Les êtres humains font confiance à leur progéniture, et sont fréquemment déçus.

Les machines ont sur eux ces avantages : la fiabilité et l’absence totale de culpabilité. Qui peuvent devenir des désavantages.

Érasme, Réflexions sur les biologiques intelligents

 

Le père de Serena lui recommanda le silence et l’accompagna en toute hâte hors du spatioport avec une escorte de serviteurs attentifs.

—                       Ton meilleur refuge sera la Cité de l’Introspection, auprès de ta mère. Là, tu pourras te reposer et guérir en paix.

—                       Je ne connaîtrai plus jamais la paix, fit-elle, la voix tremblante. Où est Xavier ? Il faut que je...

Troublé, Manion lui tapota doucement l’épaule.

—                       J’ai envoyé un officier d’ordonnance pour le rappeler sur-le-champ. Il était en tournée d’inspection sur les défenses du périmètre. Il revient, et il sera là tôt demain matin.

—                       Je dois le voir immédiatement. Dans son vaisseau... notre fils... il y a tant à...

Son père hocha de nouveau la tête sans paraître comprendre ce à quoi elle faisait allusion. Son « fils » ?...

—                       Ne te tourmente pas. Beaucoup de choses ont changé, mais tu es de retour, saine et sauve. C’est ce qui compte avant tout. Ta mère t’attend. Nous verrons tout le reste demain.

Serena se tourna vers Vorian et Iblis qui s’éloignaient sous la garde des officiers de la Militia. Elle se dit qu’elle aurait dû les accompagner et apprendre leur nouveau monde aux ex-servants d’Omnius.

—                       Ne les traitez pas avec sévérité, père, dit-elle en se souvenant de l’air sceptique de la Sorcière de Rossak. Ils n’ont encore jamais rencontré d’humains libres et ils détiennent l’un et l’autre des informations de première importance.

Manion Butler acquiesça.

—                       Ce n’est qu’un simple debriefing. La Ligue peut effectivement en apprendre beaucoup grâce à eux.

—                       Moi aussi, je peux vous aider. J’ai vu tellement de choses affreuses pendant ma captivité. Je pourrais peut-être revenir ce soir et...

—                       Chhtt... Chaque chose en son temps, Serena. Je suis certain que toutes nos questions vont très vite te lasser, mais tu n’as pas à sauver l’univers dès ce soir. (Il eut un rire tendre.) Tu n’as pas changé, ma fille.

Il leur fallut une heure pour atteindre la retraite religieuse sur les pentes des collines qui dominaient Zimia. Serena avait tellement espéré revoir sa planète que tout, à présent, lui paraissait flou. De multiples détails lui échappaient.

Livia Butler, en grande robe d’abbesse, les attendait à la poterne. Elle inclina la tête devant son époux, des larmes dans les yeux, et précéda Serena dans la Cité de l’Introspection jusqu’à une pièce confortable aux couleurs douces, meublée de fauteuils et de coussins. Là, elle serra sa fille contre elle, longuement, tendrement, comme si elle était à nouveau une enfant.

Serena attendit encore un moment pour se faire à l’idée qu’elle avait retrouvé ses parents, qui l’aimaient toujours. La peur et le chagrin diminuèrent et, d’une voix fragile et trémulante, elle entreprit de leur raconter la naissance et les premiers mois de son enfant, comment Érasme l’avait assassiné... Comment la révolte s’était déclenchée sur Terre.

—                       Je vous en prie, il faut que je voie Xavier. Et Octa ? Où est ma petite sœur ?

Livia eut un regard appuyé à l’adresse de son époux et, un bref instant, les mots se bloquèrent dans sa gorge.

—                       Chère enfant, tu la verras bientôt. Il faut que tu te reposes et reprennes des forces. Tu es de retour. Tu es chez toi. Tu as tout le temps qu’il te faut désormais.

Elle voulut protester, mais elle plongea dans le sommeil.

Quand Xavier atteignit la lisière du système de Salusa avec sa patrouille, il avait déjà appris la nouvelle dans de multiples messages de joie ou de chagrin. Et, chaque fois, sa souffrance avait grandi. Sous l’effet de la confusion, du bonheur et du désespoir mêlés, il pensait qu’il allait exploser.

Seul aux commandes de son kindjal, il avait eu le temps de penser à ce qu’il avait appris. Mais quand il se posa sur le spatioport, ce fut avec un sentiment absolu de solitude. Il était plus de minuit dans la clarté des projecteurs.

Serena ! Comment pouvait-elle encore être en vie ? Il avait lui-même retrouvé son forceur de blocus dans les mers grises de Giedi Prime. Dans ses rêves les plus échevelés, jamais il n’avait pensé qu’elle avait pu survivre. Ni même qu’elle portait leur enfant.

Elle avait été prisonnière et s’était échappée pour lui revenir. Mais son fils  – leur fils  – avait été tué par les monstres mécaniques.

Quand il débarqua de son kindjal, dans l’odeur d’ozone, après avoir franchi la barrière des boucliers, il vit un homme qui l’attendait. Manion Butler, le Vice- roi, son beau-père.

—                       Je suis heureux que... vous ayez pu...

Manion Butler s’avança, incapable d’achever sa phrase, et embrassa son gendre.

—                       Serena est dans la Cité de l’Introspection, avec Livia. Elle... elle ignore encore tout à propos d’Octa et de vous. C’est une situation délicate, à tout point de vue...

Le Vice-roi semblait être vidé de son essence. Il était à l’évidence heureux du retour de sa fille aînée, mais brisé d’avoir appris tout ce qu’elle avait enduré.

—                       Serena voudra savoir la vérité, dit Xavier. Mais très vite, ce sera trop lourd à supporter pour elle. Je vais la voir dès demain matin. Mieux vaut qu’elle dorme cette nuit.

Les deux hommes s’avancèrent dans les zones de lumière où les équipes continuaient de s’activer. Xavier s’arrêta devant le Voyageur du Rêve. Ce long vaisseau profilé noir et argent... il ne l’avait vu qu’une fois. Quand il avait affronté une unité de mise à jour au large de Giedi Prime, pilotée par un traître humain qui avait réussi à lui échapper.

—                       Serena s’est trouvé des alliés sur Terre, dit Manion. Deux servants éduqués par les machines pensantes. Elle les a convaincus de l’accompagner.

Xavier plissa le front.

—                       Vous êtes certain que ce ne sont pas des espions ?

—                       Serena a une totale confiance en eux.

—                       Alors, je suppose que cela suffit.

Ils montèrent à bord du Voyageur du Rêve et Xavier sentit un poids lourd et glacé au fond de son cœur : il savait où Manion l’emmenait. Il remarqua la configuration bizarre des commandes, les courbes inhabituelles, les profils métalliques qui révélaient l’efficience mais aussi une certaine beauté sans âme.

—                       Nous n’avons pas débarqué l’enfant, lui dit Manion. Je leur ai demandé de vous attendre.

—                       Je ne sais pas si je dois vous en être reconnaissant.

Quand le Vice-roi ouvrit le compartiment dans une bouffée de buée glacée, Xavier réussit à surmonter sa crainte et se pencha.

Le petit cadavre était enveloppé dans un tissu. Il l’effleura doucement, tendrement, avec la conscience terrible que ce qui était là-dedans avait été un tout petit garçon exubérant, bruyant, heureux.

Manion dit dans un souffle :

—                       Serena... Serena m’a dit qu’elle lui avait donné mon nom.

Il ne put continuer et Xavier souleva le corps de son fils, qu’il ne connaîtrait jamais. Il lui parut extraordinairement, absurdement léger. Un enfant fait de plumes.

Il n’avait rien à dire mais, en ressortant dans la nuit de Salusa Secundus, en emportant son fils pour son dernier voyage, il éclata en sanglots.


La Guerre Des Machines
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