Humain ou machine, ce qui a une forme est mortel. Ce n‘est qu‘une question de temps.

Eklo, Cogitor de la Terre

 

Même avec leur mémoire infaillible fondée sur les principes les plus sûrs des ordinateurs, les machines avaient leurs limites. La précision dépendait de leur méthode de récupération de données tout autant que de leurs circuits-gel, de leurs complexes neuro-électriques et de leurs fibres de construction binaire.

C’est pour cela qu’Érasme préférait tout observer en direct plutôt que de dépendre d’observateurs mécaniques ou d’événements enregistrés dans les banques du suresprit. Il souhaitait être présent. Il voulait vivre l’événement.

Surtout quand il s’agissait de l’accouchement de Serena.

Érasme déploya un réseau de fibres optiques afin d’enregistrer les moindres phases de l’événement en permanence, et sous tous les angles. Il avait clinique- ment observé d’autres naissances chez les esclaves et les considérait comme une fonction de reproduction courante. Mais Serena l’avait conduit à penser qu’il manquait quelque chose dans sa connaissance. Et c’est avec l’espoir de la surprise et du plaisir qu’il avait décidé de suivre l’événement avec attention.

Quel dommage qu’elle ne donne pas naissance à des jumeaux...

Serena était à présent sur la table de travail, secouée par les premiers spasmes. Elle lançait parfois des injures à Érasme quand elle ne se concentrait pas sur les spasmes de son ventre ou criait le nom de Xavier. Tous les instruments disposés sur son corps transmettaient en détail les diagnostics, les analyses, sa biochimie, son rythme cardiaque, le tracé de sa respiration...

Dans le même temps, elle l’invectivait, le maudissait, mais il ne s’en offensait pas. Il trouvait intéressant, et même amusant, qu’elle puisse expulser une colère aussi violente, imaginative mais cohérente, alors qu’elle allait donner le jour à un enfant.

Parce qu’il n’avait pas envie de la perdre et qu’il devait minimiser les variables thermiques dans ce site d’observation, Érasme avait fait maintenir la température de la pièce à un degré optimal.

Les esclaves avaient déshabillé Serena. Il l’avait déjà épiée par le biais de ses yeux-espions et de ses scanners et n’éprouvait pas d’attirance pour son corps dénudé : il n’en attendait qu’une précision clinique susceptible de lui apporter des conclusions plus larges.

Il promena sa sonde personnelle sur son corps lisse, absorba sa senteur musquée, perçut ses complexes échanges chimiques et trouva le tout très stimulant.

Serena était terrifiée. Pour elle, pour son enfant. Six esclaves humaines venues des enclos s’activaient autour d’elle.

Érasme se pencha et sa terreur grandit encore, surtout quand elle vit la sonde qui dardait hors de son compartiment. Elle savait qu’il ne pouvait s’inquiéter sincèrement de la santé d’une esclave et de son bébé.

Des élancements douloureux freinèrent le cours de ses pensées et elle ne put que se concentrer sur l’effort basique qui était le lot de toute femme dans les douleurs de l’accouchement. Dans un bref instant d’euphorie, Serena s’émerveilla de la biologie humaine qui commençait par la création de la vie, le partage génétique entre l’homme et la femme. Elle aurait tellement aimé que Xavier soit auprès d’elle !

Elle serra les dents jusqu’à ce que la douleur se propage dans ses maxillaires. Des larmes coulèrent sur ses joues. Elle fut secouée par un autre spasme et ne se concentra plus que sur le travail.

Cela durait depuis dix heures. Les sages-femmes essayaient toutes sortes de solutions pour atténuer la souffrance : piqûres aux points névralgiques, massages des nexus. Érasme leur fournissait à discrétion ce qu’elles demandaient : ustensiles et drogues.

Même dans la chambre de parturition, le robot portait une robe dorée étincelante à motifs bleu roi.

—                       Décrivez-moi vos sensations, dit-il. Donner naissance à un autre être, qu’est-ce que cela provoque ?

—                       Salaud ! éructa Serena. Immonde voyeur ! Laissez-moi en paix !

Les sages-femmes conversaient, ignorant leur patiente.

—                       Tout à fait dilatée...

—                       Les contractions s’accélèrent...

—                       C’est maintenant... Poussez !

La douleur devint intolérable et elle se dit qu’elle ne pouvait aller plus loin.

—                       Un peu plus.

Elle sentit son enfant sortir. Elle dominait sa douleur, augmentait son effort. Tout son corps savait quoi faire.

—                       Poussez. Vous le pouvez.

—                       Oui, bien, bien. Je vois la tête !

Serena sentit son bas-ventre se détendre brusquement. Un barrage venait de céder en elle.

Quand elle leva la tête quelques instants plus tard, elle entrevit les sages-femmes qui lavaient son bébé. C’était un garçon ! Elles le lui présentèrent et elle vit son visage tel qu’elle l’avait espéré.

Érasme n’avait pas cessé de l’espionner.

Serena, elle, venait de décider que son fils aurait le nom de son père et elle dit :

—                       Bonjour, Manion ! Mon cher, mon gentil Manion !

Le bébé se mit à crier et elle le serra entre ses seins, même s’il se débattait. Quant à Érasme, il restait impassible.

Serena se refusait à regarder le robot. Elle espérait seulement qu’il allait se retirer pour la laisser seule avec le souvenir de cet instant inoubliable. Elle ne parvenait pas à détacher les yeux de son fils et ne pensait qu’à Xavier, à son père, à Salusa Secundus... et à toutes ces choses que son enfant ne connaîtrait pas dans le cours de sa vie. Elle se dit qu’il avait toutes les raisons de pleurer...

Brutalement, Érasme surgit dans son champ de vision. Il saisit le bébé entre ses mains de plastique et l’étudia sous tous les angles.

Épuisée, luisante de sueur, Serena le supplia :

—                       Laissez-le tranquille ! Rendez-le-moi !

Erasme fit tourner le nouveau-né entre ses mains avec une expression d’intense curiosité sur le film souple de son visage. L’enfant se mit à crier et à se débattre, mais Érasme ne relâcha pas sa prise. Il étudiait minutieusement son visage, ses doigts, ses orteils, son pénis. C’est alors que Manion fit pipi sur lui.

L’une des sages-femmes se précipita pour l’essuyer, mais il la repoussa. Il ne voulait qu’une chose : recueillir autant de données que possible de cette expérience afin de les examiner à loisir.

Le bébé ne cessait pas de hurler.

Serena se redressa, en dépit de sa douleur et de son épuisement.

—                       Rendez-le-moi !

Choqué par son ton véhément, le robot se tourna vers elle.

—                       L’un dans l’autre, je dois dire, cette reproduction biologique me semble trop confuse et inefficace.

Avec une expression qui confinait au dégoût, il rendit l’enfant à Serena.

Le petit Manion cessa de pleurer et l’une des sages- femmes l’enveloppa dans une couverture bleue avant de le reposer entre les bras de sa mère. Serena décida d’ignorer le robot. Elle n’avait plus peur.

—                       J’ai pris la décision de vous laisser garder le bébé plutôt que de l’assigner à l’un de mes enclos, déclara Érasme d’un ton neutre. L’interaction entre mère et enfant m’intrigue. Pour le moment.


La Guerre Des Machines
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