Drapeaux

 

Chauvinisme ? Et alors ? Qu’est-ce que vous avez contre le chauvinisme ? Non, mais, ça va pas ? Le sport sans le chauvinisme, c’est des nouilles sans sel, c’est un western sans méchant, c’est une femme qui sent la laitue là où elle devrait sentir la femme… Il y en a qui voudraient, qu’ils disent, expurger le sport, chose tout à fait estimable, du chauvinisme, chose caca, qu’ils disent… Ils n’ont vraiment rien compris, mais alors, là, rien de rien ! Pauvres chères vieilles pucelles, sachez donc une fois pour toutes que, sans chauvinisme, pas de sport. Même les mômes qui tapent à coups de pied dans des boîtes de Coca rêvent de mettre un jour la raclée à tous les pas français et de rapporter le Mondial à Paris dans le délire chauvinard. Et d’abord, qui a commencé, hein ? Le chauvinisme ou le sport ? Ah, vous voyez bien.

On peut aussi déplorer que le noble visage de la guerre soit enlaidi par le chauvinisme des combattants. On peut. N’empêche que la guerre sans la haine de l’ennemi, vous trouvez que ça aurait du goût, vous ? Essayez donc de balancer une baïonnette dans le ventre d’un type, de l’enfoncer bien à fond, en tournaillant un peu à droite à gauche que ça lui fasse bien mal, lui découpe la boyauderie en lamelles tout à fait irrécupérables, juste comme le sous-off vous a appris dans la cour de la caserne, voilà, c’est ça, eh bien, essayez donc de faire ça calmement, flegmatiquement, le sourire de la bonne éducation aux lèvres, en vous excusant avec tact d’être obligé de déranger mais, n’est-ce pas, le boulot c’est le boulot… Oui, je vois que vous avez compris : ça deviendrait vite ennuyeux. D’ailleurs, c’est une vérité tellement évidente que vos chefs, vos gouvernants, vos journaux-radios-télés s’emploient activement à vous gonfler la glande du chauvinisme quelque temps avant le début du match, je veux dire la déclaration de guerre. On ne part pas à l’assaut comme ça, de but en blanc, il y a la préparation. Le réarmement moral de la nation, ça s’appelle, quand on est bien élevé.

Donc, avant de partir pour la guerre, il faut être très en colère. Absolument indispensable. Et aussi, bien sûr, être persuadé qu’on a raison, et que tous les copains ont raison, et que les fumiers d’en face sont les dernières des ordures, et d’abord on a le bon droit pour nous, eux, les salauds, ont le mauvais droit, rien que ça, tiens : être un soldat du mauvais droit, oser ça, quel culot, la rage me prend, le sang me bout, et puis de toute façon je m’en fous, tort ou raison, mon pays c’est mon pays, vive nous, à bas les autres, qu’ils crèvent, les autres ! À mort !

Mais, ne manquez-vous pas d’objecter, le sport n’est pas la guerre… Taisez-vous. Vous vous couvrez de ridicule. Sport, guerre, dans les deux cas, il faut quoi ? Il faut GAGNER. Gagner CONTRE quelqu’un. Quelqu’un qui se bat CONTRE vous et qui est donc l’ENNEMI, même si, par pure politesse, on dit l’« adversaire ». Si l’on n’adule pas jusqu’à l’extase son propre camp, si l’on ne hait pas de toutes ses forces le camp ennemi, qu’est-ce qui arrive, je vous le demande ? On perd la guerre, ou le match, parfaitement. Mais ce n’est pas encore le pis. Le pis, le voilà : ON S’EMMERDE. Et ça, c’est pas humain, ça.

Donc, pour bien goûter le sport, ou la guerre, il faut et il suffit, fût-ce provisoirement, le temps du match ou le temps de la Croisade du Droit, d’être chauvin jusqu’au vertige et con dans tous les flamboiements de la connerie. Sinon, on passe à côté.

Le sport, ça ne se déguste pas comme du yaourt, à la petite cuillère, en s’essuyant la bouche avec le coin de la serviette. Le sport, crénom, ça se vibre marteau-piqueur du haut en bas, ça s’explose tripes et boyaux, ça s’arrache les cheveux, ça sanglote, ça barrit, ça mord le chien, ça bat la femme, qui vous le rend, la salope, mais c’est l’excitation patriotique… Le sport, c’est pas la poignée de professionnels qui gigotent sur la pelouse, c’est cent mille connards fanatisés qui cherchent comment exprimer l’intensité de leur enthousiasme ou de leur désespoir, et qui trouvent : se jeter en masse sur les supporters de ceux d’en face, des fumiers d’étrangers, justement, et leur casser la gueule bien à fond, à coups de bouteilles, à coups de barres de fer arrachées à la grille, à coups de tout ce qu’on veut, et leur écraser la gueule sous les santiags ferrés… Le sport, quel qu’il soit, c’est tout un pays devenu con à crever, et fier de l’être. Sinon, encore une fois, ça ne fonctionne pas.

C’est comme l’orgasme, vois-tu. Si tu fine-bouches, si tu quant-à-soises, si tu gardes le contrôle, si tu tricotes discrètement ton petit orgasme en gentleman, si tu te retiens de pleurer, de braire et de crier « Maman ! » ou « Bordel de merde ! », tu n’auras même pas une extase au rabais, tu n’auras pas d’extase du tout. La nature aime les excessifs.

Pierre de Coubertin, l’inventeur du sport moderne, le redécouvreur des Jeux Olympiques, militait de toutes ses forces pour le rapprochement entre les peuples, la paix et l’amitié par l’effort, la saine émulation, les assauts courtois du stade, tout ça, tout ça… Mais, à peine né, le sport a échappé à ses fines mains d’aristocrate idéaliste et s’est mis à courir tout seul sur ses grosses petites pattes tordues. « La guerre fratricide fera place au sport fraternel… » Tu parles ! On a eu les deux, l’un préparant à l’autre. Oh, ben, c’est humain, quoi. Hélas, oui.

Coups de sang
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