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QUAND on sut, dans la paroisse, la fin tragique de Julie de Damvilliers, les gens commencèrent à parler de la malédiction de Bagatelle. Les moins superstitieux voyaient dans les quatre morts, dont celles des trois enfants, qui s’étaient succédé en dix années, dans une des plus anciennes familles de Louisiane, une mystérieuse rancune divine. On avait beau chercher dans le passé du marquis, on ne trouvait rien qui puisse, sinon justifier, du moins rendre plausible un pareil acharnement du destin. Personne n’osait le dire, mais beaucoup pensaient que le malheur était arrivé à Bagatelle avec le retour de Virginie Trégan. À l’avenir, ce serait une femme qu’il vaudrait mieux éviter, d’autant plus que les esclaves affirmaient que, depuis l’inhumation de Julie, on avait vu sous les chênes une ombre blanche aller et venir. Certains affirmaient avoir entendu des plaintes ; d’autres expliquaient que les chiens contournaient l’arbre sous lequel reposait « m’amselle Pom Pom » et que parfois, vers minuit, ils gémissaient sans raison.

Sans ajouter foi à ces histoires, que lui racontait Brent en roulant des yeux blancs, le colonel de Vigors éprouvait une sorte de malaise à vivre dans la grande maison silencieuse. La santé de Virginie l’inquiétait chaque jour davantage. Après avoir bien surmonté son chagrin, au cours des semaines qui suivirent le drame, elle affichait une résignation exagérée et souriante, qui n’était pas dans sa manière. Une douceur béate, une condescendance anormale, des absences au milieu des conversations les plus banales lui donnaient les attitudes et les réflexes d’une femme sous l’empire d’un soporifique ou d’un charme annihilant sa volonté. Elle retenait près d’elle en permanence Gratianne et Charles, qu’elle couvait du regard en remuant la tête, comme si elle craignait de les voir atteints à leur tour par quelque malheur.

« Il faut que nous quittions Bagatelle un certain temps, dit finalement le colonel de Vigors, même si ce départ a l’air d’une fuite. »

Huit jours plus tard et sans avoir revu personne, Mme et M. de Vigors, accompagnés de Gratianne et de son demi-frère Charles, de Brent et de Rosa, s’embarquaient pour l’Europe. Au moment où l’intendant les aidait à s’installer dans le grand landau armorié, Virginie dit d’une voix lasse :

« Nous ne savons pas quand nous reviendrons ici, Clarence. Disposez de tout à votre gré. Les vivants et les morts vous confient Bagatelle. »

Dandrige s’inclina sans un mot, baisa la main qu’on lui tendait, serra celle du colonel, embrassa Gratianne et Charles, puis fit signe à Bobo de démarrer. Quand l’attelage, que précédait un chariot plein de bagages, bifurqua pour s’engager sur le chemin de la berge, dans la brume matinale qui montait du Mississippi, Virginie se retourna. Sous la longue voûte des chênes frangés de mousse grise que le vent secouait, comme les mouchoirs qu’agitent ceux qui restent pour un ultime au revoir à ceux qui partent, elle vit Dandrige immobile, rigide comme une sentinelle au milieu de l’allée. Elle fut reconnaissante à cet homme de lui permettre de quitter l’univers paisible qu’elle avait tant convoité et qui lui paraissait aujourd’hui hostile.

Clarence revint vers la maison d’un pas vif, pour se réchauffer à la cheminée du salon. Mains au dos, il laissa son regard errer sur les portraits suspendus aux murs. Les trois marquis de Damvilliers, dont les larges épaules emplissaient les cadres tarabiscotés, semblaient considérer avec bienveillance ce fidèle mainteneur de la plantation. Marie-Adrien, le quatrième, disparu avant d’avoir pu donner sa mesure, conserverait à jamais ce sourire provocant que Dandrige lui avait connu. Un sourire de parieur, fort bien rendu par le peintre et qui paraissait maintenant s’adresser à cet homme dont le destin faisait depuis tant d’années le gestionnaire de la fortune des Damvilliers. Quand son regard s’arrêta sur Julie, Clarence se souvint que Planche avait dit que la seconde fille de Virginie avait « le cœur transparent ». Son destin s’était accompli, puisque son corps reposait au pied d’un chêne, dans lequel passerait son âme pure, si l’on en croyait Anna. Quant au portrait de Pierre-Adrien, pour lequel, il s’en souvenait, le garçon avait posé sans enthousiasme, il lui rappelait les rares moments de tendresse quasi paternelle qu’il avait éprouvés dans sa vie. Seule Gratianne, de tous les Damvilliers présents dans le salon, disposait encore d’un avenir. Il comprit alors que la fuite de Virginie avait peut-être pour objet de soustraire la dernière fille d’Adrien et le jeune Charles de Vigors à l’incompréhensible malédiction de Bagatelle. Il regretta à cet instant qu’il n’y eût aucune image de Mme de Vigors dans cette pièce où l’on reconnaissait partout la marque de son goût et de ses choix. « Ne suis-je plus que le gardien d’un cimetière ? » pensa Clarence.

Mais Bagatelle exigeait ses soins. Les cotonniers étaient déjà hauts de plus d’un pied ; le sarclage avait commencé et ce printemps trop sec inquiétait tous les planteurs. Dandrige demanda à Bobo de seller son cheval. Au pas, il prit le chemin des champs pour une inspection. La terre qu’il examina, pétrit, effrita, lui parut dure, récalcitrante et lourde comme ces dormeurs qu’on ne parvient pas à éveiller. Les cotonniers s’inclinaient avec mollesse dans les sillons, manquant de force pour soutenir leurs jeunes feuilles. À nouveau en selle, les deux mains au pommeau, il observa cette plaine ocre, dont pas un arpent ne lui était inconnu, entre la forêt et le fleuve ; puis il regagna la maison vide et silencieuse.

Enfin vint la pluie, et le cycle des travaux retrouva le rythme ancestral, qui réglait la vie des planteurs. Clarence reprit ses habitudes. On le vit chasser avec Barthew et quelques voisins, dîner chez les Tampleton, jouer au billard chez les Barrow. Souvent, il se rendait à Saint-Francisville où le maréchal des logis Mallibert avait besoin de ses conseils pour mettre en culture les terrains acquis par M. de Vigors.

« Le colonel m’a dit que la première récolte serait pour moi, alors vous pensez si je tiens à ce qu’elle soit bonne », avait expliqué l’ordonnance devenue planteur à son corps défendant.

Dandrige lui ayant fourni assez de graines de cotonnier pour ensemencer une terre que les défricheurs venaient de domestiquer, la cueillette fut abondante et Mallibert prit goût au métier. L’intendant ne lui reprochait que de faire manœuvrer ses esclaves comme un bataillon d’infanterie, ce qui ne plaisait pas à tous !

« La méthode est la même qu’il s’agisse de faire un bon soldat ou un bon ouvrier ; de la discipline, voilà ce qu’il faut d’abord et des mouvements coordonnés », disait Mallibert. Ainsi, en quelques années le maréchal des logis, républicain intransigeant, était-il devenu un parfait esclavagiste du Sud. La notion de liberté, dont il se disait le défenseur acharné, ne s’appliquait pas, d’après lui, aux esclaves, incapables d’être utiles à la société hors du cadre rigide d’une plantation.

Cependant les Noirs libres formaient en Louisiane une population de près de vingt mille personnes. Certaines familles d’affranchis jouissaient d’une réputation méritée. Dandrige avait connu le temps où les jeunes filles de couleur contractaient avec des Blancs des unions auxquelles, pour les différencier du mariage, on donnait le nom de « placements ». Or ces unions devenaient plus rares. Les Noirs émancipés, charpentiers ou maçons, gagnaient bien leur vie. Ceux, plus intelligents ou plus doués, qui se mêlaient de commerce connaissaient une aisance que les petits Blancs des bayous et les cajuns pouvaient leur envier. Cependant, s’ils étaient admis dans les affaires, ces Noirs-là se voyaient tenus à l’écart de la société blanche. On leur reprochait de se montrer glorieux, irascibles, vindicatifs et volontiers batailleurs. Ils tenaient eux-mêmes à marquer la distance qui, désormais, les séparait des esclaves, leurs anciens compagnons envers lesquels il leur arrivait de se montrer plus méprisants que les Blancs.

D’autres Noirs libres, le plus souvent robustes et adroits, gagnaient de un à deux dollars par jour en se louant à un maître chez lequel ils vivaient et auquel ils devaient donner de quinze à vingt dollars par mois.

Dans les campagnes, par contre, l’esclavage demeurait la règle générale. La population servile de Louisiane comptait plus de deux cent cinquante mille Noirs cultivant un million deux cent mille acres de terre à coton ou à canne. Le sort de ces travailleurs, parfois importés de Virginie, ce qui leur valait de la part des Noirs louisianais le surnom de « cougo », dépendait entièrement du maître. Beaucoup d’esclaves de plantations avaient dans les veines le sang de la famille à laquelle ils appartenaient. Bien que personne n’osât l’avouer, les Blancs par honte et les Noirs par crainte, il existait entre eux une complicité qui se traduisait chez les premiers en indulgence relative, chez les autres en dévouement.

Les gens qui connaissaient bien les villes du Nord, comme Willy Tampleton, expliquaient que dans les États anti-esclavagistes les Noirs libres constituaient le dernier échelon de la hiérarchie sociale, alors que dans les États du Sud les Noirs libres se situaient au deuxième échelon. Ayant au-dessus d’eux la classe privilégiée des Blancs, ils se consolaient de leur infériorité en la comparant « à l’ignominie des esclaves ».

Un incident avait eu lieu le 12 mars 1852 à Richmond (Virginie), qui prouvait que le fait d’être noir constituait, en cas de délit, un coefficient d’aggravation. Un esclave, employé dans une fabrique de tabacs, ayant tué avec une barre de fer un surveillant qui lui avait donné un coup de bâton, venait d’être condamné à mort. Le gouverneur Johnson, un homme sain d’esprit, avait décidé, au vu du dossier, de commuer la peine de mort en expulsion pure et simple des territoires du Sud. Aussitôt connue, cette décision d’une clémence inattendue suscita des protestations. Des politiciens, ameutant la population, organisèrent un meeting, considérant que le gouverneur avait abusé du droit que lui donnait la Constitution, en graciant un assassin. « Il fallait pendre ce nègre parce qu’il était nègre », soutenaient les gens.

À La Nouvelle-Orléans – était-ce dû à l’influence française encore puissante en Louisiane ? – la population se montrait moins vindicative à l’égard des esclaves coupables de délits et faisait la part de la provocation dans les démêlés que les Noirs avaient parfois avec les Blancs. En dix années, on n’avait vu qu’une seule pendaison d’esclave. Par contre, la justice se montrait impitoyable vis-à-vis des aventuriers étrangers. Ainsi le 1er octobre 1852, lors de l’exécution de deux assassins, l’un Français, nommé Delisle, l’autre Anglais, nommé Adams, les cordes s’étaient rompues et les deux suppliciés avaient été relevés en triste état après leur chute sur le pavé. Comme il s’était trouvé des âmes charitables pour demander le pardon des deux hommes dont la mort ne semblait pas vouloir, le juge avait menacé le shérif de suspension s’il n’exécutait pas, sur l’heure, les condamnés blessés. Ce qui fut accompli.

Une telle rigueur avait pour but de prouver aux Noirs que la justice était la même pour tous. Les esclaves, cependant, ne se laissaient pas convaincre aussi aisément, car ils savaient bien que, si les malfaiteurs blancs, gens de sac et de corde, ne pouvaient espérer aucune indulgence particulière, il n’en allait pas de même pour les Blancs nantis et les riches créoles.

Les abolitionnistes qui, imprudemment, développaient leurs théories risquaient les pires ennuis, comme ce James Dyson qui tenait une école pour enfants noirs à La Nouvelle-Orléans et qu’on avait interné au « Lunatic Asyleum », la maison des fous de la ville. Le maître d’école, qui avait déjà comparu en justice pour des escroqueries dans lesquelles de pauvres Noirs avaient servi d’instruments, s’était, paraît-il, mêlé d’organiser un soulèvement d’esclaves. Le signal devait être un incendie. Devant l’énormité du projet, les juges examinèrent attentivement le cas de Dyson et décidèrent qu’il fallait peut-être voir en lui un agent abolitionniste, mais qu’à coup sûr on avait affaire à un fou. C’était un moyen comme un autre de lui sauver la vie.

Face à tous ceux qui proclamaient « Dieu a imposé l’esclavage à la race de Cham, comme un châtiment éternel », des hommes clairvoyants tel le docteur Murphy prévoyaient le jour où l’émancipation des Noirs deviendrait inéluctable.

« L’esclavage finira, disait le médecin à Dandrige. Il est juste qu’il finisse et le plus tôt sera le mieux pour l’honneur de l’humanité. Mais ce ne sont ni les abolitionnistes du Nord ni les fous comme Dyson qui avanceront l’heure de la délivrance de la race noire. L’émigration européenne et les travailleurs blancs et libres suffiront.

— Nos nègres seront-ils plus heureux, alors ? » demandait Dandrige.

Le médecin semblait en douter.

« Quand cette heure sera venue, la race noire aura à souffrir d’autres et bien terribles épreuves. Les États libres qui ménageront les hommes de couleur, tant qu’il y aura des États esclavagistes, s’uniront alors aux États à esclaves dépossédés, pour faire à cette race infortunée une guerre plus acharnée, plus terrible encore que celle qui se terminera bientôt par l’extinction totale de la race indienne. »

Murphy n’aurait certes pas tenu pareil langage devant le lieutenant-colonel Tampleton, récemment promu et qui commandait la cavalerie de Charleston. Mais il savait avoir en Dandrige un auditeur discret qui partageait, au fond de lui-même, ses opinions.

En attendant que le temps confirme ou infirme les prophéties du docteur Murphy, les citoyens des États-Unis venaient d’élire un nouveau président, Franklin Pierce, un démocrate qui avait battu le général Winfield Scott, candidat des whigs désigné par son parti quelques jours avant la mort du célèbre Henry Clay, emporté par la tuberculose à l’âge de soixante-quinze ans.

À la fin de l’été, un événement fournit à Dandrige et à ses amis, comme à tous les Sudistes amateurs de livres, matière à longues discussions. Un livre faisait scandale dans le monde des planteurs. Sous le titre anodin La Case de l’oncle Tom, une certaine Harriet Beecher Stowe venait de publier un ouvrage qui, bien qu’étiqueté « roman », constituait un véritable réquisitoire contre les esclavagistes. Le succès du livre avait été tel dans le Nord que George L. Aiken en avait tiré une pièce qui faisait les belles soirées du National Theater de New York. Les abolitionnistes s’étaient empressés de diffuser La Case de l’oncle Tom dans les États du Sud. On se repassait le livre d’une famille à l’autre, ce qui décuplait la fureur contre cet auteur en jupons de quarante ans, en train de faire une fortune sur le dos des planteurs. Née à Litchfield (Connecticut) d’un pasteur congréganiste de la tradition de Jonathan Edwards, puritaine et pourvue d’un long nez triste, que pouvait savoir cette femme de la condition véritable des esclaves ?

« Son livre est conçu de la même façon que les discours des abolitionnistes qui gesticulent dans les clubs de Washington et à la tribune du Congrès, disait M. Tampleton.

— Elle fait du nègre Tom un Prométhée dont l’esclavage est le vautour, criait Adèle Barrow.

— Elle flatte la plus vulgaire sentimentalité, ajoutait sa sœur, quand par exemple elle fait donner par Mme Bird les vêtements de son enfant mort à un esclave fugitif ! »

Dandrige, qui entendait toutes ces critiques, pensait, comme Murphy et comme les Barthew, que ce livre plein de bons sentiments et d’exagérations manifestes ferait plus pour la cause antiesclavagiste que toutes les déclarations des politiciens et des philosophes. Ces derniers ne touchaient qu’un public limité et convaincu d’avance ; Harriet Beecher Stowe s’adressait aux âmes sensibles et pénétrait les foyers. Par le jeu d’une fiction ambiguë, elle tenait meeting dans toutes les familles. La masse des Nordistes, jusque-là assez indifférente, n’allait plus voir l’esclave que sous les traits de Tom et le planteur du Sud sous ceux de l’affreux Locker.

« On m’a dit qu’elle ne se contente pas d’écrire des inepties, observa Percy Tampleton, mais qu’elle assiste la bande du chemin de fer souterrain de l’affreuse Tubman… »

Ed Barthew regarda Clarence Dandrige à la dérobée. Si Tampleton avait su que l’intendant avait usé de la filière du « général Tubman » pour faire passer au Nord la jeune Ivy, qui coulait maintenant des jours tranquilles à Concord, il eût peut-être provoqué l’intendant en duel !

« Tout cela passera comme le reste, intervint l’avocat, comme les écrits des sœurs Grimké, comme ceux de Frédéric Douglass ; vous attachez trop d’importance à un livre qui ne donnera mauvaise conscience qu’aux mauvais maîtres !

— Pour les Yankees, sachez que nous sommes tous dans le même panier, quelle que soit la façon dont nous traitons nos nègres, reprit le vieux Tampleton. Ils se moquent pas mal du sort des esclaves ; ce qu’ils veulent, c’est s’emparer des richesses du Sud et cet écrivain de malheur leur apporte une arme nouvelle et… populaire ! »

À Paris, où le livre de Mme Beecher Stowe fut vite connu, on se souciait peu dans le monde que fréquentaient les Vigors de savoir si cette jolie femme, qui ne souriait que rarement, et l’homme épanoui qui lui tenait lieu de mari étaient ou non propriétaires d’esclaves. Quand ils l’apprenaient la plupart des gens trouvaient cela exotique et excitant. Les amies de Virginie lui empruntaient à l’occasion le beau Brent comme extra. Être servies par un nègre aussi stylé et que sa maîtresse aurait pu fouetter, si tel avait été son bon plaisir, faisait se pâmer les bourgeoises.

Les Vigors avaient trouvé Paris en pleine béatitude capitaliste. Après la grande peur de 1848, les nantis, rassurés par le coup d’État du 2 décembre 1851, ne se souciaient plus de dissimuler leur fortune. Ceux qui avaient craint le désordre dans la rue, toujours préjudiciable aux affaires et à la prospérité, voyaient s’éloigner avec satisfaction les spectres de la spoliation et de la violence, puisque les gens du peuple eux-mêmes se montraient amateurs de paix sociale et d’ordre. Les caisses d’épargne, baromètres de la confiance, recevaient de plus en plus de versements. Les banques, celles de MM. de Rothschild notamment et des frères Pereire, prospéraient d’une façon étonnante. Les actions du Crédit mobilier, ouvert le 19 novembre 1852, étaient cotées 1 500 francs. Les hommes d’affaires, entre deux prises de participation dans les chemins de fer ou les télégraphes, interrogeaient le colonel de Vigors sur cet or de Californie auquel la Bourse s’intéressait. On entrait dans l’ère du progrès technique. Les compagnies de chemin de fer commandaient les rails par dizaines de kilomètres. La raffinerie de Bourdon traitant le sucre de betterave se développait ; les mines modernisées fournissaient à pleins bras le charbon indispensable aux usines, les moulins à café de Peugeot s’enlevaient comme des petits pains. Encouragés par le gouvernement, les investisseurs furetaient pour trouver à placer leur argent de la manière la plus profitable. La bourgeoisie, enthousiasmée par les desseins grandioses de Louis-Napoléon qui voulait faire de la France une grande nation industrielle, envisageait sans peur des plans de financement à long terme, assurée qu’elle était maintenant, après des années incertaines, de pouvoir engager ses capitaux pour en retirer de substantiels bénéfices.

Mme Drouin, qui, l’âge venant, roucoulait plus souvent avec les banquiers qu’avec les poètes faméliques, eut tôt fait d’indiquer à M. de Vigors le meilleur chemin pour accéder au Tout-Paris de la finance. Ce chemin passait par l’entourage du prince-président, dans lequel elle comptait de bons amis dont le duc de Morny, fils de la reine Hortense et du général-comte Flahaut, et par conséquent demi-frère du maître que la France s’était donné par plébiscite.

Virginie, à qui son deuil et aussi son réel chagrin interdisaient encore les manifestations mondaines, fut cependant présentée à ce duc, gaillard et séduisant, que l’on disait aussi ardent affairiste que coureur de jupons. Il venait de démissionner de son poste de ministre de l’intérieur à la suite d’intrigues destinées à l’abaisser dans l’estime de Louis-Napoléon, et se consolait de cette disgrâce en spéculant et en gagnant beaucoup d’argent. Cet homme, qui, avec sa moustache cirée et son impériale, « ressemblait comme une seconde édition plus attrayante et plus affinée » au modèle qu’avait fourni le prince-président, trouva Virginie « suprêmement distinguée et délicieusement romantique ». Pour se réserver un avenir auprès de cette Franco-Américaine qui ne serait pas toujours confinée dans son si respectable deuil, il introduisit M. de Vigors dans les milieux d’affaires où l’aristocrate ne dédaignait pas de redorer son blason.

C’est ainsi que le colonel se vit invité à l’inauguration du grand magasin Au Bon Marché, que venait de fonder Aristide Boucicaut, lequel entendait appliquer une nouvelle formule commerciale, séduisante et riche de promesses. Il s’agissait de vendre quantité de produits et d’objets à des prix accessibles au plus grand nombre, avec une marge de bénéfice limitée, mais rendue fort appréciable par le volume des transactions.

Quand Virginie, redevenue elle-même, put sans déroger renoncer aux vêtements noirs, c’est chez « Camille », la couturière à la mode de la rue de Choiseul, que Mme Drouin emmena sa nièce. Cette dernière y renouvela sa garde-robe, choisissant pour la journée de courtes vestes boutonnées, genre boléro, à porter sur d’amples jupes évasées du bas, et pour le soir des robes largement décolletées, coupées dans des failles scintillantes ou des velours moelleux. Les couleurs nouvelles : aubergine, vert cru, gris tendre, brun havane, seyaient à une femme dont la peau conservait la pâleur sudiste et dont les formes retenaient les regards masculins. Pendant que Virginie reprenait ainsi goût à paraître dans toute sa grâce, son mari, étant retourné au Jockey-Club dont il était membre depuis sa fondation en 1843, fréquentait le gratin parisien : le duc d’Albufera, le duc de Fitz-James, Charles Laffitte, le duc de Gramont-Caderousse occupé à dilapider sa fortune sur les tapis verts des tables à jeux.

Entre le Club, les restaurants, le Café Anglais ou le Tortoni, le théâtre, tous lieux où l’on rencontrait des cocottes de haut vol, des financiers, des journalistes, des écrivains et des officiers barbus revenant d’Algérie, M. de Vigors, marié et père de famille, retrouvait ses anciens plaisirs de célibataire. Il lui arrivait même de rentrer fort tard rue du Luxembourg, pour avoir suivi quelque grisette ou quelque trottin qui l’avait entraîné jusqu’à Belleville, dans une soupente où le parfum du patchouli se mêlait désagréablement à celui de la soupe à l’oignon. En vieillissant, le hussard avait besoin de la stimulation que peut offrir une chair supposée fraîche. Virginie fermait les yeux sur ces incartades. Elle ne manquait pas d’admirateurs, prêts à la consoler, si l’envie lui en était venue.

Le petit Charles mis en pension chez les pères jésuites, Gratianne jouait les filles uniques, allant d’un bal à l’autre et dépensant des sommes folles chez les couturières et les modistes.

Le fils d’un banquier, ayant été agréé par Virginie comme chevalier servant attitré de sa fille, avait emmené celle-ci au théâtre voir La Dame aux camélias et Le roi s’amuse. Le jeune homme, « bien de sa personne », faisait à Gratianne une cour méthodique et sage. Élève de Polytechnique, il appliquait aux sentiments les raisonnements des sciences exactes, ce qui semblait lui réussir auprès de la belle Louisianaise. Gratianne, frivole par jeu, mais réaliste à la manière des Damvilliers, s’accommodait de déclarations en formes d’équations. Sans toujours comprendre les formules, elle en appréciait la sincérité, car elle se méfiait des hommes doués de trop d’imagination.

« Vous parlez d’amour comme s’il s’agissait de géométrie, dit-elle un jour à son cavalier.

— Si l’amour était de la géométrie, je serais cercle vicieux », répondit le jeune homme, qui ne manquait pas d’humour.

Tandis que Dandrige s’activait au bord du Mississippi pour assurer des revenus à cette famille qui, sortant d’épreuves hors du commun, se reprenait, au bord de la Seine, à jouir de la vie, le temps fuyait à une vitesse prodigieuse.

« Nos Parisiens ne parlent-ils pas de rentrer ? demanda Willy Tampleton à l’intendant, un soir de l’été 1854.

— J’ai chaque mois une lettre du colonel ou de Virginie, dit Clarence, mais, à ce jour, personne ne parle de retour. Dans son dernier courrier, M. de Vigors me racontait qu’il avait ses petites et ses grandes entrées aux Tuileries et que l’empereur, puisque empereur il y a depuis le 2 décembre 1852, l’a invité avec sa femme à Compiègne. Gratianne est pratiquement fiancée au fils d’un grand banquier et le peintre Dubuffe fait le portrait « plus grand que nature » de notre Virginie. Voilà tout ce que peut vous dire, Willy, l’oublié de Bagatelle ! »

Clarence souriait en prononçant ces mots, car la longue absence des propriétaires de la plantation le conduisait à se poser des questions sur le désir réel que pouvait avoir Virginie de revenir en Louisiane. Au pied du chêne où reposait Julie, la mousse était devenue assez dense pour recouvrir en partie la minuscule épitaphe posée deux ans plus tôt.

« Ces gens-là ont une chance inappréciable de vous avoir pour intendant, grogna le lieutenant-colonel. On commence à jaser dans les plantations, car ceux de chez nous qui ont rencontré les Vigors à Paris affirment qu’ils sont lancés dans le monde, font des affaires comme des Yankees et considèrent maintenant la Louisiane comme une contrée lointaine où ils ont quelques biens. Sans vous, que deviendrait Bagatelle, livrée à un régisseur ordinaire ?

— Vous savez, Willy, je travaille cette terre comme si elle était mienne. C’est d’ailleurs mon devoir et je ne me plains pas de mon sort. On ne discute jamais mes comptes et je mène la plantation comme je veux.

— C’est encore heureux. Mais je croyais Virginie plus attachée que cela à ce pays. Elle me déçoit. »

Tout en dégustant le vieux porto, que le cadet des Tampleton paraissait préférer à tout autre breuvage, y compris le mint-julep dont Clarence faisait ses délices, les deux hommes abordèrent d’autres sujets.

Comme tous les militaires désœuvrés, Willy aimait à parler politique. La création d’un nouveau parti républicain réclamé à Ripon, dans le Wisconsin, par d’anciens whigs et des abolitionnistes de toutes origines prouvait la décomposition de la vieille formation qui défendait traditionnellement les intérêts du Sud.

C’était la loi du Kansas-Nebraska, laissant aux habitants de ce territoire le droit de décider s’ils pouvaient être propriétaires d’esclaves ou non, qui venait de semer la perturbation dans les milieux politiques. Les abolitionnistes du Nord et de l’Ouest voyaient là une violation du compromis du Missouri et paraissaient décidés à agir. Depuis longtemps les whigs du coton s’opposaient aux whigs nordistes « de la conscience ». Maintenant, ces derniers, soutenus par des démocrates indépendants, étaient capables de constituer un parti. Cependant, parmi les politiciens qui poussaient au lancement de cette nouvelle formation existaient déjà deux tendances : les radicaux, qui prônaient la libération immédiate et sur tout le territoire de l’Union de tous les esclaves ; et les modérés, qui admettaient encore pour le Sud « l’institution particulière », à condition que l’esclavage ne sorte pas des limites fixées par la ligne Mason et Dixon.

L’inquiétude des planteurs venait de ce que personne ne paraissait capable de dire, pour l’instant, quelle tendance l’emporterait. Cette nouvelle menace pour les États esclavagistes risquait d’être aggravée par un programme jugé démagogique et qui prévoyait l’attribution gratuite de cent soixante acres de terre à tout fermier qui s’engagerait à les mettre en valeur sans le concours d’esclaves, l’augmentation du tarif douanier et la construction d’un chemin de fer transcontinental.

Clarence Dandrige, écoutant discourir Willy Tampleton sur ce thème, voyait, dans la fondation d’un nouveau parti hostile au Sud, une manifestation de la fatalité qui, un jour ou l’autre, conduirait à l’abolition de l’esclavage. Un livre de Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois, qu’il venait de terminer, lui confirmait ce qu’il savait déjà : « Si un arbre ne peut vivre selon sa nature, il dépérit : un homme de même », écrivait Thoreau. Le sage de Concord, ermite et philosophe, exprimait par ailleurs clairement les raisons profondes qui avaient toujours rapproché inconsciemment Virginie de Clarence : le désir « de sucer toute la moelle de la vie ». Ils avaient naturellement choisi des chemins différents pour parvenir à leur but. Elle, l’ambition, le pouvoir, la réussite sociale, l’argent qui peut tout procurer ; lui, une existence quasi Spartiate « pour mettre en déroute ce qui n’était pas la vie », c’est-à-dire tout le superficiel quotidien.

« Je gagnai les bois, écrivait Thoreau, pour expliquer sa retraite à Walden, parce que je voulais vivre à bon escient, n’affronter que les données essentielles de la vie et non pas découvrir à l’heure de la mort que je n’avais pas vécu. »

Depuis qu’il vivait seul à Bagatelle, dans un confort que le philosophe sylvestre eût certes condamné, Dandrige avait beaucoup réfléchi à tout cela. Et, paradoxalement, il rejoignait maintenant Adrien de Damvilliers quand celui-ci disait : « La terre, Clarence, rien que la terre. Tout vient de là et tout y retourne. Le bonheur d’un homme ne peut pas être ailleurs qu’au milieu de son champ, si petit que soit celui-ci. »

Or Virginie semblait maintenant emportée par le tourbillon de la vie facile, dans une ville où la corruption des mœurs et le reniement des consciences allaient de pair. Peut-être les frôlements de la mort l’incitaient-ils à une pareille gloutonnerie d’honneurs, de mondanités, d’hommages. La moelle de la vie n’était pas là. Mais peut-être avait-elle renoncé à dépasser les apparences du bonheur et se satisfaisait-elle des signes extérieurs de celui-ci. Cependant, Clarence ne doutait pas de son retour, de sa progression. Paris, ses soupers, ses crinolines et les fastes d’une cour impériale que Bismarck comparait aux petites cours allemandes intrigantes et puériles ne pouvaient constituer qu’une distraction dans la vie de cette femme intelligente. Inaltérable, elle apparaîtrait un jour comme l’enfant prodigue, enfin consciente que les vraies valeurs, que l’achèvement idéal de sa destinée se trouvaient là, sur les bords du Mississippi, et nulle part ailleurs.

Elle revint en effet au printemps de l’année 1855. Dandrige, qui était allé au-devant des Vigors à La Nouvelle-Orléans, reconnut de loin sa silhouette à côté de celle du colonel, auquel des moustaches blanches, une canne et une lourde démarche donnaient l’aspect d’un vieillard. Virginie se jeta dans les bras de l’intendant, comme s’il se fût agi d’un parent. Il respira son parfum, remarqua quelques fils gris dans l’opulente chevelure toujours lustrée et le visage à peine marqué de fines rides au coin des yeux et à la commissure des lèvres.

« Nous avons marié Gratianne avant de prendre le bateau, dit-elle. Nous sommes bien aises de rentrer chez nous ! »

Le colonel, qui souffrait manifestement d’un pied goutteux, fut lui aussi chaleureux. Il expliqua comment Charles, qui venait d’avoir dix ans et restait en pension à Paris, décrochait tous les premiers prix. « Ainsi, pensa Dandrige, les enfants sont à l’abri, semble-t-il, de la fameuse malédiction de Bagatelle. »

Sur l’Éclipse, en remontant le Mississippi, tandis que M. de Vigors, bien calé dans un fauteuil du fumoir, bavardait avec des planteurs, échangeant des nouvelles de France contre celles de Louisiane, Virginie vint s’accouder au bastingage près de Dandrige.

« Ce fut une longue absence, Clarence, vous ne m’en voulez pas ?

— Pourquoi vous en voudrais-je, Virginie ? Vous aviez tant de jours malheureux à oublier ! »

Elle demeura un moment silencieuse à suivre le vol des moqueurs et des martins-pêcheurs.

« Comme tout est grand, ici ! dit-elle enfin. Comme on a conscience de la solitude dans ces espaces ! Je l’avais oublié aussi. À Paris, je n’étais jamais seule. Jamais inoccupée. J’avais mis ma pensée en veilleuse. Ici tout se rallume, avec les souvenirs qui reviennent. Quand je pense qu’il y a un quart de siècle je me trouvais ainsi à votre côté sur un bateau qui remontait le fleuve ! Qu’étais-je alors ? Une jeune fille prétentieuse, qui comptait bien mener la vie à la baguette…

— C’est bien ce que vous avez fait, Virginie.

— En êtes-vous certain, Clarence ? Ne me suis-je pas plutôt bercée d’une immense illusion, en croyant que je serais toujours seule à décider de tout ?

— On ne commande pas à la mort, si c’est ce que vous voulez dire !

— On ne commande pas à la vie non plus. Nous sommes tous comme des chiens tenus en laisse. Nous courons librement jusqu’au moment où elle se tend et nous arrête brutalement. Nos laisses sont peut-être d’inégales longueurs, mais il arrive toujours un moment où elles nous retiennent.

— Alors, nous revenons vers le point d’attache, dit Dandrige avec un sourire. C’est cela ?

— Oui, nous revenons doucement, mais pour préparer un nouvel élan !

— Qui sera stoppé comme les autres, non ?

— Un jour, peut-être, la laisse se rompra…

— Et alors ?

— Alors on pourra courir droit devant…, jusqu’au bout de la route.

— Nous savons bien ce qui nous attend, Virginie !

— Mais quelles rencontres ne peut-on faire… avant ! »

Ainsi Clarence retrouvait cette femme de quarante-trois ans, aussi résolue qu’autrefois. Comme une écuyère désarçonnée qui remonte aussitôt en selle, elle paraissait prête à poursuivre, à sa façon, cette quête de la moelle de la vie. Impétueuse et lucide, elle revenait à Bagatelle après un bain prolongé de futilités parisiennes, bien décidée à prendre au Sud ce qu’il ne lui avait pas donné. « Elle a encore de quoi me surprendre », pensa Dandrige en regagnant le fumoir où le colonel plastronnait dans la fumée des cigares, en racontant quelques fameuses parties jouées sous les lustres du Jockey-Club.

Quelques jours après leur arrivée, les Vigors donnèrent un grand dîner, pour reprendre contact avec tous leurs amis. Ce ne fut pas une fête, mais des retrouvailles au cours desquelles on évoqua sans tristesse le souvenir des morts. Désormais, ils avaient leur place assignée dans la saga des Damvilliers. Virginie montra aux dames les robes à crinolines qu’elle avait rapportées de Paris, tandis que les hommes, au salon, s’efforçaient d’apprendre du colonel ce que les Français pensaient de la rivalité Nord-Sud et du maintien de l’esclavage.

« Ils n’en pensent pas grand-chose de bon, mais le Sud a la sympathie de l’empereur. Brent et Rosa, croyez-moi, ont fait beaucoup, par leur simple présence au milieu de la domesticité parisienne, pour redresser des jugements stupides quant au sort de nos esclaves… »

Bagatelle, qui vivait au ralenti pendant l’absence de Virginie, retrouva son animation. Le cycle conventionnel des thés et des barbecues reprit. La plantation se trouva à nouveau intégrée dans la vie louisianaise.

Le colonel, s’il avait quelque peine à marcher, se tenait à cheval comme un jeune homme. Les comptes que lui rendit Mallibert l’encouragèrent à investir encore du côté de Saint-Francisville. Comme, en tant que citoyen français, M. de Vigors ne pouvait plus, depuis la loi de 1848, être propriétaire d’esclaves, ceux-ci furent mis au nom de son fils Charles, dont il avait tenu à faire un citoyen américain.

Les années qui suivirent apportèrent leur lot de joies et de peines. En 1856, par une belle matinée de printemps, le vieux Tampleton rendit son âme à Dieu, entouré de ses enfants et de ses petits-enfants. Un de ces départs édifiants, d’homme laissant ses affaires en ordre et conscient d’avoir bien rempli sa vie. Il avait eu le temps d’assister au mariage de deux de ses petites-filles. Percy était ainsi devenu le maître des Myrtes. L’année suivante, la veuve du patriarche, qui ne se consolait pas de la perte d’un vieil époux qu’elle avait abondamment trompé, mourut à son tour, sans que Murphy ait pu diagnostiquer sa maladie.

« Elle était lasse de vivre, tout simplement », dit-il à Willy.

Quelques jours avant ce décès, Mignette Barthew donna le jour à un fils. L’avocat, ancien bohème repenti, parut le plus heureux des hommes quand la jeune mère lui proposa de donner au bébé le prénom de Clarence, puisque l’intendant acceptait d’en être le parrain et Virginie la marraine.

On enterra aussi le vieux James, tandis que Rosa mettait au monde un enfant dont Brent revendiqua la paternité. On les maria et la dame de Bagatelle exigea que le petit Noir soit élevé dans la grande maison. On découvrit à l’occasion du mariage que les deux domestiques n’avaient pas perdu leur temps à Paris. Avec l’autorisation de leurs maîtres, ils avaient appris à lire et à écrire, ce qui leur donnait sur tous les autres serviteurs une supériorité qu’ils ne manquaient pas de faire ressortir.