L’ensemble de l’univers comporte des failles, nous y compris. Dieu Lui-même n‘atteint pas la perfection dans Ses créations. Seule l’humanité manifeste cette arrogance.

Cogitrice Kwyna,

Archives de la Cité de l’Introspection

 

Baignée de sueur, Zufa Cenva s’agitait dans sa chambre privée, tout en haut des falaises blanches qui dominaient la jungle. Et elle criait de douleur, les dents serrées, les yeux vitreux.

Elle était seule. Nul n’aurait osé s’approcher d’une Sorcière de Rossak en plein délire.

Un rideau de métal grinça sous le choc télékinésique. Des étagères tremblèrent sous les ondes des explosions psychiques et des pots et des boîtes roulèrent sur le sol.

Sous l’effet de sa terrible agitation, ses longs cheveux blancs s’étaient emmêlés. Ses mains étaient crispées sur sa couche comme des serres frénétiques. S’il s’était trouvé une femme pour tenter de l’apaiser, Zufa, très certainement, lui aurait lacéré le visage avant de la projeter contre un mur avec toute sa puissance mentale déchaînée.

Elle eut une nouvelle crise de larmes. Elle avait souffert d’autres fausses couches avant, mais jamais elles n’avaient été aussi violentes, aussi déchirantes. Et elle maudissait Aurelius Venport, son amant.

Toute son épine dorsale fut secouée, comme si elle venait de recevoir une décharge électrique. Des objets d’art fragiles s’élevèrent dans les airs comme soutenus par d’invisibles fils et volèrent dans toutes les directions avant d’exploser dans des nuages d’éclats. Une courge évidée garnie de fleurs séchées cracha une éruption de flammèches blanches avant de se craqueler et de disparaître en fumée.

Zufa étouffa des cris quand les premières crampes lui tordirent les muscles de l’abdomen. C’était comme si l’enfant mort voulait la tuer, l’entraîner dans le néant avant qu’elle ait pu l’expulser de son utérus.

Encore un échec ! Elle aurait tant voulu accoucher d’une fille, qui serait sa partenaire, qui deviendrait à son tour une Sorcière qu’elle conduirait jusqu’au sommet du pouvoir mental. L’index génétique l’avait trahie encore une fois ! Maudit soit Venport ! Elle aurait dû l’abandonner depuis longtemps.

Désespérée, à la limite du conscient, Zufa se dit qu’elle allait tuer l’homme qui l’avait fécondée, même si elle le lui avait demandé avec insistance. Elle avait retracé les lignages avec tant de soin, elle avait refait cent fois le calcul des gènes, jusqu’à acquérir la certitude que leur accouplement devait produire une progéniture exceptionnelle.

Mais rien ne s’était passé comme prévu.

Les chocs télépathiques se répercutaient dans les couloirs et les femmes fuyaient, affolées. C’est alors qu’elle vit Aurelius Venport sur le seuil, les yeux hagards, éperdu de chagrin.

Mais Zufa savait qu’il simulait.

Sans crainte, il s’avança dans la chambre, patient, inquiet, bienveillant et protecteur. Les chocs mentaux de son amante résonnaient tout autour de lui et les meubles basculaient avec violence. Dans un sursaut de cruauté, elle lui lança les petites noix sculptées qu’il lui avait offertes alors qu’il la courtisait et qu’ils testaient leurs capacités génétiques.

Pourtant, il continua d’avancer, comme s’il était immunisé contre ses attaques psychiques. Derrière lui, dans le couloir, les femmes chuchotaient, lui enjoignant la prudence. Il les ignorait. Il s’approcha de son bat- flanc et un sourire de compassion illumina son visage.

Il s’agenouilla auprès d’elle et caressa sa main luisante de sueur. Il murmura des mots tendres et absurdes à ses oreilles. Elle ne les comprenait pas, mais elle referma ses doigts sur les siens et serra avec l’espoir que ses os allaient craquer. Mais Aurelius ne bronchait pas, ne réagissait pas, indifférent à sa rage, fort de sa tendresse.

Elle cracha une salve d’accusations et de reproches.

—                       Je sens tes pensées ! Il n’y a que toi qui comptes !

Son imagination emballée brassait des plans de vengeance contre sa fourberie. Si la grande Zufa Cenva n’était plus là pour le protéger, qui garderait cet homme comme amant domestique ? Qui prendrait soin de lui ? Elle doutait qu’il fût capable de s’assumer.

Et puis, l’ultime réponse résonna dans son esprit, terrifiante : N’en est-il pas capable ?

Aurelius avait expédié Norma sur Poritrin sans rien en dire à sa maîtresse, comme s’il était convaincu qu’un homme tel que Tio Holtzman voulait véritablement travailler avec sa fille. Que préparait-il ? Elle grinça des dents, elle voulait lui donner la preuve qu’elle avait percé ses intentions. Elle haleta :

—                       Tu ne peux pas... me laisser mourir... salaud ! Personne... ne voudrait... de toi !

Il était toujours penché sur elle, serein, protecteur.

—                       Ma chérie, tu m’as dit bien des fois que mon lignage génétique était bon. Mais je ne désire aucune autre Sorcière que toi. C’est avec toi que je veux rester. (Il baissa le ton, et la regarda avec une intensité étrange dans le regard, un amour si profond qu’elle ne pouvait le sonder.) Je te comprends mieux que tu ne te comprends toi-même, Zufa Cenva. Toi qui exiges toujours, qui demandes plus que ce que n’importe qui pourrait donner. Personne  – pas même toi, chérie  – ne saurait être constamment parfait.

Dans un dernier hurlement prolongé, elle évacua son fœtus difforme, son enfant monstrueux. Devant le flot de sang, Aurelius appela au secours et deux valeureuses sages-femmes se précipitèrent dans la chambre. L’une jeta une serviette sur le fœtus comme un linceul tandis que l’autre nettoyait avec précaution la peau de Zufa, avant de l’oindre de baumes issus des plantes de la jungle. Aurelius envoya chercher les meilleurs médicaments de sa pharmacopée personnelle.

Enfin, il prit le fœtus sanglant entre ses mains. Il avait la peau sombre, couverte d’étranges taches qui ressemblaient à des pro-yeux disséminés sur le corps dépourvu de membres. L’être fut agité d’un dernier spasme puis s’immobilisa.

Aurelius l’enveloppa dans la serviette, en s’efforçant de retenir les larmes qui lui piquaient les yeux. Avec une expression fermée, sans un mot, il remit son triste colis à l’une des sages-femmes. On irait le jeter dans la jungle et personne n’en parlerait plus jamais.

Zufa, épuisée, reposait sur le dos, parcourue de longs frissons. La réalité la submergea en même temps qu’un désespoir absolu. Cette fausse couche l’avait détériorée, ne lui laissant qu’un chagrin profond qui allait plus loin que les échecs les plus cruels des programmes de croisements. Sa vision redevint nette et elle put constater alors la destruction qu’elle avait semée avec ses forces kinésiques. Tout cela révélait sa faiblesse, son manque de maîtrise.

C’était son troisième cauchemar depuis qu’elle était la maîtresse d’Aurelius Venport. Elle était affreusement déçue et furieuse.

—                       Aurelius, je t’ai choisi pour ton lignage, marmonna-t-elle entre ses lèvres desséchées. Que s’est-il passé ?

Il la regarda sans expression, comme si sa passion avait été balayée.

—                       La génétique n’est pas une science exacte.

Elle ferma les yeux.

—                       Des échecs, toujours des échecs, encore et encore...

Elle était la plus grande des Sorcières de Rossak et pourtant elle avait souvent échoué. Avec un soupir de dégoût, elle pensa à sa fille handicapée : elle ne voulait pas croire que cette vilaine petite naine pouvait être la meilleure enfant qu’elle ait pu avoir.

Aurelius Venport secoua la tête, grave et nerveux à présent que le mal était fait. Ce qui ne lui ressemblait guère.

—                       Zufa, tu as eu des succès. Mais tu ne sais pas les reconnaître.

Elle s’efforça au repos pour récupérer ses forces. Elle se dit qu’elle essaierait à nouveau, mais avec un autre homme.


La Guerre Des Machines
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