Il existe une certaine malveillance dans la structuration des ordres sociaux, un combat intense et profond, avec le despotisme d’un côté et l’esclavage de l’autre.

Tlaloc, Les Faiblesses de l’Empire

 

Le delta de l’Isana, le grand fleuve de Poritrin, ne ressemblait en rien aux marais et aux ruisseaux d’Harmonthep. Ishmaël voulait par-dessus tout retourner chez lui... mais il ne savait pas à quelle distance il était de son monde. La nuit, il se réveillait souvent en hurlant dans la geôle, submergé par les cauchemars. Quelques rares esclaves essayaient vaguement de le réconforter : ils avaient tous leur fardeau à supporter.

Sur Harmonthep, son village avait été brûlé et la plupart de ses habitants tués ou capturés. Il avait encore en esprit l’image de son grand-père dressé face aux esclavagistes, citant des sutras bouddhislamiques pour tenter d’arrêter leurs déprédations. Mais les brutes avaient tourné le vieux Weyop en ridicule en le méprisant plutôt que de le tuer.

Ishmaël s’était réveillé dans un cercueil de plastacier translucide, une chambre de stase où il était immobile mais en vie. Aucun esclave ne pouvait provoquer un incident à bord du vaisseau tlulaxa qui se dirigeait vers le monde étrange de Poritrin où ils allaient être débarqués près du marché du fleuve.

Quelques captifs avaient tenté de s’évader sans même savoir où ils pouvaient aller. Les esclavagistes les avaient paralysés pour ne plus entendre leurs plaintes. Ishmaël lui-même avait été sur le point de résister, mais il savait qu’il valait mieux regarder, écouter et apprendre jusqu’à trouver une occasion. Avant tout, il fallait comprendre ce nouveau monde et ensuite se battre s’il le pouvait. Il suivait en cela la sagacité de son grand-père.

Weyop avait cité des sutras qui évoquaient le mal venu de l’extérieur, des envahisseurs sans âme qui viendraient piétiner leur mode de vie. À cause de ces prophéties, les Zensunni avaient fui la compagnie des autres. Dans le Vieil Empire croulant, les gens avaient oublié Dieu avant de connaître la souffrance lorsque les machines pensantes avaient pris le pouvoir. Le peuple d’Ishmaël considérait que c’était son destin, le grand Kralizec, le typhon de la fin de l’univers qui avait été annoncé depuis des millénaires. Ceux qui avaient obéi au credo bouddhislamique s’étaient enfuis, car ils connaissaient déjà l’issue de ce combat désespéré.

Néanmoins, il ne s’était pas conclu selon la prophétie. Une partie de la race humaine avait survécu aux démons robots et s’était maintenant retournée contre les « lâches », les réfugiés bouddhislamiques, avec la vengeance au cœur.

Ishmaël ne pensait pas que les anciens écrits aient pu mentir. Il y avait tant de sutras, tant de prophéties... Son grand-père avait toujours eu l’air tellement assuré lorsqu’il évoquait les légendes... Mais pourtant, leur paisible village avait été ravagé par les Tlulaxa et les plus forts et les plus sains de ses habitants enlevés comme esclaves. Pour se retrouver sur un monde lointain, vendus comme des animaux.

Weyop avait dit que les étrangers au Bouddhislamisme étaient voués à la damnation éternelle... Mais pourtant, les marchands de chair de Tlulax et les nouveaux maîtres de Poritrin avaient le plein contrôle de leur vie et de leur subsistance. Donc, Ishmaël se dit que lui et ses compagnons n’avaient d’autre choix que de faire ce qu’on leur disait.

Il était le plus jeune du lot d’esclaves et les acheteurs ne s’attendaient pas à tirer grand-chose de lui. Ils ordonnèrent aux autres de veiller sur lui, de s’assurer simplement qu’il accomplisse sa part de travail... ou de le remplacer si jamais il défaillait.

En dépit de ses muscles endoloris et de sa peau couverte de cloques, il travaillait aussi durement que ses compagnons. Il les observait sans rien dire quand ils perdaient leur temps à se plaindre, ce qui incitait leurs propriétaires à des châtiments inutiles. Ishmaël avait décidé de garder sa misère pour lui.

Il passa des semaines dans la boue, entre les cordes et les poteaux qui balisaient les plantations de coquillages. Il faisait l’aller et retour entre les bassins de jeunes clams et les champs de culture. S’il serrait trop les mains, il brisait les coquilles fragiles, ce qui lui avait déjà valu une douloureuse correction au fouet sonique. Il n’oublierait pas de sitôt le feu de glace sur sa peau qui, durant des jours, avait été couverte de cloques brûlantes. Mais il n’en était resté aucune trace, si ce n’est dans son esprit. Il s’était juré de ne plus jamais endurer ça.

La punition ne servirait à rien, si ce n’est à le rendre plus misérable encore, tout en donnant à ceux qui l’avaient acheté l’occasion d’un autre triomphe facile. Il ne pouvait leur faire ce cadeau.

Pour l’heure, en voyant les autres esclaves peiner dans la boue, Ishmaël était presque heureux de savoir que ses parents avaient péri dans une tempête, frappés par la foudre sur un lac si riche en pétrole que les poissons y avaient un goût infect. Au moins, ils ne pouvaient pas le voir, et son grand-père non plus...

Après un mois passé dans la boue du delta de l’Isana, les mains et les pieds d’Ishmaël étaient noircis, en dépit de tous les efforts qu’il faisait chaque soir pour les laver. Il avait les ongles cassés et incrustés de vase.

Sur Harmonthep, il avait passé ses journées à patauger dans les marais pour récolter des œufs dans les nids de qaraa, capturer des tortues d’eau ou creuser à la recherche des racines osthmir qui affectionnaient les eaux saumâtres. Depuis son plus jeune âge, il avait accepté la dureté de son existence, mais ici, sur Poritrin, il ne trimait pas pour la gloire de Bouddhallah ni pour le bien-être des siens.

Dans le camp des esclaves, les femmes faisaient la cuisine avec les ingrédients et les épices insolites qu’on leur donnait chaque jour. Et Ishmaël regrettait la saveur du poisson cuit dans les feuilles de nénuphar, les roseaux doux dont le suc pouvait amener un jeune garçon jusqu’à l’ivresse.

De nombreux esclaves étaient morts de la fièvre et il y avait de nombreuses couches libres. Parfois, Ishmaël sombrait très tôt dans un sommeil profond, mais il lui arrivait aussi de rester éveillé et de participer aux cercles de discussions.

Les hommes débattaient entre eux de l’élection possible d’un chef. Pour certains, ce sujet semblait dépourvu de signification. Il était impossible de s’échapper et un quelconque leader ne pourrait que les inciter à courir des risques au prix de leurs vies. Ishmaël se sentait triste en se rappelant que son grand-père avait tellement espéré avoir un successeur un jour.

Il préférait les soirées où l’on échangeait des récits, de vieilles histoires et des poésies puisées dans les « Chants de la Longue Piste » des Errants Zensunni, l’odyssée de ceux qui étaient partis en quête d’un monde où ils échapperaient aux machines pensantes et aux nobles de la Ligue. Ishmaël n’avait jamais vu de robot et il se demandait parfois si ce n’étaient pas des monstres imaginaires destinés à faire peur aux enfants désobéissants. Mais par contre, il savait que les hommes mauvais existaient, qu’ils avaient ravagé son paisible village, molesté son grand-père et emmené en déportation des gens pacifiques.

Il écoutait parfois les récits des périples de son peuple. Les Zensunni avaient l’habitude des tribulations et ils étaient prêts à endurer des générations d’esclavage sur cette planète si éloignée de la leur. Ils savaient affronter toutes les épreuves.

Mais, entre tous les contes qu’il avait entendus, les légendes et les prophéties, il préférait ceux qui annonçaient qu’un jour leur misère aurait un terme.


La Guerre Des Machines
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