter ni fraîcheur, ni boisson – à part une eau bouillante et une boisson fétide – Ce sera une rétribution équitable. »
— Raison de plus pour les en sortir au plus vite !
Saladin dodelina de la tête, se caressa la barbe de plus belle et demanda dans un mélange de lingua franca et d’arabe :
— En avons-nous vraiment le droit ? N’est-ce point trop d’orgueil, très chère Cassiopée ?
Il la fixa de ses yeux gris.
— Il s’agit de Morgennes, répliqua-t-elle d’une voix tremblante. Il a sauvé votre fils !
— D’après le Très Saint Coran, poursuivit Saladin, Morgennes devrait se trouver devant l’une des toutes dernières des sept portes des Enfers. Serait-ce la sixième porte – celle de la Fournaise – qu’Allah a destinée aux mécréants ? C’est possible.
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? demanda Simon. La dernière fois, il était question de trois régions et cinq fleuves, et maintenant ce sont sept portes ?
Saladin ne lui adressa pas un regard, et continua comme si personne n’avait parlé.
— Beaucoup de choses sont possibles. Seules pour moi sont exclues les première et dernière portes, réservées aux musulmans et aux hypocrites. Car ce Morgennes n’a été musulman qu’un temps, et n’a certainement jamais été un hypocrite…
— Ça, dit Cassiopée en se sentant soudain bien seule, c’est pour Morgennes. Mais pour Taqi ?
— Ah, Taqi ! dit Saladin avec tendresse tout en regardant son fils du coin de l’œil. Mon cher Taqi… Je crois qu’Allah l’a en sa très sainte garde, alors réjouissons-nous pour lui.
— Que voulez-vous dire ?
— Taqi…, poursuivit Saladin en se peignant la barbe avec les doigts. Sache que ce n’est pas la première fois qu’il meurt, si j’ose m’exprimer ainsi. Déjà, il y a longtemps, bien longtemps…
Et il raconta à Simon, Rufinus et Cassiopée comment – au mois de décembre 1169, pour parler comme les Franjis – Taqi n’était pas revenu de la mission qu’il devait accomplir, avec les troupes d’élite du Yazak, dans le tombeau de saint Georges.
— Il s’agissait d’empêcher le roi Morri (ainsi les Sarrasins appelaient-ils Amaury Ier de Jérusalem) de mettre la main sur l’épée de saint Georges, expliqua Saladin sans remarquer que l’épée que portait Cassiopée était justement Crucifère. À la tête d’une troupe d’élite, Taqi se rendit au tombeau du saint, dans la banlieue de Lydda… Ils y furent massacrés par des soldats venus du royaume des Ombres.
Il prit une gorgée d’eau dans une simple timbale en étain, et regarda vers le lointain, les yeux embrumés. Cependant, il aurait été difficile d’affirmer que c’étaient de pénibles souvenirs. Ses relations avec Amaury puis Baudouin IV de Jérusalem, sa jeunesse, celle de Taqi, les derniers jours de son oncle Chirkouh le Volontaire, la conquête de l’Égypte… au fond, toute cette époque était peut-être ce qu’il avait eu de meilleur. Les Franjis allaient être chassés de Terre sainte. Néanmoins, sans qu’il puisse s’expliquer pourquoi, Saladin les regrettait déjà. « Quel dommage que nous n’ayons pas su tisser de liens d’amitié… »
Il vida sa timbale et reprit son histoire :
— J’étais au Caire, en train de consolider mon pouvoir, lorsque j’entendis des hurlements de douleur. Des cris de femmes, surtout, car toutes les femmes aimaient Taqi. Et puis aussi des cris d’hommes, car beaucoup d’hommes l’estimaient. Sais-tu que c’est à ton cousin que nous devons d’avoir déjoué la tentative de prise de pouvoir fomentée par les hommes de Morri et les coptes, peu après que je fus nommé vizir d’Égypte ?
Cette dernière question n’en était pas vraiment une, aussi Cassiopée ne répondit-elle pas. En outre, elle n’avait aucune envie d’avouer à Saladin qu’elle savait à peu près tout ce qu’il y avait à savoir – côté insurgés – de cette tentative de coup d’État, puisque sa mère y avait participé.
— Je me rappelle… Son corps, dans les bras de Tughril, mon plus fidèle garde du corps. Que j’ai pleuré ! Que j’ai crié ! Et puis, alors que dans ma douleur j’avais malencontreusement laissé passer l’heure de la prière, j’ai entendu battre son cœur… Là, sous mon oreille, dans sa poitrine… Son cœur battait ! Taqi était en vie. Ô mon cher Taqi. Allah – gloire à Lui – n’avait pas permis que tu meures !
Saladin parlait maintenant avec émotion, sans remarquer que son fils l’écoutait avec une pointe de tristesse et, peut-être aussi, de jalousie.
— Je te tenais la main. Rouge du sang de tes ennemis. Je la couvris de baisers, l’embrassai avec effusion, comme si mes lèvres pouvaient te transmettre les forces qui te faisaient défaut pour te relever… En vérité, c’est ce qui arriva. Alors que je lui baisais les mains, Taqi rouvrit les yeux, et m’interrogea : « Où suis-je, mon oncle ? Ai-je échoué ? »
Saladin se resservit une timbale d’eau claire – si fraîche qu’il n’eut pas besoin d’y ajouter une cuillerée de neige de l’Hermon.
— Tout cela pour te dire, ma très chère nièce, que Taqi est plus qu’il ne paraît. Son voyage dans l’au-delà l’a métamorphosé en ange, j’en mettrais ma main au feu. Enfin, non, se reprit Saladin. Pas au feu. C’est trop dangereux maintenant que Sohrawardi m’a trahi et qu’il a invoqué les djinns !
Cassiopée eut un vague sourire, un peu triste, en entendant le nom de ce nécromancien. C’était à lui que Rufinus devait d’avoir survécu à sa décapitation. À lui aussi qu’elle devait la mort de son père, puisque lors du combat qui avait vu Morgennes affronter Renaud de Châtillon pour la possession de la Vraie Croix, Sohrawardi avait invoqué les djinns, ce qui avait eu pour conséquence d’enflammer le puits des Âmes où ils étaient tombés. Puis elle se rappela son voyage au fond du Vésuve, et le fait qu’elle avait cru y voir Taqi… Mais elle décida de ne pas en parler pour l’instant, et préféra demander à Saladin :
— Avez-vous vu Guyane de Saint-Pierre ? Celle que Franjis et mahométans appelaient la « femme qui n’existe pas » ? Votre cousine ?
Saladin eut un sourire, comme si Cassiopée lui avait demandé s’il avait rencontré un fantôme. En vérité, si la mère de Cassiopée avait été affublée d’un tel surnom, c’est parce qu’elle était le fruit de l’union illicite d’Aliénor d’Aquitaine et de Chirkouh le Volontaire. Furieux, Louis VII et Nur al-Din avaient alors passé un accord, stipulant que l’existence de la fillette ne serait jamais reconnue officiellement tant qu’elle n’aurait pas choisi sa religion : musulmane, comme son père ? ou chrétienne, comme sa mère ? En attente de quoi, elle n’était qu’une rumeur, condamnée à séjourner dans une sorte de prison située dans Le Caire des Fatimides. C’est là qu’elle avait rencontré Morgennes, qui l’avait aidée à échapper à ses geôliers alors qu’elle n’avait toujours pas choisi sa foi.
— Je n’ai jamais eu cet honneur, avoua Saladin. Tu la cherches ?
— Oui et non. Pour ne rien vous cacher, c’est elle qui est à ma recherche.
— Si nos chemins se croisent, je lui dirai que je t’ai vue. Veux-tu que je lui transmette un message de ta part ?
— Dites-lui que je cherche Morgennes. Et que je vais à Jérusalem. Qu’elle y interroge Massada, l’ancien marchand de reliques juif. Je crois qu’il s’est établi dans la léproserie, où il s’occupe des malades. Je lui laisserai mes instructions.
— Fort bien.
— Et les Muhalliq ? Font-ils encore partie de vos armées ?
— Non. L’hiver approchant, ils ont préféré regagner leur désert. Sans doute sont-ils quelque part du côté de Damas. C’est bien dommage, car je manque de braves…
Il y eut un bref silence, durant lequel Cassiopée se dit que le moment était venu d’avouer à Saladin le véritable objet de sa visite. Elle toussota derrière son poing fermé pour se donner contenance, puis se lança :
— Excellence, à vrai dire, indépendamment de l’immense plaisir que j’ai à vous revoir, je ne suis pas venue uniquement pour m’entretenir de Taqi. Ni de Morgennes d’ailleurs, même si l’un et l’autre sont la raison de mon retour en Terre sainte.
— Alors, que me vaut l’honneur de ta visite ?
— J’aimerais que vous libériez Guillaume de Montferrat.
— Le vieux marquis ? Le père de Conrad ?
— Lui-même.
Saladin avala une pistache, avant de dire :
— Son fils me cause bien des soucis. Il semble avoir repris les choses en main, et ne veut pas me remettre Tyr.
— Il m’a juré qu’il était prêt à tirer sur son père et à démolir la cité pierre à pierre plutôt que d’accepter votre marché.
— Quelle tristesse !
— Libérez son père, je vous en conjure. C’est un homme de bien, et il vous en saura gré. Conrad n’oublie jamais une offense, ni un bienfait d’ailleurs. Qui sait ? Peut-être aurez-vous besoin de lui, plus tard ?
— Il a jeté mes bannières dans les douves de Tyr !
— Justement. Il n’attend rien de vous. Un geste généreux de votre part aura d’autant plus de poids. Je vous en supplie !
Simon et Rufinus gardaient le silence, mais ne quittaient pas Cassiopée des yeux. Ils se joignaient – par la prière – à ses efforts.
Après avoir réfléchi un long moment, Saladin secoua la tête.
— Non…
Cassiopée ouvrit la bouche, mais il lui intima de se taire et poursuivit :
— Je ne laisserai pas tuer Guillaume de Montferrat, mais je ne lui rendrai pas non plus sa liberté. En tout cas, pas tout de suite…
Tapant dans ses mains, il convoqua un mamelouk et lui ordonna :
— Amène-moi Guillaume de Montferrat.
Une poignée de pistaches plus tard, deux gardes escortaient sous la tente du sultan le vieux marquis de Montferrat, aux pieds et aux poings toujours enchaînés.
— Détachez-le, dit Saladin.
Les gardes libérèrent le prisonnier, qui se massa les mollets et les poignets, sans quitter Cassiopée des yeux.
— Merci, murmura-t-il à l’intention de Saladin. Dois-je comprendre que je suis libre ?
— Libre d’aller à ta guise sous ma tente, rétorqua le sultan. Mais pas d’en sortir. Dès que tu en auras refranchi le seuil, tu retrouveras tes chaînes.
— Alors, avec votre permission, je vais rester un peu… Mais à qui ai-je l’honneur ? demanda-t-il en regardant Cassiopée, Rufinus et Simon.
Saladin présenta Cassiopée comme sa nièce, Rufinus et Simon comme deux amis de celle-ci.
— Nous nous connaissions autrefooois, glapit Rufinus en s’efforçant de réfréner son phrasé lancinant. J’étais évêque d’Acre. Mon père s’appelle Héraclius, c’était le patriarche de Jérusaleeem.
— Ah oui. Je me souviens de vous, dit Guillaume de Montferrat. Vous avez bien euh… changé.
— Hélaaas, dit Rufinus en baissant les yeux.
— Quant à moi, intervint Simon, je suis le nouveau comte de Roquefeuille.
Guillaume de Montferrat s’inclina vers Simon, l’interrogeant :
— L’emblème de votre famille n’est-il pas un ours en pied ?
— De gueules, semé de grains de sel d’argent, à l’ours de sable.
— Alors j’ai connu vos frères. Des garçons valeureux… L’un d’eux était un Templier, si je me rappelle bien ?
— Je l’étais moi aussi, dit Simon.
— Ah. Et vous ne l’êtes plus ?
— Je vous l’ai dit. Je suis le nouveau comte de Roquefeuille. Tous mes frères sont morts, et mon père aussi. Il faut quelqu’un pour s’occuper de nos domaines. J’ai donc quitté les ordres…
Enfin, Guillaume de Montferrat se tourna vers Cassiopée :
— N’était-ce pas vous qui aviez dansé, sous cette tente même, peu après la bataille de Hattin ?
— C’était moi, en effet.
— Sachez que depuis la perte de la Vraie Croix, seule votre danse a réussi à apaiser mes souffrances. Mon cœur n’a pas trouvé de plus joli souvenir auquel se raccrocher pour essayer de ne pas sombrer… Mais puis-je vous demander, puisque vous m’avez l’air d’être aussi franque que musulmane, par quel miracle vous vous êtes retrouvée sous cette tente, à danser pour Saladin ?
— Vous avez raison, j’ai des origines mêlées, dit Cassiopée sans préciser lesquelles. Et si j’ai dansé sous cette tente, c’est parce que j’avais fait un pari…
— Lequel ? s’enquit Saladin.
— J’avais parié avec Taqi que les Francs gagneraient.
— Vous avez perdu, hélas, dit Guillaume de Montferrat.
— Hélas pour vous, corrigea Saladin.
— Pour m’acquitter de mon pari, Taqi m’a demandé de distraire les prisonniers avec une danse.
— Et vous avez accompli un exploit, concéda Guillaume de Montferrat. Car, le temps d’une danse, j’ai oublié la perte de la Vraie Croix…
Sous la tente s’installa un certain malaise, que dissipa Saladin.
— Beau doux seigneur, dit-il à Guillaume, je ne puis rester insensible à votre noblesse et à la hardiesse de Conrad. Vous avez dû être un père exceptionnel pour avoir un tel fils. C’est pourquoi j’ai une offre à vous faire…
Comme Guillaume ne demandait pas laquelle, Saladin poursuivit :
— Je vous propose de fixer vous-même le montant de votre rançon.
— De le fixer moi-même ? Mais Diable, quel chiffre suis-je supposé donner ?
— Que valez-vous ?
— Pour mon fils ? Beaucoup, je suppose.
— Dites un chiffre.
— Je ne voudrais pas abuser…
— Faites-moi plaisir, dit Saladin en levant la main. Je vous fais confiance.
Guillaume de Montferrat ferma les yeux, et se recueillit un instant avant de déclarer :
— Deux cent mille besants d’or.
— Décidément ! s’exclama Simon.
Saladin et Guillaume de Montferrat le regardèrent sans comprendre, puis le sultan déclara :
— Ce me semble être une juste estimation. Fort bien, qu’on informe Conrad du montant de la rançon demandée par son père, dit-il en se tournant vers le cadi Ibn Abi Asroun.
— Merci, mon oncle, dit Cassiopée à Saladin. Qu’Allah vous garde. Vous êtes bien le Clément qu’acclament vos sujets.
— Ce que je fais, je le fais pour toi, déclara le sultan. Et dans le vain et orgueilleux espoir d’inspirer Allah. Car si je suis capable de faire une faveur à l’un de mes pires ennemis, peut-être le Très-Haut fera-t-il de même avec ce chevalier Morgennes, que tu tiens tant à sauver.
— Merci encore, très cher oncle, dit-elle en s’inclinant bien bas.
Elle ressentait néanmoins une pointe d’amertume à l’idée qu’il ne l’aiderait pas plus que cela à sauver son père. Enfin, les pourparlers qu’elle avait entrepris n’avaient pas totalement abouti, ni complètement échoué. Guillaume de Montferrat ne serait pas tué.
Saladin donna l’ordre d’envoyer le vieux Guillaume de Montferrat en prison à Damas, où il attendrait que sa rançon soit payée.
— Je ne pensais pas coûter un jour aussi cher à mon fils, soupira Guillaume en jetant un dernier regard à Cassiopée. En tout cas, ça m’a permis de vous revoir…
— Tout le plaisir était pour moi, dit Cassiopée.
Guillaume de Montferrat s’apprêtait à retrouver ses chaînes, lorsqu’il se tourna brusquement vers Cassiopée pour lui avouer :
— Au fait, si vous cherchiez votre foulard, c’est moi qui vous l’ai pris.
— Mon foulard ? demanda Cassiopée, qui ne voyait pas à quoi le vieux marquis faisait allusion.
— Celui avec lequel vous avez dansé. Je vous l’ai volé, pour avoir un souvenir. Avant de m’en servir pour aider un ami à s’enfuir…
— Qui donc ? demanda Cassiopée, qui se souvenait fort bien d’avoir récupéré ce foulard sur Morgennes, avant de le perdre à nouveau pour le retrouver finalement noué autour du bras de Massada.
— Morgennes. Le connaissez-vous ?
Cassiopée hésita un instant, mais devant l’expression de remords et d’espoir qu’arborait le vieux Guillaume de Montferrat, elle murmura – en espérant que Saladin n’entendrait pas :
— C’était mon père.
— C’était ?
— Il est mort.
Guillaume de Montferrat inclina la tête, signalant qu’il avait compris, puis fit un autre pas vers la sortie de la tente. Où il se retourna encore une fois, pour dire à mi-voix :
— Vous faites mentir Chrétien de Troyes quand il écrivait : « Bien souvent, on ne peut pas connaître à l’héritier qui fut son père. » Je savais bien que vous me rappeliez quelqu’un. Maintenant je sais qui, et je suis heureux de savoir qu’un tel homme continue d’exister. À travers vous…